Restauratrice et éditrice en chef de l'Écomusée du Patrimoine
Outre le mouvement des plaques tectoniques sur lesquelles nous humains évoluons, le récent tremblement de terre du 6 avril dernier (2024) à Taïwan a mis en lumière cette tradition chinoise qui consiste à se rendre une fois l’an au cimetière pour le nettoyage des tombes des ancêtres. La fête du Qing Ming est une journée fériée en Chine continentale et à Taïwan depuis 1935 elle tombe le 5 avril. Pour l’occasion, les proches se réunissent autour du monument familial et procèdent au désherbage avant de passer aux quelques rituels dictés par la tradition.
Pour ne jamais oublier
Cette pratique a pour effet un entretien perpétuel des cimetières et aussi une contrepartie didactique de transmission pour les jeunes générations. Tous sont donc investis des valeurs de ces lieux de mémoire. Pour cette raison, je doute qu’il y ait beaucoup de vandalisme dans les cimetières chinois.
Une pratique similaire existe en Europe. Ainsi, avant la Toussaint, il est coutume de faire le nettoyage des monuments afin que tout soit bien propre le jour des Morts : une marque de respect à l’endroit des disparus. Pour l’occasion, certains exécutent en famille ce rituel annuel, afin de transmettre aux plus jeunes souvenir et tradition et aussi afin de ne jamais oublier que tous nous sommes mortels.
En Allemagne le Volksbund Deutsche Kriegsgräberfürsorge, soit le Service pour l’entretien des sépultures militaires allemandes (SESMA) dispose d’une fondation dédiée à l’entretien des monuments des soldats allemands et inconnus encore une fois pour ne pas oublier, mais également pour promouvoir la paix. Créée en 1919, l’association s’occupe de 2,8 millions de morts des guerres sur 832 cimetières dans 46 pays.
Au Québec, cette pratique d’entretien annuel a presque disparu. Pourtant je me souviens que dans mon jeune âge j’accompagnais mon père au cimetière pour la floraison du monument familial. Le cimetière Notre-Dame-des-neiges disposait de serres où nous nous rendions choisir quelques potées à installer pour l’été au pied du monument. En reconnaissance de ma participation aux travaux de plantation, j’avais droit à un petit pot fleuri. Peut-être cette tradition marque-t-elle l’origine de mon intérêt pour les champs des morts et… l’horticulture. Dans mon cas, la transmission a opéré. Et elle constitue un élément essentiel d’une stratégie de protection des cimetières.
Avant de les restaurer, il faut développer le respect de ces lieux de dernier repos. La transmission par la tradition fait partie de la stratégie.
Parlant nettoyage
Autre élément de cette stratégie : le nettoyage. Le désherbage est à la portée de tous. Retirer les hautes herbes à proximité d’un monument a pour effet de diminuer l’humidité et d’améliorer l’ensoleillement, retardant de ce fait l’apparition de mousses et lichens. Pour ce qui est du lavage, en procédant à l’eau et à la brosse de fibres, il y a peu de risque d’endommager le substrat et les résultats sont appréciables sur les pierres dures et peu poreuses telles que les granits.
Les pierres plus poreuses comme les pierres calcaires et les marbres (aussi de nature calcaire) hébergent souvent des colonies de mousses et de lichens. Bien sûr, ces colonisateurs tendent à oblitérer les inscriptions et défigurer les sculptures, mais ils sont rarement dommageables. Pour des raisons esthétiques, les propriétaires souhaitent les faire disparaître. La question m’a fréquemment été adressée. J’y ai consacré une vidéo à voir sur le site de l’Écomusée quelques articles et même un Guide pour préserver son cimetière.
Un entretien régulier
L’entretien annuel des stèles représente une pratique exemplaire. Elle permet une vérification du maintien de l’assise du monument et démontre à tous les visiteurs l’intérêt accordé à sa conservation: ce monument n’est pas abandonné puisque certaines personnes s’en occupent. Une activité récurrente simple, de commémoration, de préservation et d’humilité.
Je serais volontiers partante pour participer au montage d’une campagne annuelle de nettoyage consacrée à l’entretien des quelques éléments oubliés qu’abrite un cimetière
