Géographe et auteure
Depuis 1843, il dresse sa tour cylindrique de 18,3 mètres coiffée d’une lanterne au toit rouge sur un dangereux récif du chenal Sud de l’estuaire du fleuve Saint-Laurent, à 6 km au sud-est de Saint-Jean-Port-Joli, et à 100 km de Québec. Troisième plus ancien phare du Saint-Laurent après ceux de l’île Verte (1809) et de Pointe-des-Monts (1830), il est conçu selon les plans de l’ingénieur montréalais Charles Atherton pour la Maison de la Trinité de Québec, organisme public calqué sur la Trinity House britannique, et chargée de sécuriser le passage des navires commerciaux de plus en plus nombreux au XIXe siècle.
Érigé sur le point culminant d’un long et étroit îlot rocheux entre le Pilier de Bois et la Roche à Veillon — qui causa le naufrage en 1857, en pleine nuit, du SS Canadian, l’un des premiers et des plus gros paquebots à voile et à vapeur de son époque — le phare du Pilier-de-Pierre est construit en blocs de pierre calcaire à l’extérieur et en briques à l’intérieur. Les matériaux proviennent de la région de Québec et une centaine d’hommes y travaillent durant tout l’été 1843. Robustesse, élégance et simplicité caractérisent ce style militaire alors en vogue en Angleterre et aux États-Unis.
Neuf gardiens et leur famille vont tour à tour s’y installer jusqu’en 1960. Ils habitent une maison voisine du phare. Mais, en 1955, un feu la détruit. Antonio Bourgault, dernier gardien, se réfugie alors dans la petite menuiserie attenante jusqu’à l’automatisation du phare par la Garde côtière canadienne. Abandonné, le phare se dégrade sévèrement au fil des décennies car le gouvernement fédéral ne fait que l’entretien du feu de navigation dans la lanterne. Les tempêtes prennent d’assaut le phare, les vitres cassent et l’eau s’infiltre à l’intérieur des trois étages.
C’est alors qu’entre en scène la Corporation Les Amis du Port-Joli, déterminée à sauver ce patrimoine maritime emblématique de l’identité de la communauté. De multiples démarches sont entreprises auprès de représentants de Pêches et Océans ainsi que d’acteurs locaux afin d’obtenir des travaux de restauration de la tour: les joints de pierre sont refaits, les trois fenêtres, la porte principale et la porte de la lanterne sont remplacées. Une échelle installée le long du débarcadère assure la sécurité des visiteurs et une passerelle en aluminium vient relier le débarcadère à l’héliport. Celui-ci sert à la Garde côtière qui vient deux fois l’an vérifier le bon fonctionnement de la nouvelle et puissante lumière du phare.
En 2015, la Corporation Les Amis du Port-Joli devient propriétaire du phare. La même année, grâce aux efforts soutenus de la Corporation, Parcs Canada déclare le phare patrimonial. Puis en 2021, c’est au tour du gouvernement du Québec de classer l’immeuble patrimonial.
Le projet de Columbarium maritime universel
L’idée est venue de Jean Parent qui souhaitait que son urne soit déposée sous l’escalier du rez-de-chaussée du phare. Ex-président de la Corporation et auteur d’un ouvrage détaillé intitulé L’historique des phares du Pilier-de-Pierre et de la roche à Veillon (2002), M. Parent trouva vite des gens qui, comme lui, voulaient habiter et garder vivant le phare. Un tel projet de reconversion du patrimoine maritime permettrait de mettre en valeur le phare et d’assurer son intégrité et sa pérennité au moyen d’une stratégie de financement impliquant peu ou pas d’aide gouvernementale. Premier columbarium maritime universel au monde, la Corporation espère faire naître ailleurs sur la planète des initiatives semblables pour sauver les nombreux phares laissés à l’abandon.
En 2022, la maison funéraire De la Durantaye et Fils obtient le permis d’installation du columbarium dans le phare. Ne pouvant remplacer une brique par une urne, un seul modèle d’urne fut retenu, avec façade en bronze. Trois urnes se trouvent actuellement dans le bâtiment qui pourra en accueillir trois cents réparties sur les trois étages. Le transport des urnes par bateau se fera à quelques reprises par temps calme, entre les mois de juin et d’octobre.
Avant la traversée vers le phare, une célébration a lieu au cénotaphe, mis en place en 2022, près du Sentier d’interprétation maritime de Saint-Jean-Port-Joli. Ce mémorial terrestre en granit noir est surmonté d’une sculpture représentant le phare du Pilier-de-Pierre, œuvre de l’artiste Maurice Harvey. Il est placé au centre d’une base de béton de forme circulaire rappelant la tour cylindrique du phare. La pergola coiffant le cénotaphe est constituée d’un toit rouge de forme dodécagone pareil à celui du phare. Les douze colonnes rondes, elles, évoquent les mâts du paquebot Canadian qui fit naufrage en 1857. Signalons qu’au sol, une ligne partant du centre du cénotaphe se prolonge directement dans l’axe du phare.
Près du Sentier d’interprétation maritime, autre réalisation de la Corporation, on peut voir une reproduction à l’identique de la lanterne du phare du Pilier-de-Pierre avec sa lentille Fresnel qui avait été installée en 1960 par la Garde côtière.
Je remercie sincèrement M. Parent et M. Baril pour leur accueil chaleureux et leur généreuse contribution à cet article. Je salue le travail herculéen que vous avez déployé pour sauver le patrimoine maritime de Saint-Jean-Port-Joli. C’est un modèle de réussite.
Lorraine Guay