Designer d’espace public
Autrefois pleinement intégrés à la trame urbaine et à la vie communautaire, les cimetières sont devenus, dans de nombreuses villes du monde, des espaces isolés, figés dans le temps. Perçus comme austères, voire tabous, ils peinent à susciter l’intérêt des citadins, à l’heure où chaque mètre carré est convoité et où l’espace public est en quête de nouveaux usages. Pourtant, un peu partout sur la planète, des initiatives émergent pour réactiver ces lieux de mémoire, en les ouvrant à la vie, à la nature et à la culture. Petit tour d’horizon d’expériences inspirantes.
Des parcs de mémoire ouverts à la biodiversité
À Hudson, au Québec, un cimetière paysager bouleverse les codes : sans mur, sans grille, il s’ouvre librement sur la ville. Les tombes se fondent dans les prairies et les arbres, rendant l’espace perméable et accueillant. À Niort (France), le cimetière écologique de Souché privilégie cercueils biodégradables, végétation locale et mobilier recyclé. Ces lieux montrent qu’en réconciliant nature et mémoire, on peut favoriser à la fois le recueillement, la promenade et la biodiversité.
Dans ces cimetières « verts », la gestion paysagère se veut douce : pas de produits chimiques, des allées enherbées, une biodiversité respectée. À Paris, le célèbre Père-Lachaise est aujourd’hui aussi un sanctuaire écologique, refuge pour renards, perruches et orchidées. Ces modèles pourraient inspirer les villes denses comme Montréal : en valorisant les cimetières comme des poches vertes, on répond aux enjeux de bien-être urbain et de résilience environnementale.
Au cimetière du Père-Lachaise, à Paris, depuis la re naturalisation des espaces, la faune a repris ses quartiers. (Photo : © Benoît Gallot)
La culture entre les tombes
Mais la revalorisation passe aussi par la culture. À Brooklyn, le Green-Wood Cemetery organise des concerts, lectures et expositions dans un cadre majestueux. À Oakland (Géorgie), les projets artistiques et communautaires insufflent une nouvelle vie à ces lieux, loin de l’image figée du deuil solitaire.
Le cimetière Green-Wood, Brooklyn, accueille non seulement un concert annuel en plein air, mais également toute une programmation qui se déploie du printemps jusqu’à l’automne. (Source : © page Facebook du Green-Wood).
En France, l’événement « Le Printemps des Cimetières » invite chaque année le public à (re) découvrir ces lieux par le biais de spectacles, de visites contées ou de balades patrimoniales. Ces formats révèlent le potentiel des cimetières comme espaces de transmission culturelle et de médiation autour de la mort.
À Sapanta, en Roumanie, le « Cimetière joyeux » affiche des stèles colorées et humoristiques, racontant la vie des défunts avec une poésie teintée d’ironie. À Morne-à-l’Eau, en Guadeloupe, la Toussaint se vit comme une fête de famille, avec repas, chants et décorations lumineuses. Ces pratiques réenchantent le rapport à la mort, et montrent que les lieux funéraires peuvent aussi célébrer la vie.
Innover pour répondre aux défis urbains
Face à la rareté du foncier, certaines villes inventent de nouveaux modèles. À Santos (Brésil) ou Yarkon (Israël), des cimetières verticaux empilent les sépultures sur plusieurs étages, réduisant l’emprise au sol. À Saint-Joachim, dans la Loire (France), un projet prévoit l’installation de 5 800 panneaux solaires au-dessus d’un cimetière, générant de l’énergie pour les habitants tout en protégeant les tombes. Ces solutions hybrides marient innovation, mémoire et durabilité.
D’autres expérimentent des usages détournés, comme à Manille, où des familles vivent dans les caveaux, créant une microsociété étonnante dans un cimetière saturé. À Nantes, l’artiste Gaëlle Le Guillou a transformé une ancienne concession en potager collectif. Les habitants jardinent dans ce lieu devenu poétique, ludique, vivant. Ce projet, participatif et délicat, illustre comment l’appropriation citoyenne peut redonner une âme à ces espaces.
Vers des cimetières partagés, symboliques et vivants
Ce que révèlent ces initiatives, c’est un mouvement global : celui d’un retour des cimetières au cœur de la ville et de la vie. Non plus seulement lieux d’enterrement, ils deviennent aussi lieux de culture, de nature, d’hommage créatif, de transmission, de repos partagé.
Redonner vie aux cimetières, ce n’est pas effacer leur charge symbolique, c’est l’élargir. C’est accepter que la mémoire soit active, collective, en mouvement. En réinventant nos usages, nous pouvons faire des cimetières les lieux d’un dialogue fécond entre les vivants et les morts, entre passé, présent et avenir.