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Les 15 ans de Pierres mémorables : 2010-2025

France Rémillard

Restauratrice et éditrice en chef de l'Écomusée du Patrimoine

Résumé rédigé à partir d’un bilan préparé par Brigitte Garneau, en collaboration avec Yvon Rodrigue, qui porte sur les activités menées par l’organisme Pierres mémorables et qui fut présenté le 25 octobre 2025 à l’Assemblée générale de l’organisme.

Un des six cimetières-jardins de la Capitale Nationale, le cimetière Mont-Hermon offert à la visite par Pierres mémorables en 2012 (photo :Suzanne Beaumont).

Il est ici question des quinze premières années de l’organisme fondé officiellement en 2010.  Y sont retracées ses origines, ses réalisations, ses collaborations de même que les contributions majeures de ses membres à la sauvegarde, la connaissance et la mise en valeur du patrimoine funéraire du Québec, dans les régions de Québec et Chaudière-Appalaches. Il invite également à réfléchir à l’avenir de l’organisme et à la place des cimetières comme lieux de mémoire, de patrimoine, de culturel et de commémoration.

1. Les origines : un héritage de l’Écomusée de l’Au-Delà

Avant d’exister en tant qu’organisme autonome, Pierres mémorables a pris racine dans l’Écomusée fondé par Alain Tremblay en 1991. Plusieurs membres actuels – Bernard Genest, Lorraine Guay, Michel Lessard, France Rémillard, Yvon Rodrigue, Jean Simard – y participaient déjà depuis les années 1990.

Le bilan rappelle notamment un colloque marquant de 1997 consacré au patrimoine des cimetières, où divers chercheurs avaient abordé des thèmes comme le macro-inventaire du patrimoine funéraire (Genest), la valeur patrimoniale des cimetières paroissiaux (Lessard), un projet-pilote de restauration (Rémillard) ou encore l’idée du cimetière comme patrimoine vivant (Simard).

Cette période est celle où les préoccupations contemporaines émergent : montée rapide de la crémation, dispersion des cendres, difficultés de gestion pour les fabriques, déclin de l’entretien et de la conservation. Ces enjeux détermineront plus tard les grandes orientations de Pierres mémorables. L’Écomusée, rebaptisé Écomusée du patrimoine funéraire et commémoratif (ÉPFC), continue d’ailleurs d’être un partenaire important; plusieurs membres de Pierres mémorables y ont joué des rôles clés, notamment France Rémillard, éditrice du bulletin La Veille, maintenant éditrice de l’Infolettre mensuelle de l’Écomusée.

Pendant 5 ans, France Rémillard a édité le bulletin La veille pour prendre ensuite la direction de l’édition mensuelle de l’actuelle Infolettre de l’Écomusée (photo : Michel Lessard 2020).

2. La déclaration d’indépendance (2010)

L’organisme naît officiellement le 29 juillet 2010. Cette décision découle de la volonté de mener des projets locaux à Québec, notamment un ambitieux répertoire des cimetières de la ville, et d’obtenir des subventions impossibles à décrocher en tant que simple section régionale d’un organisme montréalais.

Pour obtenir une aide financière de la Ville de Québec et du ministère de la Culture (notamment dans le cadre de l’Entente de développement culturel), il fallait :

  • une identité juridique;
  • un siège social à Québec;
  • une reconnaissance officielle d’au moins trois ans.

C’est ainsi qu’est fondé Pierres mémorables, dirigé au départ par une muséologue, une anthropologue et un administrateur. Les lettres patentes adoptent trois buts principaux, qui structureront toutes les actions futures :

  1. Sauvegarde, conservation, restauration, connaissance et mise en valeur des cimetières.
  2. Implication des individus, familles, associations et autorités dans la préservation du patrimoine funéraire.
  3. Promotion de lieux d’interprétation des cimetières et objets funéraires, y compris virtuels.

L’organisme reste toutefois fidèle à l’Écomusée : versement de la moitié des cotisations jusqu’en 2019, et engagement de lui léguer les biens en cas de dissolution.

Dans l’ordre habituel, 1re rangée : Jean Simard, Yves Hébert, Anne-Marie Poulin; 2e rangée : Suzanne Beaumont, France Rémillard, Lorraine Guay, Ève L’Heureux; 3e rangée : Yvon Rodrigue, Brigitte Garneau; 4e rangée, Jean-Louis Caron; Garry Lavoie, François Simard membres de Pierres mémorables (photo : Pierres mémorables c 2010)

3. Le cœur des réalisations (2010–2025)

3.1. Documentation patrimoniale majeure : le Saint-Charles et le Belmont

Premier projet d’envergure : en 2011, l’organisme reçoit 40 000 $ pour une étude approfondie des deux grands cimetières-jardins catholiques de Québec : le Saint-Charles et le Belmont.

La recherche couvre :

  • les œuvres funéraires liées à l’architecte Charles Baillairgé;
  • les monuments de premiers ministres et maires;
  • des monuments commémoratifs de groupes et/ou liés à des événements historiques;
  • des repères historiques, symboliques, architecturaux et paysagers.

Les inventaires sont diffusés dans le Répertoire du patrimoine culturel du Québec (RPCQ), assurant une visibilité durable. Les photos (Beaumont), les textes historiques (Guay), les fiches (Garneau) et les connaissances funéraires (Rodrigue) ont permis de constituer un véritable corpus scientifique.

Cette démarche fournit également une expertise muséale transférable, notamment avec la création de fiches de documentation inspirées des normes Info-Muse.

3.2. Visites guidées des six cimetières-jardins de Québec (2009–2016)

Pendant près de dix ans, l’organisme organise des visites commentées dans six grands cimetières-jardins suivants :

  • Saint-Charles
  • Saint-Sauveur
  • Belmont
  • Mount Hermon
  • Saint-Michel de Sillery
  • Saint-Patrick
Visites au cimetière Notre-Dame -de-Belmont à Québec organisées par Pierres mémorables dans le cadre des Journées de la culture ici, sous la direction de France Rémillard (photo : Suzanne Beaumont, 2010)

Le public y participe abondamment, sous la pluie comme au soleil. Ces visites permettent de populariser la riche histoire des lieux, d’expliquer leurs monuments (mausolées, stèles, symboles), et de faire connaître de nombreuses personnalités inhumées, grâce notamment aux recherches considérables de Lorraine Guay.

Plusieurs ouvrages et études antérieures servent de soutien scientifique, notamment l’ouvrage collectif Cimetières. Un patrimoine pour les vivants (Simard et Brault, 2008).

Ces visites ont également eu un impact institutionnel : les cimetières Belmont et Saint-Charles ont ensuite repris l’initiative en proposant leurs propres visites guidées en calèche, devenues un succès de fréquentation qui dure toujours année après année.

3.3. Diffusion des connaissances (2014–2025)

L’organisme multiplie les outils de diffusion :

  • Site web (2014–2023) : conçu par Suzanne Beaumont.
  • Page Facebook (2014- à ce jour) : permettant de rejoindre un public plus diversifié.
  • Dépliant (2017) sur les six cimetières-jardins, diffusé à 5 000 exemplaires, fruit d’une collaboration entre tous les cimetières.
  • Ouvrages et recherches sur le cimetière Saint-Charles par Brigitte Garneau, incluant un livre de 323 pages (2017).
  • Documentation du cimetière Saint-Martin en Beauce, dans une perspective de tourisme généalogique.

Les membres ont également publié de nombreux articles sur des cimetières régionaux et sur la préservation des monuments funéraires (notamment France Rémillard, spécialiste en conservation), ainsi que sur l’histoire de personnages inhumés dans diverses nécropoles.

4. Préserver l’intégrité du patrimoine funéraire (But 2)

4.1. Dénonciation des dégâts causés aux cimetières

Michel Lessard a vigoureusement documenté les grands « ménages » destructeurs effectués par certaines administrations de cimetières catholiques :

  • enlèvement et destruction massive de stèles après échéance de baux;
  • disparition d’aménagements paysagers;
  • remplacement de portails et clôtures;
  • coupe abusive d’arbres, entretien mécanique dommageable.

Ces interventions entraînent une véritable deuxième mort pour les défunts et une perte irréparable de patrimoine.

4.2. Solutions envisagées : municipalisation et réformes juridiques

Lors du colloque de 2013, plusieurs intervenants – dont Jean Simard – appuient la réflexion sur une éventuelle prise en charge municipale des cimetières ou la création d’un cadre légal moderne assurant leur pérennité.

Le problème des cimetières s’aggrave avec la fermeture des églises, l’appauvrissement des fabriques et l’absence de fonds d’entretien consacrés aux monuments. Les analyses de Simard et d’autres chercheurs sont citées comme références essentielles.

4.3. Enjeux liés à la crémation et à la Loi sur les activités funéraires (2016)

Yvon Rodrigue joue un rôle clé pour vulgariser les effets du projet de loi 66 (2016) :

  • les cendres humaines ne sont pas juridiquement assimilées à un cadavre;
  • aucune obligation d’inhumer ou déclarer l’endroit où elles sont dispersées;
  • dispersion permise à peu près partout;
  • absence de mécanismes garantissant la préservation des lieux funéraires.

Il en conclut que le Québec est loin du modèle ontarien ou français, et que le patrimoine funéraire est fragilisé par la perte de trace des défunts.

4.4. Le modèle ontarien : une inspiration

Rodrigue analyse en profondeur la Loi ontarienne sur les services funéraires et les cimetières, qui impose :

  • un fonds d’entretien perpétuel obligatoire pour chaque cimetière;
  • des contributions financières pour chaque concession ou installation de marqueur;
  • une autorité de surveillance;
  • un encadrement strict des aires de dispersion.

Ce modèle assure une véritable durabilité financière et une protection du consommateur.

Plusieurs conférences de 2024-2025 montrent la pertinence de cette piste pour le Québec.

Le public attentif assiste à la présentation de Garneau et de Rodrigue sur la Loi ontarienne sur les services funéraires et les cimetières. Conférence donnée dans le cadre des Journées du patrimoine au Domaine de la Pointe-de-Saint-Vallier, en juin 2024.

4.5. La commémoration comme levier de protection

En 2022, l’Écomusée organise un forum Mort, sépulture et commémoration. Les membres de Pierres mémorables y contribuent pour démontrer comment les pratiques commémoratives (célébration d’événements, mise en valeur des figures locales, mémoire des exclus, etc.) peuvent favoriser la protection des lieux funéraires.

Malgré ces efforts, les cimetières demeurent exclus de la Stratégie québécoise de commémoration (2022), ce qui limite l’accès aux programmes d’aide.

De nombreux articles publiés par les membres continuent toutefois d’enrichir le domaine de la commémoration funéraire et de sensibiliser le public.

5. Promotion de nouveaux lieux d’interprétation (But 3)

5.1. Le modèle du parc-musée

Ève L’Heureux, muséologue et actuelle présidente, propose un concept innovant : le parc-musée funéraire, un espace naturel qui conjugue promenade, éducation, conservation et interprétation du patrimoine funéraire. Ce modèle vise la création d’un lien affectif entre la population et les cimetières, condition essentielle selon elle à leur sauvegarde.

5.2. La collection Lépine : un succès majeur

Brigitte Garneau consacre plusieurs années (2018–2021) à documenter la collection funéraire de la Maison Germain Lépine, comprenant :

  • cercueils anciens;
  • matériel d’embaumement artériel;
  • matériel d’exposition du corps à domicile;
  • corbillards;
  • harnachements de chevaux;
  • vêtements des cochers;
  • archives promotionnelles.

Grâce à une documentation selon les normes Info-Muse, la collection est acquise en 2022 par le Musée de la civilisation et partiellement exposée dans Le Québec autrement dit. De nombreux ouvrages scientifiques en découlent, constituant une contribution unique à l’histoire des pratiques funéraires au Québec.

La vaste étude menée par Brigitte Garneau sur l’imposante collection de la maison funéraire Lépine a abouti à son acquisition par le Musée de la civilisation (trois ouvrages publiés aux Éditions GID)

5.3. Valorisation moderne : 3D et technologies

En 2024, un atelier est créé pour l’Association des cimetières chrétiens du Québec, démontrant comment la modélisation 3D peut servir :

  • à valoriser les cimetières traditionnels;
  • à guider la visite virtuelle;
  • à mettre en valeur les enclos familiaux, monuments emblématiques, chemins de croix, etc.

Cette initiative ouvre la voie à des outils modernes pour renforcer la conservation et l’interprétation.

6. Conclusion : 15 ans et un avenir à définir

Le bilan souligne que l’organisme se trouve « à l’adolescence » : riche de savoirs et d’expériences, mais devant choisir son avenir. Pierres mémorables s’est doté d’expertises distinctives :

  1. Mise en valeur des cimetières auprès du grand public.
  2. Conservation et restauration des monuments funéraires.
  3. Analyse juridique et défense des droits des familles.

Plusieurs projets déjà sur les rails confirment la vitalité de l’organisme :

  • un grand projet de préservation des cimetières (Yves Garneau);
  • un dépliant sur les droits et responsabilités des familles (Rodrigue);
  • une plateforme documentaire sur la conservation préventive (L’Heureux);
  • des visites guidées destinées aux jeunes publics (L’Heureux);
  • un projet de documentation du lieu de sépulture de Ruth Helenore Matthews (Garneau et Poulin).

Le bilan invite enfin les membres à poursuivre leur engagement pour assurer la survie et la pertinence de Pierres mémorables dans les années à venir.

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