Le cimetière Saint-Matthew, connu à l’origine sous le nom de Cimetière protestant, est le plus ancien cimetière non catholique de Québec et l’un des plus anciens cimetières de la province. Il a servi de lieu de sépulture de 1772 à 1860, une période où l’immigration en provenance des îles britanniques a considérablement augmenté, le nombre de résidents anglophones atteignant jusqu’à 40 % de la population de Québec au milieu du 19e siècle. Les noms de 580 personnes sont commémorés sur les 314 pierres qui se trouvent toujours dans ce cimetière historique, mais ces individus ne sont que quelques-uns des 6000 à 10000 hommes, femmes et enfants qui y sont enterrés. La majorité était trop pauvre pour pouvoir s’offrir une pierre tombale ou autre monument. Leurs restes sont empilés en plusieurs couches sous la surface, sans rien pour évoquer leur mémoire.
Le cimetière, avec ses arbres majestueux et ses stèles anciennes, est un havre de paix et de verdure au cœur du quartier Saint-Jean-Baptiste densément peuplé. Le site est dominé par son église, un bel édifice néo-gothique en pierre, construit par étapes entre 1870 et 1900, par des architectes et artisans britanniques. C’est comme si un coin pittoresque de la Grande-Bretagne – une église paroissiale médiévale typique et un cimetière – avait été transporté à travers l’océan vers cette ville francophone d’Amérique du Nord.
Une réaffectation judicieuse
L’église est maintenant une bibliothèque publique et le cimetière un parc municipal. Ces transformations sont devenues possibles à la fin des années 1970, après que la congrégation en déclin ait décidé de quitter son lieu de culte pour unir ses forces à celles de la congrégation anglicane de Saint-Michael, dans la banlieue de Sillery. En 1978, l’église et le cimetière Saint-Matthew ont été désignés site historique par le gouvernement du Québec. Puis, en 1979, le site fut vendu à la Ville de Québec par le diocèse anglican, pour la somme symbolique d’un dollar, afin que l’église et le cimetière puissent être transformés en bibliothèque publique et parc.

La Bibliothèque du quartier Saint-Jean-Baptiste
Une bibliothèque, comme une église, est un lieu de contemplation tranquille. Le nouvel usage choisi était si compatible avec l’édifice existant que seuls des changements mineurs ont dû être apportés à l’intérieur de l’ancienne église. Les bancs ont été enlevés pour faire place aux étagères, aux tables et aux sièges, mais la chaire, les fonts baptismaux, les plaques commémoratives et les vitraux restent tous à leur emplacement d’origine. Il est important de noter que le bâtiment et le cimetière n’ont pas été désacralisés. L’entente entre le diocèse anglican et la Ville de Québec stipule que les services religieux peuvent encore être célébrés à l’occasion dans le sanctuaire de l’ancienne église et que, de temps à autre, les cloches de la tour sont encore sonnées. Bien que le cimetière serve désormais de parc municipal, il reste le dernier lieu de repos de milliers de personnes et demeure un terrain sacré.
Protéger le cimetière
Bien que la conversion du bâtiment de l’église en bibliothèque ait été un grand succès, le sort du cimetière s’est avéré plus problématique. Le terrain n’était pas toujours correctement entretenu par la municipalité et certaines pierres tombales avaient été endommagées ou vandalisées. En 1985-1986, la Ville de Québec, réagissant à la pression des citoyens, entrepris un grand projet de protection et de restauration du cimetière.
Les éléments clés de ce projet comprenaient :
- l’installation d’une clôture en fer ornemental, au sommet du mur de pierre entourant le cimetière, avec une porte qui pourrait être verrouillée pendant les heures de fermeture ;
- un éclairage, pour décourager les vandales la nuit ;
- des panneaux d’information décrivant la vie des personnes enterrées dans le cimetière.

Une deuxième intervention majeure
Malgré ces grandes améliorations, au fil des ans, d’autres problèmes d’entretien et de vandalisme sont apparus. Après des plaintes de citoyens inquiets et une publicité défavorable dans les médias, la Ville a répondu une fois de plus par une autre intervention majeure, entreprise entre 2009 et 2010.
Les éléments clés de ce projet comprenaient :
- la restauration des pierres tombales et des monuments funéraires ;
- la construction d’un nouveau mur de soutènement, avec une clôture en fer ornemental et une porte d’entrée ;
- la mise en place d’escaliers et de sentiers pédestres, composés de dalles de granit ;
- l’élaboration d’un nouveau mur de pierre avec clôture pour bloquer l’accès aux intrus de la partie sud-ouest ;
- la restauration et l’amélioration des luminaires existants ;
- l’installation de bancs, pour offrir aux visiteurs un endroit pour se reposer, évitant que les pierres tombales ne servent à cet usage ;
- un aménagement paysager comprenant l’ajout de plantes ornementales pour rehausser la beauté du site.
Au total, 850 000$ ont été investis dans ce projet, grâce à des fonds provenant de l’Entente de développement culturel entre la Ville de Québec et le ministère des Affaires culturelles et de la Condition féminine.


Contribution de l’auteur
Depuis de nombreuses années, je fais partie de ceux qui œuvrent pour protéger ce site et valoriser son importance historique. Dans les années 1980, j’ai joint le comité de citoyens inquiets qui réclamait à la Ville la protection de ce lieu, menant à sa restauration en 1985-1986. En 1987, j’ai publié, pour la revue Cap-Aux-Diamants un article sur l’architecture de l’église Saint-Matthew et l’histoire du cimetière. Plus tard, en 2009-2010, j’ai agi à titre de représentant officiel du diocèse anglican du Québec, pour aider à superviser la deuxième intervention majeure dans le cimetière. À cette époque, la Ville de Québec a fait preuve d’une grande sensibilité, travaillant en étroite collaboration avec le diocèse anglican et le Conseil de quartier Saint-Jean-Baptiste à toutes les étapes du processus. En 2009, la Ville a mandaté une équipe interdisciplinaire pour créer une visite iPod du cimetière. On m’a demandé d’aider à développer le scénario, d’écrire le texte et d’enregistrer la visite, en français et en anglais. La tournée est intitulée : « Qu’ils reposent en paix/May They Rest in Peace. »
Une visite iPod
La visite commence par le son des cloches d’église et les mots de bienvenue de la part de l’Église anglicane, prononcés par le révérend Bruce Myers, maintenant évêque du diocèse de Québec. Elle dure environ 40 minutes et comprend 12 arrêts. Elle ouvre une fenêtre sur ce qu’était la vie à Québec aux 18e et 19e siècles, avec des histoires et des anecdotes sur des gens de toutes les classes sociales : aristocrates, officiers militaires, capitaines de navires, constructeurs navals, marins et artisans — comme les tonneliers et les cordeliers qui fournissaient le gréement des voiliers du port. En créant cette tournée, nous voulions offrir une expérience émouvante en exploitant le côté humain de ce champ des morts. La narration comporte des récits dramatiques de batailles, de noyades, d’épidémies et même d’un meurtre. Elle comporte aussi plusieurs histoires tristes. Les pierres tombales portent les noms des femmes décédées en couche et ceux de bambins ou d’enfants ayant rendu l’âme peu après leur naissance. Certaines familles ont perdu jusqu’à cinq ou six enfants à la suite de décès prématurés. Sur les pierres, sont inscrits des textes et des poèmes qui peuvent être très émouvants à lire — certains sont inspirants, d’autres, déchirants.
La tournée iPod lancée en 2010 comprenait à l’origine une carte interactive du site, ainsi que des images historiques et des photographies de Luc-Antoine Couturier. Il y a quelques années, cependant, il a été modifié pour devenir un podcast audio moins élaboré. Les images et photographies historiques ont maintenant disparu, mais la tournée conserve toujours des effets sonores évocateurs et de la musique accompagne la narration. Il est accessible en français et en anglais. Pour télécharger le podcast sur l’App Store d’Apple. On peut également faire le tour en empruntant un iPod à la bibliothèque de l’ancienne église.


Archéologie et recherche scientifique
Des fouilles archéologiques ont été entreprises dans le cimetière entre 1980 et 2009. La restauration du mur sud de l’église, en 1999, 2000 et 2009, a nécessité le retrait des restes de 204 personnes. Avec l’approbation et la coopération du diocèse anglican du Québec, ces vestiges ont fait l’objet de nombreuses études scientifiques, sur une période de dix ans. Les restes ont ensuite été inhumés au cimetière Mount Hermon et, le 5 novembre 2015, l’évêque anglican Denis Drainville a présidé une liturgie funéraire à laquelle ont assisté des membres de la communauté anglophone, ainsi que des archéologues et des universitaires qui avaient travaillé sur des projets de recherche concernant ce cimetière. Plus tard dans l’année, lors d’une journée d’étude organisée par l’Université Laval, les résultats de certains des projets de recherche ont été présentés aux membres de la communauté anglicane et aux membres intéressés du public.
La recherche a été effectuée avec la participation de nombreuses organisations et institutions, notamment le diocèse anglican de Québec, la Ville de Québec, le ministère de la Culture et des Communications, l’Université de Toulouse, l’Université McMaster, l’Université du Québec à Montréal, l’Université Laval et l’Institut national de la recherche scientifique. Les recherches de maîtrise et de doctorat ont porté sur une grande variété de sujets, dont les interventions archéologiques dans le cimetière, la mise en valeur du patrimoine culturel, les rites funéraires d’autrefois, les maladies et la nutrition dans le passé, les origines sociales et ethniques des personnes enterrées dans le cimetière.
Une histoire continue
En 2016, la bibliothèque a été rebaptisée Bibliothèque Claire-Martin, après une importante rénovation de l’intérieur, à hauteur de 500 000 $. L’église et le cimetière de Saint-Matthew ont été adaptés à leurs nouvelles utilisations à des coûts et au prix d’efforts considérables, de même que grâce à la participation de nombreuses personnes, institutions et organisations gouvernementales. Espérons que cette réalisation servira d’exemple inspirant pour d’autres projets de ce type à l’avenir.