Restauratrice et éditrice en chef de l'Écomusée du Patrimoine
Depuis des années, nos concitoyens de confession musulmane – ils sont 350 000 au Québec – souhaitent disposer de lieux du dernier repos dans leur terre d’accueil. Un souhait légitime pour tout être humain et pourtant depuis longtemps ignoré par notre collectivité. Ce souhait a refait surface après l’attentat meurtrier survenu à la grande mosquée de Québec, le 27 janvier dernier.
Plus qu’un souhait, un besoin
Selon le Dr Brahim Benyoucef, journaliste et urbaniste, « les musulmans du Québec ne disposent que de deux cimetières confessionnels presque saturés, un sunnite et l’autre chiite, tous les deux à Laval. Récemment, trois carrés ont été réservés aux musulmans dans des cimetières non confessionnels, à Saint- Hubert, à Dollard-des-Ormeaux et à Laval. » (Le Soleil, 9 avril 2017)
Il y a bien eu un projet de cimetière musulman à Huntington, mais il a été rejeté par le conseil municipal pour des motifs que le maire Stéphane Gendron ne s’explique pas (La Presse, 26 août 2013). Les compensations municipales étaient pourtant au rendez-vous.
À Québec : pas de place
À Québec, aucun cimetière ou concession dans un cimetière n’est consacré aux disciples de cette religion. Ici encore, il y a bien eu un projet d’entente en 2008 avec le cimetière Belmont, à Sainte-Foy, mais il a avorté à cause des compensations municipales jugées démesurées. Depuis, le cimetière Belmont, qui a fusionné avec le Saint-Charles, ne souhaite plus vendre de concession. Pourtant, en 2013, il a monnayé à prix fort des lots dits excédentaires à la Ville de Québec, qui en a fait un dépotoir à neige.
On se rappellera le cri du cœur du maire Labeaume, quelques jours après l’attentat : « Je veux vous dire : vous aurez ce cimetière musulman. » (La Presse, 3 février 2017). Cette promesse qui avait suscité beaucoup d’espoir a fondu comme neige au soleil quelques jours plus tard quand il a expliqué que la Ville se limiterait à donner aux requérants musulmans un accès à des spécialistes municipaux. Même aide mitigée de la part du maire de Lévis, et même refus de la coopérative du cimetière du Mont-Marie qui gère une trentaine de champs des morts sur la rive sud. Chaque gestionnaire de cimetière y va de son conseil aux musulmans, se contredisant l’un l’autre quant à la meilleure approche à adopter.
Enfin une entente
Une entente est enfin survenue entre le Centre culturel islamique de Québec et le groupe Harmonia. Je rappelle ici qu’Harmonia, fondée en 2006, est une entreprise qui offre des services d’accompagnement aux personnes dans le deuil. Ses services étant axés sur la crémation, elle dispose d’un parc cinéraire à Saint-Apollinaire, un lieu de commémoration dédié à la disposition des cendres humaines. Le terrain, propriété d’Harmonia, est zoné Commercial industriel permettant l’usage des services funéraires et de la crémation et inhumation de cendres humaines. Selon Monsieur Sylvain Roy, président–directeur général de Parc cinéraire Harmonia-Saint-Apollinaire, qui a travaillé étroitement avec le Centre culturel islamique de Québec (CCIQ) depuis octobre 2016 donc bien avant l’attentat, à l’établissement dudit cimetière musulman, «celui-ci accueillera les corps des musulmans décédés suivant les rites musulmans. » Ces rites sont simples. Le corps doit être inhumé rapidement après le décès. Il doit avoir été lavé quatre fois, puis enveloppé de quatre linceuls blancs et mis en bière, selon la loi québécoise, seule province au Canada à exiger un cercueil. Le défunt est alors couché sur le côté droit. Après les prières rituelles, il est mis en terre de façon que sa tête soit orientée vers La Mecque.
À Saint-Apolinaire, le Parc cinéraire Harmonia est et demeurera un lieu laïque ou neutre, tandis que le Cimetière musulman de Québec voisin sera religieux et confessionnel. Cohabitation unique au Québec. Cette annonce de l’entreprise Harmonia a été faite le 20 février 2017.
Puis revirement de situation
Depuis cette annonce, une quinzaine de citoyens de Saint-Apollinaire se sont mobilisés pour faire avorter le projet. Comme celui-ci exige une modification de zonage, ils ont sollicité l’ouverture d’un registre de signatures pour la tenue d’un référendum sur cette modification. Ils ont obtenu gain de cause : le référendum devrait se tenir en juillet. Non satisfaits d’avoir gagné, ces mêmes citoyens demandent maintenant que le conseil municipal rejette le projet. Ils invoquent les coûts d’un référendum pour la municipalité et le fait qu’un soi-disant bien meilleur projet soit offert aux musulmans. Ces citoyens font allusion à l’offre d’une concession de 1 500 000 pi2 dans le cimetière privé de Lépine Cloutier/Athos, à Saint-Augustin-de-Desmaures. Ce cimetière, Les Jardins de Québec, est privé et non confessionnel. Peut-on qualifier une location de terrain de bien meilleur projet qu’une acquisition ? Les requérants musulmans ont l’intention de respecter le processus d’acquisition, mais il est à prévoir qu’advenant un refus de vente ils exigeront des justifications. Si celles-ci ne sont pas légales, on peut logiquement s’attendre à ce qu’ils intentent des recours. C’est l’escalade.
Des craintes et des braquages
Pour les municipalités, un cimetière représente une perte de revenus puisque ces entités ne paient pas de taxes. Elles peuvent toutefois négocier des compensations. Pour les acheteurs, il faut obtenir un changement de zonage et un certificat d’autorisation du ministère de l’Environnement. Rien d’insurmontable quand on y met un peu de bonne foi de part et d’autre. Le citoyen moyen éprouve certains malaises à l’endroit des adeptes de l’islam, étant donné l’existence avérée d’extrémistes qui utilisent la religion pour instrumentaliser la violence. Cette crainte devient irrationnelle quand elle tend à démoniser des morts. Les citoyens de confession musulmane sont venus au Québec, sachant qu’ici la liberté de conscience et de religion est inscrite dans nos lois. Serait-elle absente de nos valeurs ? Est-il juste et raisonnable de vouloir imposer à une minorité les traditions et les coutumes d’une majorité ? Les Québécois de confession musulmane veulent enterrer leurs morts entre eux et selon leurs rites et coutumes. L’intégration de ces personnes passe par l’ouverture aux autres. Quoi de plus légitime pour des croyants que de vouloir mourir dans la dignité et dans le respect de ses valeurs, tant que celles-ci ne nient pas les nôtres?
Avant de conclure
Nous ne pouvions conclure cet article, sans consulter un membre de l’Association de la sépulture musulmane au Québec. Hadjira Belkacem, aussi membre active de la Fédération Écomusée de l’Au-Delà, préside l’Association de la sépulture musulmane. Cette citoyenne québécoise de confession musulmane s’occupe depuis plusieurs années de trouver des lieux d’inhumation pour les défunts de sa confession. Son constat indique que l’obtention d’une concession réservée dans un cimetière existant, ce qu’elle appelle un carré musulman, est et demeure la meilleure des solutions. On le sait, l’entretien d’un cimetière exige une infrastructure d’accueil et de gestion, du personnel et des équipements. C’est pourquoi il y a de réelles économies d’échelle à s’associer à une entreprise funéraire existante pour créer ces lieux de dernier repos pour les communautés des différentes confessions musulmanes. Il faut réaliser que les musulmans de Québec et du Québec ne sont pas homogènes dans leur provenance, leur pratique et leurs croyances. Les adeptes de cette religion qui en 2015, représentaient près du quart de la population mondiale (deuxième religion en importance après le christianisme) sont divisés en plusieurs congrégations : sunnisme, chiisme, kharidjisme, etc. Une mosquée accueille les musulmans de l’une ou l’autre de ces congrégations. Accorder un cimetière à une congrégation, comme il est demandé à Québec, sans accommoder les autres ne serait pas équitable. _ On compte environ 10 000 musulmans dans la région et la Mosquée de Québec en accueille 500. _ Dans ce cas, combien faudrait-il créer de cimetières pour accommoder chaque communauté ? Chacune dispose-t-elle des moyens financiers pour soutenir l’entretien et la protection de ces lieux ? En Europe, il n’y a pas de concession affectée à une mosquée, mais des carrés intégrés dans des cimetières existants. En France, il existe maintenant 250 de ces carrés musulmans.
Madame Hadjira Belkacem dit s’être rendue à Québec après l’attentat de janvier pour offrir l’aide de son association, mais ce fut une fin de non- recevoir. Contrairement, à l’affirmation de l’imam de Québec, l’offre d’une concession dans Les Jardins de Québec à Saint-Augustin-de-Desmaures dont il a été question dans cet article est de loin antérieure aux événements de janvier, mais l’iman insiste pour disposer d’un cimetière propre à sa mosquée et ce quitte à ce qu’il soit plus éloigné de la concentration musulmane de Québec : 15 km de plus pour se rendre à Saint-Apollinaire qu’à Saint-Augustin. À l’opposé du cimetière privé relevant d’une mosquée, un carré musulman accueille les défunts de toutes les congrégations souscrivant au Coran évitant de reproduire dans la mort les schismes existants dans la vie et qui ont parfois justifié les flux migratoires vers des terres d’accueil. Ne serait-il pas préférable pour les familles de pouvoir compter sur la proximité d’un de ces carrés facilement accessibles et bien entretenus où elles pourraient ensevelir leur défunt selon les rites et croyances qui leur appartiennent et venir à l’occasion retrouver le calme et la paix nécessaires leur permettant de rétablir le contact spirituel avec le défunt perdu ?