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La commémoration et le patrimoine au Québec, deux histoires parallèles

Fernand Harvey

Historien, Professeur associé à la Chaire Fernand-Dumont sur la culture de l'INRS, Auteur

Cette exposé est une version révisée d’une communication au Forum « Mort, sépulture et commémoration, organisé par l’Écomusée du patrimoine funéraire et commémoratif au Montmartre canadien à Québec, jeudi 11 novembre 2022.

            La commémoration et le patrimoine ont chacun une longue histoire au Québec, mais jusqu’à récemment, leur cheminement a davantage évolué en parallèle qu’en complémentarité.

La commémoration évoque par une cérémonie ou un narratif le souvenir d’une personne, d’un groupe ou d’un événement. Elle revêt, de ce fait, une dimension historique à différentes échelles : internationale, nationale, régionale ou locale et peut également revêtir un caractère public ou privé. La dimension publique et nationale de la commémoration sera privilégiée dans cet exposé en prenant pour exemple le cas de la ville de Québec que j’ai analysé plus systématiquement antérieurement[1]. Le cas de Montréal et des autres régions du Québec seraient tout aussi intéressants à étudier et il en sera fait référence au passage.

Le monument commémoratif est l’un des nombreux moyens de transmettre la mémoire collective dans une société. D’autres types de commémoration existent également tels les plaques commémoratives, les panneaux d’interprétation, les célébrations d’anniversaire d’une ville ou d’un personnage public, les expositions muséales autour d’un personnage ou d’un événement heureux ou dramatique, les fresques historiques, sans oublier la toponymie.

[1]Version révisée d’une communication au Forum « Mort, sépulture et commémoration, organisé par l’Écomusée du patrimoine funéraire et commémoratif au Montmartre canadien à Québec, jeudi 11 novembre 2022.

Le dualisme commémoratif à Québec au 19e siècle

À Québec, la commémoration se manifeste pour la première fois à la fin des années 1820. La bataille des plaines d’Abraham de 1759 offre un premier événement de commémoration particulièrement significatif pour les administrateurs britanniques désirant rappeler le fait d’armes du général James Wolfe, héros d’une victoire décisive pour l’empire britannique en Amérique du Nord. Mais, bonne entente oblige, le gouverneur Dalhousie à l’origine de cette initiative prend soin d’y associer la mémoire de Montcalm, le général français vaincu lors de cette bataille. Complété en 1828, ce monument prend la forme d’un obélisque installé dans le jardin des gouverneurs, près de l’actuel Château Frontenac.

Monuments à Wolfe et Montcalm
Premier monument à Wolfe et Montcalm des gouverneurs 1924
Monument à Wolfe sur les plaines d'Abraham. 1913
Monument à Montcalm vaincu, 1911

Cette dialectique commémorative entre Wolfe et Montcalm va s’ancrer profondément dans la conscience historique des élites politiques et culturelles de la ville de Québec tout au long du 19e siècle et ce jusqu’à la première guerre mondiale. Cette idéologie de la bonne entente dominée par la glorification de l’empire britannique se manifeste avec l’érection d’un second monument à Wolfe érigé sur les plaines d’Abraham par le gouverneur Aylmer en 1832, puis refait en 1849 et à nouveau en 1913 par la Commission des champs de bataille. Du côté francophone, on y répondra par un monument à Montcalm, héros vaincu de 1759, érigé en 1911 sur la Grande Allée pour souligner le 150e anniversaire de sa mort. La même dualité commémorative peut être observée à l’entrée principale de l’Hôtel du Parlement où la statue de Wolfe, vainqueur des plaines d’Abraham côtoie celle de Montcalm, vainqueur de la bataille de Carillon.

La célébration des Braves de 1760

Translation des restes des soldats de la bataille de Sainte-Foy (1960) vers le futur monument des Braves, Québec, le 5 juin 1854 et inauguration du monument des Braves en 1863

L’idéologie de la bonne entente, une fois encore, s’exprime lors de l’inauguration en 1864 du monument des Braves pour commémorer les soldats anglais et français tués lors de la bataille de Sainte-Foy en 1760.

Les fêtes du Tricentenaire de Québec en 1908

Une mise en scène de la. bonne entente commémorative: les armées de Wolfe et de Montcalm, paradant côte-à-côte, lors du Tricentenaire de Québec en 1908

La plus grande manifestation de ce type de commémoration binationale est sans conteste l’organisation des fêtes du Tricentenaire de Québec en 1908, une commémoration cependant marquée par d’importantes divergences d’interprétation. Le courant nationaliste incarné par la Société Saint-Jean Baptiste de Québec voulait célébrer Champlain et les origines de la Nouvelle-France, tandis que de son côté le gouverneur général lord Grey, un ardent impérialiste, souhaitait rappeler les hauts faits de la bataille des plaines d’Abraham afin de valoriser la grandeur de l’empire britannique et rappeler la bonne entente entre francophones et anglophones[1]. De fait, un grand pageant historique a été organisé sur les plaines d’Abraham ou des figurants des armées française et anglaise défilaient côte-à côte.

Des fissures avaient toutefois commencé à apparaître dans le narratif de la commémoration, dominé jusque-là par l’impérialisme britannique. Un travail de mémoire s’était amorcé au sein des élites canadiennes-françaises à la suite des travaux de l’historien François-Xavier Garneau qui publie son Histoire du Canada en quatre volumes entre 1845 et1852.  Voulant répondre au rapport de lord Durham qui affirmait que les Canadiens français n’avaient pas d’histoire ni de littérature, Garneau fait découvrir à ses lecteurs les héros de la Nouvelle-France ainsi que les hommes politiques qui ont lutté pour la reconnaissance des droits des Canadiens français sous le régime anglais. Ce sont ces travaux de Garneau qui vont inspirer diverses activités de commémoration et l’érection de statues et de monuments à la mémoire des gloires du passé. L’inauguration en 1898 du monument à Samuel de Champlain, fondateur de Québec, illustre bien l’impact des recherches des historiens de l’époque sur les cérémonies de commémoration. On en retrouve également les traces sur la façade de l’Hôtel du parlement, conçu comme un mémorial aux héros du régime français et du régime anglais.

[1] H.V. Nelles, L’histoire spectacle : le cas du tricentenaire de Québec, Montréal, Boréal, 2003, 428p. Fernand Harvey, « La vie culturelle, 1868-1939 », dans Marc Vallières et al., Histoire de Québec et de sa région, t. 2, Québec, Presses de l’Université Laval, 2008, p. 1436-1438.

La façade de l’Hôtel du parlement vue comme un mémorial

La façade de l'Hôtel du parlement vu comme un mémorial par l'architecte Eugène-Étienne Taché
Photo Fernand Harvey

Translation des restes de Mgr Laval en 1878

Translation des restes de Mgr Laval à la basilique de Québec en 1878 (L'Opinion publique)
Tombeau de Mgr Laval, chapelle funéraire aménagée à la basilique de Québec en 1993

L’Église catholique se positionne aussi pour imposer sa vision religieuse de la commémoration dans la mémoire collective. Les translations des restes de Mgr Laval s’étaient déroulées en grande pompe en 1878. Pour l’année du Tricentenaire, un projet de monument à Mgr Laval est lancé en 1898 pour être finalement inauguré en 1908. Sans doute, ne fallait-il pas laisser toute la place à Champlain. Il est intéressant de noter que les cérémonies de commémoration du 19e siècle et du début du 20e siècle, conçues comme des événements-spectacle attirent, de ce fait, des foules nombreuses à Québec.

Inauguration des monuments à Champlain et à Mgr Laval

Monument à Champlain, 1898
Monument à Mgr Laval,1908

Au cours de cette longue période de commémorations patriotiques qui se termine avec la seconde guerre mondiale, divers personnages ou événements sont aussi commémorés. Mentionnons au passage les monuments à François-Xavier Garneau (1912), Honoré Mercier (1912), Jacques Cartier (1926), Louis Hébert (1918), le cardinal Taschereau (1923) Georges-Étienne Cartier (1927), ainsi que le monument de la Foi (1916) qui rappelle l‘arrivée des Récollets à Québec trois siècles plus tôt.

À Montréal, au cours de la même période, on observe un mouvement commémoratif qui reflète la dualité culturelle et linguistique de la métropole. D’un côté, les héros de la Nouvelle-France tels Maisonneuve (1895) et Jeanne Mance (1909) et plus tard les monuments à Georges-Étienne Cartier (1919), à Dollard Des Ormeaux (1920), aux Patriotes de 1837-38 (1926) et à Louis-Hyppolite Lafontaine (1930). De l’autre côté de la barrière linguistique, on retrouve les monuments érigés par la bourgeoisie anglophone à la gloire de la reine Victoria (1869), John A.Macdonald (1895) et Édouard VII (1914), sans oublier la célèbre colonne de l’amiral Nelson (1908) dans le Vieux-Montréal, à laquelle fera contrepoids la statue de Vauquelin (1927).

L’émergence d’une politique du patrimoine et la marginalisation de la commémoration, à partir des années 1920

Toutes ces initiatives de commémoration qui ont pris naissance au 19e siècle s’essoufflent au seuil de la deuxième guerre mondiale. Parallèlement, ce sont les initiatives en faveur de la protection du patrimoine qui prennent le relais, en quelque sorte, avec la création par Athanase David, secrétaire de la province sous le gouvernement de Louis-Alexandre Taschereau, de la Commission des monuments historiques de la province de Québec en 1922. Jusque-là, la protection du patrimoine – essentiellement le patrimoine bâti – demeurait le fait d’initiatives privées, tant dans les milieux anglophones que francophones. On se souviendra que la démolition des murs de Québec prônée par les autorités municipales au nom du progrès avait été évitée grâce à l’intervention du gouverneur-général du Canada, lord Dufferin, après le départ des troupes britanniques de Québec en 1871.

Les fortification de Québec après 1871
Un patrimoine sauvé de justesse par lord Dufferin, gouverneur général du Canada, après le départ des troupes britannique de Québec en 1871

À partir des années 1920, l’accélération de l’urbanisation au Québec n’est sans doute pas étrangère à cette prise de conscience d’un patrimoine bâti qui risquait de disparaître dans le milieu rural comme dans le milieu urbain. Or, jusque-là, on préférait ériger des monuments commémoratifs pour préserver la mémoire collective plutôt que de préserver les témoins matériels du passé.

Athanase David et la Commission des monuments historiques

La création de la commmission des monuments historiques en 1922

Une publication de luxe de la commission
Louis-Athanase David, secrétaire de la Province, de 1920 à 1936
Pierre-Georges Roy, archiviste et membre de la commission

Durant l’entre-deux guerres, la Commission des monuments historiques avait sensibilisé la population à la nécessité de préserver le patrimoine historique de la ville. Cette loi n’avait cependant aucun pouvoir de coercition auprès des propriétaires désirant démolir ou altérer un immeuble à caractère patrimonial.

Au cours des années 1950, divers cas litigieux qui portaient atteinte au caractère historique et patrimonial du Vieux-Québec – comme la démolition de certaines maisons et l’agrandissement de l’Hôtel-Dieu – alertent l’opinion publique et contribuent à renforcer progressivement les dispositions de la loi sur le patrimoine ainsi que la réglementation municipale. Un amendement, en 1952, permet à la Commission des monuments historiques d’acquérir de gré à gré un immeuble menacé de destruction. Un second amendement, en 1956, confère à la Commission des pouvoirs d’expropriation. Plus tard, en 1963, une refonte de la loi introduit la notion « d’arrondissement historique » pour mieux assurer la préservation d’ensembles patrimoniaux comme celui du Vieux-Québec[1]. C’est dans cet esprit que s’amorcent de vastes travaux de restauration de la place Royale au tournant des années 1970.

[1]La loi des biens culturels de 1972 élargit le cadre d’intervention de l’État et, finalement, la loi de 2011 intègre même la notion de « patrimoine immatériel » et confère des pouvoirs accrus aux municipalités et aux communautés autochtones.

Travaux de restauration de la place Royale

La restauration de la Place Royale: primauté au patrimoine sur la commémoration
Pierre Laporte, ministre des Affaires culturelles devant la maquette du projet de restauration de la place Royale.
Travaux de restauration de la place Royale au début des années 1970

En 1972, la Commission change de nom et élargit son mandat en devenant la Commission des biens culturels, alors présidée par Georges-Émile Lapalme. De leur côté, les municipalités sont invitées par l’État québécois à participer directement à la sauvegarde du patrimoine depuis les années 1980.

En somme, à partir des années 1920, le contexte social aura été propice à la mise en scène du patrimoine comme lieu de mémoire, en reléguant toutefois au second plan l’érection de nouveaux monuments commémoratifs[1]. Des activités de commémoration ont néanmoins pu se manifester au cours de cette époque en lien avec des anniversaires historiques comme le Tricentenaire de Trois-Rivières en 1934, le 300e anniversaire de la naissance de Louis Jolliet en 1945 ou le 400e anniversaire de la mort de Jacques Cartier, en 1957.

[1] Pour plus de détails : Fernand Harvey, « La vie culturelle, 1940-2008 », t. 3, dans Marc Vallières et al., Histoire de Québec et de sa région, Québec, PUL, 2008, p. 1996-2005.

Le second mouvement de commémoration depuis les années 1980

À Québec, le premier mouvement de commémoration d’avant 1930 avait été l’œuvre de plusieurs acteurs : les autorités coloniales célébrant la grandeur de l’empire britannique, les sociétés patriotiques comme la Société Saint-Jean-Baptiste, l’Église catholique et l’État provincial après 1867. Les autorités municipales y ont été associées sans pour autant exercer un rôle de leadership. Après plusieurs décennies de déclin, les activités de commémorations connaissent un second souffle à partir des années 1980. Les acteurs du mouvement et les paramètres de la commémoration diffèrent passablement en comparaison avec la période antérieure.

Plusieurs facteurs expliquent le retour de la commémoration. La création de la Commission de la capitale nationale par le gouvernement du Québec en 1995 marque une volonté de coordination de l’activité commémorative par les pouvoirs publics, en partenariat avec différentes instances publiques et privées, notamment en ce qui concerne le financement[1]. La colline parlementaire devient alors un secteur d’intervention prioritaire, mais non exclusif, puisque le mandat de la Commission se situe à l’échelle de la région métropolitaine.

Le cheminement des différents dossiers commémoratifs ne semble pas pour autant procéder d’un plan d’ensemble bien établi. En effet, la Commission répond plutôt aux demandes qui lui sont faites par différents individus ou groupements et juge de leur pertinence avant d’assurer la coordination des projets acceptés. Parmi les partenaires actifs, mentionnons l’Assemblée nationale, pour les monuments situés sur la colline parlementaire, la Ville de Québec, les associations « d’amis » d’un personnage politique décédé, les associations patriotiques et les communautés religieuses.

Au fil des années, la colline parlementaire est devenue un véritable lieu de mémoire consacré aux premiers ministres du Québec avec l’aménagement de la Promenade des premiers ministres aménagée par la CCN. Inaugurée par le premier ministre Lucien Bouchard en 1997, ce mémorial rappelle le souvenir et les réalisations des 26 premiers ministres qui ont gouverné le Québec de 1867 à 1996.

[1] La Commission de la capitale nationale. Dix ans 1995-2005, Québec, la Commission, 27p. Commémoration, p. 17.

Un rapprochement entre la commémoration et le patrimoine : le cas du cimetière de l’Hôpital général de Québec

Au cours de la première vague de commémoration, la mémoire de Montcalm et celle de Wolfe avaient été rappelées plus d’une fois. Au tournant du XXIe siècle, une nouvelle problématique redessine les contours de la mémoire collective de ces événements à la lumière des progrès de la recherche et des relations entre la France et le Québec qui n’existaient pas dans les mêmes termes, un siècle plus tôt.

Les travaux de l’historien Jean-Yves Bronze attirent l’attention des acteurs politiques de Québec sur l’importance mémorielle d’un cimetière oublié : celui de l’Hôpital-Général. Bronze considère alors ce site comme un cimetière militaire, le seul qui subsisterait en Amérique du Nord en lien avec les soldats de la Guerre de Sept-Ans[1]. Une contre-expertise vient modérer son enthousiasme puisque l’appellation de « cimetière militaire » n’apparaît qu’après la Première Guerre mondiale. De plus, l’analyse des registres d’inhumation tenus par les religieuses augustines permet d’affirmer que 75% des 4 017 sépultures ainsi identifiées entre 1728 et 1981 sont constituées de « pauvres » soignés à l’Hôpital-Général, d’où sa dénomination populaire de « cimetière des pauvres ». Il n’en demeure pas moins que le quart des sépultures concerne des soldats morts au combat ou à la suite de blessures lors de diverses batailles entre 1755 et 1760, soit environ mille hommes, essentiellement des soldats français, bien qu’une trentaine de soldats anglais s’y trouvent également. En outre, la présence de 17 chevaliers de Saint-Louis parmi les soldats français inhumés confère à ce cimetière une importance particulière.

Bien que la Commission de la capitale nationale rejette la notion de « cimetière militaire » ou « cimetière des héros » proposée par Bronze, on retient néanmoins l’importance historique de ce site. Se posait néanmoins la question de savoir qui commémorer, compte tenu de la pluralité mémorielle du lieu. Dans son avis à la Commission, le géographe Henri Dorion qui présidait un groupe de travail mandaté à cette fin par la CCN évoque trois pistes possibles : la mémoire des militaires en guerre, la mémoire de l’indigence au cours des siècles, la mémoire de la charité des religieuses augustines. Les trois niveaux de mémoire sont finalement retenus[2].

Le cheminement de ce dossier commémoratif plutôt complexe doit être mis en parallèle avec celui du marquis de Montcalm dont le point de départ est différent. À l’automne 1999, Philippe Séguin, ancien président de l’Assemblée nationale française en visite à Québec, avait déploré le peu d’honneurs rendu à la dépouille de Montcalm, alors conservée à la chapelle des Ursulines. Il obtient l’appui du premier ministre Lucien Bouchard et de Louise Beaudoin, ministre des Relations internationales, afin d’examiner les moyens de rehausser le niveau de commémoration du général. La Commission de la capitale nationale explore alors divers scénarios pour la sépulture pour finalement opter pour le cimetière de l’Hôpital-Général. D’autant plus qu’on pourrait ainsi associer Montcalm à ses soldats dont plusieurs reposaient déjà dans ce cimetière. Un accord est conclu avec les augustines pour transformer le caveau inutilisé en mausolée pour la dépouille du général, alors qu’une partie du cimetière est réaménagée pour souligner la présence des soldats français enterrés à cet endroit. Le caractère hautement symbolique du lieu est rehaussé par l’installation d’un mémorial à la Guerre de Sept-Ans. Intitulée « Traversée sans retour », une sculpture signée par l’artiste Pascale Archambault domine le tout[3].

Une importante cérémonie de dévoilement se tient le 11 octobre 2001, en présence des autorités civiles et religieuses dont le premier ministre Lucien Bouchard, l’archevêque de Québec, Mgr Maurice Couture, le consul général de France, Jacques Audibert, ainsi que les descendants du marquis de Montcalm. Cette cérémonie a été précédée d’un cortège funèbre transportant les restes de Montcalm de la haute-ville vers son nouveau lieu de sépulture en respectant scrupuleusement le rituel militaire du 18e siècle[4].

[1] Jean-Yves Bronze, Projet de commémoration du Cimetière des héros, mars 1998. Le contenu de ce dossier sur le cimetière de l’Hôpital-Général est tiré de la thèse de Dominique-Valérie Malack, Identités, mémoires et constructions nationales; la commémoration extérieure à Québec, 1889-2001, thèse de Ph.D. (géographie), Université Laval, 2003, p. 95-125.

[2] Dominique-Valérie Malack, op. cit., p. 115-117.

[3] Pour une description plus complète de l’aspect symbolique rattaché à l’aménagement de ce lieu historique, voir le site de la Commission de la capitale nationale : http://www.capitale.gouv.qc.ca/realisations/monuments-plaques-oeuvres/memorial-de-la-guerre-de-sept-ans.html

[4] Entrevue avec Denis Angers, directeur de la promotion et des communications à la Commission de la capitale nationale, 4 déc. 2012.

La traversée sans retour », œuvre de Pascale Archambault pour le mémorial de la Guerre de Sept-Ans au cimetière de l’Hôpital-Général de Québec

Un cas de convergence entre la commémoration et le patrimoine; le cimetière de la la Guerre de Sept ans près de l'hôpital général de Québec; le cimetière aménagé
Photo Fernand Harvey
Photo Fernand Harvey

Translation des restes du marquis de Montcalm, au cimetière de l’Hôpital-Général, le 11 octobre 2001.

Un cas de convergence entre la commémoration et le patrimoine; le cimetière de la la Guerre de Sept ans près de l'hôpital général de Québec; le mémorial au général de Montcalm
Translation des restes de Montcalm, boul. Langerier en route vers le cimetière de la Guerre de Sept Ans, 11 octobre 2001. Photo Fernand Harvey
Mémorial du général Montcalm au cimetière de l'hôpital général du Québec / Guerre de Sept Ans
Mémorial du général Montcalm au cimetière de l'hôpital général du Québec / Guerre de Sept Ans

Cette commémoration est sans doute la plus complexe de cette seconde vague enclenchée à Québec depuis les années 1980. La construction de la mémoire rattachée à la guerre de Sept-Ans est le résultat de cheminements croisés entre différents intervenants. L’expertise des historiens y joue certes un rôle fondamental au départ, mais l’intervention des décideurs politiques appuyée par les instances administratives demeure déterminante pour sa matérialisation. Les acteurs présents dans ce dossier sont nombreux : la Commission de la capitale nationale, comme instance de coordination, le cabinet du premier ministre du Québec, le ministère de la Culture et des Communications, le ministère des Relations internationales, la Ville de Québec, le conseil de la Fabrique de la basilique Notre-Dame, la communauté des Augustines, la Société historique de Québec, le Consulat de France à Québec et Souvenir français, un organisme dédié à la mémoire des soldats français[1]. À ces divers intervenants vient s’ajouter, en parallèle, la Commission des lieux et monuments historiques du Canada qui a apposé une plaque commémorative à l’entrée du cimetière en 1998 pour en souligner le caractère historique national. Cette désignation faisait suite à une demande effectuée par Jean-Yves Bronze, l’historien à l’origine de cette mobilisation, tel qu’on l’a souligné.

Cette commémoration de Montcalm et de la Guerre de Sept-Ans marque une certaine rupture par rapport à la première vague de commémoration qui rappelle un aspect particulièrement sensible de l’histoire de Québec. Alors qu’au 19e siècle on s’en tenait à des événements spécifiques en fonction du lieu – la bataille des plaines d’Abraham et la bataille de Sainte-Foy – la nouvelle commémoration des années 2000 replace ces événements dans le contexte international de la Guerre de Sept-Ans. Quant à Montcalm, son image de vaincu véhiculée antérieurement fait place à celle d’un général français courageux, acteur important de cette guerre européenne avec son prolongement dans le contexte nord-américain.

[1] Dominique-Valérie Malack, op. cit., p. 114-115. Il convient de souligner que n’eût été le refus de la Fabrique de la cathédrale Notre-Dame de Québec, le cimetière de l’Hôpital-Général ne serait pas devenu un lieu commémoratif.

Une réflexion sur l’évolution des tendances en matière de commémoration

La commémoration, faut-il le rappeler, est une négociation constante avec le passé en fonction des intérêts du présent. Dans ce travail sur la mémoire collective, des divergences, voire des oppositions se manifestent et succèdent aux périodes de consensus ou d’interprétation majoritaire. Au terme de ce tour d’horizon, il s’avère utile de dégager quelques pistes de réflexion. D’abord, il importe de rappeler certaines constantes de la commémoration au Québec, pour ensuite évoquer certains conflits engendrés par certaines initiatives. Dans un deuxième temps, on examinera les inévitables mutations commémoratives pour terminer avec un constat : celui du rapprochement observé récemment entre la commémoration et le patrimoine.

Les constantes de la commémoration au Québec : les hommes politiques et les militaires

  • La commémoration des acteurs politiques et militaires est présente au Québec depuis l’érection du premier monument à Wolfe et Montcalm, au début du 19e siècle, jusqu’à l’aménagement de la promenade des premiers ministres du Québec sur la colline parlementaire au cours des récentes décennies.

 

  • Après la célébration des hommes politiques du 19e siècle qui ont combattu pour « nos droits » comme on disait à l’époque, une seconde vague de commémoration s’exprime depuis les années 1970 pour rappeler les accomplissements des principaux acteurs politiques depuis la seconde guerre mondiale et la Révolution tranquille.

 

  • Quant à la commémoration militaire, elle s’est surtout intéressée aux grandes figures militaires, tels d’Iberville, Wolfe, Montcalm, Lévis et Salaberry. Par ailleurs les soldats morts lors des deux guerres mondiales ont aussi fait l’objet de monuments commémoratifs, non seulement à Montréal et à Québec, mais aussi dans diverses autres villes du Québec, car ce type d’événement dramatique a eu un impact local non négligeable, comme le rappelle la liste des soldats tués et originaires du milieu.

Commémorations militaires populaires : Marins de la marine marchande atlantique et soldats de St-Lambert morts à la guerre

La commémoration militaire populaire
Les marins québécois de la marine marchande canadienne perduss en mer lors de la 2ième guerre mondiale. Photo Fernand Harvey
Monument aux soldats originaires de St-Lambert tués lors des deux guerre mondaile, 2022. Photo Fernand Harvey

Les conflits de la commémoration

  • Toute commémoration qui prend la forme plus durable d’une statue ou d’un monument ne fait pas toujours l’unanimité au sein des milieux politiques et sociaux, sans compter que le rapport au passé se modifie au fil des années. Ainsi, en voulant déboulonner la colonne de Wolfe sur les plaines d’Abraham ou la statue de la reine Victoria à Montréal au cours des années 1960, le Front de libération du Québec (FLQ) voulait attaquer des symboles du colonialisme britannique. En août 2020, c’était au tour de la statue de John A. Macdonald d’être déboulonnée, cette fois par des militants de la cause autochtone. Il va sans dire que le déboulonnage de statues, plutôt rare au Canada, est courant dans d’autres pays du monde lorsque la population se libère d’une dictature et des symboles qui lui sont rattachés.

 

  • D’une façon plus générale, la décision de commémorer certains personnages publics peut faire l’objet de désaccord, de rivalité, voire d’hostilité. Ainsi, la statue du général de Gaule, érigée face aux Plaines d’Abraham et derrière la statue de Montcalm en 1997 avait suscité la controverse entre souverainistes et fédéralistes, deux ans après l’échec du second référendum sur l’indépendance du Québec.

 

  • Il importe d’amorcer une réflexion sur la commémoration de sujets sensibles qui doivent être replacées dans leur contexte historique, c’est-à-dire en utilisant la présence d’un monument, d’une statue à des fins de réévaluation, de pédagogie, de mise à niveau des connaissances et des règles actuelles du vivre ensemble dans les sociétés d’aujourd’hui.

Les mutations de la commémoration

  • En comparant le type de commémoration d’avant et d’après les années 1960, on se rend compte d’une importante mutation dans les sensibilités sociales. Avant la Révolution tranquille, l’accent était mis sur les fondateurs de la colonie et les grands personnages de la Nouvelle-France, tant au plan civil que religieux. Ce type de commémoration touchait également les hommes politiques du 19e siècle comme l’a rappelé précédemment.

 

  • À partir des années 1960, le nouveau nationalisme québécois qui affirme sa modernité par opposition au nationalisme traditionnel du Canada français aura un impact à long terme sur qui et quoi commémorer. Dans un premier temps, les décennies 1970 et 1980 ont exprimé la ferveur néonationaliste de ce Québec en pleine mutation politique, économique et culturelle. L’accent a été mis sur la préservation du patrimoine plutôt que sur la commémoration des héros du passé.

 

  • Au tournant du 21e siècle, de nouvelles sensibilités de nature communautaire et diversitaire se sont manifestées appelant à de nouveaux sujets de commémoration. Ainsi, des monuments plus récents s’intéressent à l’action des communautés religieuses d’hommes et de femmes dans le domaine de l’éducation, de la santé et du bien-être social. Cette commémoration de la bienveillance diffère de l’hommage passé qui a été faite aux grandes figures du haut-clergé.

 

  • D’une façon plus générale, jusqu’où peut-on commémorer la bienveillance ? S’adresse-t-elle à des actions envers les personnes ou aura-t-elle dans un avenir pas si lointain à tenir compte des actions de sauvegarde envers les animaux en voie d’extinction ou encore envers la sauvegarde de l’environnement ?

Les communautés enseignantes

Monuments aux communautés enseignantes
Soeurs éducatrices, 1957. Photo Fernand Harvey
"L'envol", monument aux 11 communautés de frères éducateurs, 2000. Photo Fernand Harvey

Les communautés soignantes

Monuments aux soeurs dans le domaine de la santé et du bien-être social: la commémoration bienveillante
"Compassion", monument aux religieuses de l'hôpital général de Québec, 2006. Photo Fernand Harvey
Monument aux soeurs de la Charité de Québec: acceuillir les orphelines, instruire et éduquer, soigner les malades, nourrir les pauvres, 2020. Photo Fernand Harvey
  • Du côté des Premières nations, bien que l’architecte Eugène-Étienne Taché, concepteur de la façade de l’Hôtel du parlement leur ait réservé une place de choix à l’entrée centrale de l’édifice dès 1890, cela avec une œuvre du sculpteur Louis-Philippe Hébert consacré à la famille amérindienne, ce n’est que plus récemment qu’une nouvelle sensibilité à leur égard a pu se manifester avec l’érection en 1987 de deux stèles représentant la rencontre de deux cultures personnifiées par Jacques Cartier et Donnacona. Quant à l’ajout d’un Inukshuk sur la colline parlementaire, il symbolise l’amitié entre le peuple québécois et le peuple Inuit du Nord-du-Québec.

Commémoration des premières nations

La commémoration des premières nations
La famille amérindienne, 1890. Photo Fernand Harvey
"Rencontre de deux cultures", 1987. Parc Cartier-Brébeuf. Photo Fernand Harvey
L'Inukshuk, 2002. Photo Fernand Harvey
  • La place des femmes dans la commémoration a toujours été présente, mais en mode mineur et surtout dans le cadre des communautés religieuses. L’érection, en 2012, d’un monument en hommage aux femmes en politique symbolisé par quatre pionnières est désormais bien en vue sur la colline parlementaire.

Les femmes pionnières en politique

Les femmes dans la commémoration: de la religion à la politique
Marie de l'incarnation, couvent des ursulines de Québec. Photo Fernand Harvey
Femmes pionnières de la vie politique au Québec. Photo Fernand Harvey
  • La commémoration culturelle et artistique. Au cours des années récentes, on peut aussi noter le développement d’une commémoration culturelle et artistique avec l’installation de bustes de divers artistes et écrivains québécois ou étrangers.

 

  • Du côté de l’immigration et des communautés culturelles, il reste encore beaucoup à faire pour intégrer cet apport historique dans le courant général de la commémoration. À cet égard, on note une plus grande sensibilité à Montréal pour la thématique mémorielle de l’immigration, bien que l’aménagement par Parcs Canada du site historique de Grosse-Ile-et-le-Mémorial-des-Irlandais en aval de Québec ait ouvert la voie à l’échelle nationale.

Les immigrants à Montréal

La commémoration de l'imigration à Montréal
L'immigrant grec- Parc Extension pour le 375ième anniversaire de Montréal.
L'immigrant, oeuvre de 1987, Parc Ladauversière, quartier St-Léonard, Montréal
  • La commémoration et l’art publique. Un autre aspect observable dans les mutations de la commémoration fait référence à son intégration dans le réseau de l’art public des villes. C’est particulièrement le cas à Montréal où le site Web qui recense les monuments historiques met davantage l’accent sur l’artiste et son œuvre, reléguant plus loin dans la présentation le contenu historique du monument[1].

[1] À titre d’exemple : le monument à Maisonneuve : https://artpublicmontreal.ca/oeuvre/monument-a-paul-de-chomedey-sieur-de-maisonneuve

Un rapprochement entre la commémoration et le patrimoine

Si l’on a pu observer un rapprochement entre la commémoration et le patrimoine, cela tient au fait que les deux approches du passé se sont élargies, chacun de son côté, et ont fini par partager un certain terrain de collaboration. Le patrimoine à débordé de ses seules préoccupations d’origine pour le bâti pour ajouter au cours des années des ensembles immobiliers et des paysages, tout en s’intéressant à divers patrimoines sectoriels concernant le monde industriel, maritime, forestier, ainsi que les archives et le patrimoine immatériel. Quant à la commémoration, elle a su déborder du seul récit national et de la célébration des grands hommes pour s’intéresser à la dimension sociale et populaire de la conscience historique. L’échelle locale et régionale de la commémoration s’en est trouvée valorisée. Moins organisée sous forme de grands spectacles pour attirer les foules, la commémoration poursuit néanmoins sur des bases plus modestes le travail pour maintenir et développer une conscience d’appartenance à différents niveaux des rapports sociaux.

Ainsi liés l’un à l’autre, la commémoration et le patrimoine doivent développer une pédagogie pour permettre à la population d’aller plus loin que la contemplation d’un décor à caractère historique ou encore la délectation des œuvres d’art public. La commémoration et le patrimoine s’inscrivent aussi dans une quête de sens pour ceux qui habitent les lieux ou pour les visiteurs de l’extérieur. Cette pédagogie peut se développer dans le cadre de visite des lieux par des groupes scolaires ou par visites guidées. Cette approche n’exclut pas pour autant des manifestations de plus grande envergure à l’occasion d’anniversaires spécifiques.

Quelques réflexions complémentaires post-forum sur les « silences » de la commémoration

Les discussions et les échanges qui ont eu lieu lors de ce Forum m’amènent à quelques réflexions complémentaires dans le but d’enrichir le sujet pour les stratégies de commémoration à venir.

La recherche, base du bien-fondé de la commémoration

Dans le but d’éviter toute commémoration hâtive résultant d’un groupe de pression, une recherche historique crédible devient un préalable nécessaire. De plus, la fonction recherche a été la bougie d’allumage pour la commémoration d’événements ou de personnages oubliés comme le démontre le cas du cimetière de l’Hôpital général de Québec rappelé précédemment.

La recherche peut également permettre d’intégrer dans la commémoration des grands oubliés de l’Histoire, comme par exemple « l’Habitant », personnage emblématique du peuplement du Québec rural depuis les origines de la colonie jusqu’au 20e siècle[1].

[1] Voir à ce sujet les recherches récentes de Sophie-Laurence Lamontagne : «   Regards croisés sur la représentation de l’habitant : de la Nouvelle-France au début du Régime anglais », Rabaska. Revue d’ethnologie de l’Amérique française, vol. 20 (2022), p. 11-35. Suivie d’une recherche en cours sur les représentations de l’habitant aux 19e et 20e siècles (à paraître).

La commémoration et les médias électroniques

Traditionnellement, la recherche sur la commémoration et sa diffusion se sont appuyées sur l’écrit : livres articles, brochures… Ainsi, dans le cas des cimetières, de belles recherches illustrées ont été publiées sous forme de livres d’art fortement illustrés[1]. Toutefois, pour rejoindre le grand public et plus particulièrement les jeunes générations, il s’avère nécessaire d’avoir recours aux nouvelles technologies de communication qui s’appuient sur l’audiovisuel et les médias sociaux bien davantage que sur l’écrit.

[1] Jean Simard et François Brault, Cimetières — Patrimoine pour les vivants, Québec, Les Éditions GID, 2008, 451 p.

Révisé le 8 décembre 2022

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