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BÉNÉFICIER D’UNE BONNE-MORT

France Rémillard

Restauratrice et éditrice en chef de l'Écomusée du Patrimoine

Une énigme à élucider

Ces jours-ci l’Écomusée du patrimoine funéraire et commémoratif se voit offrir un tableau identifié à la confrérie de la Bonne Mort. Déniché quelque part au Québec et amené en France, il lui est offert en raison de sa provenance et des noms qui y figurent, plusieurs étant à consonance québécoise. On y repère les patronymes des Richard, Venne, Chapelaud, Bourgoin, Devaux, Perraud, Gendron, etc.

L’Écomusée remercie sincèrement l’acquéreuse pour ce généreux geste de rapatriement. Il invite ses lecteurs à lui communiquer toutes informations pouvant l’aider à mieux documenter cet énigmatique spécimen de la culture matérielle.

Concernant l’acquéreuse il s’agit de Juliette Cazes, chercheuse en thanatologie. Elle s’intéresse depuis toujours à la mort et fait l’objet du deuxième article de cette Infolettre.

Des confréries

Une recherche rapide nous amène à découvrir ce qu’est une confrérie dite de dévotion. Originaire d’Europe elle s’implante en terre d’Amérique avec les premiers colons arrivant en Nouvelle-France. Apparues au XVIIe siècle les confréries de ce genre se sont multipliées sous le Régime français et ont perduré jusqu’au début du XXe avant de disparaitre avec Vatican II (1962). L’adhésion à une telle confrérie offrait à ses membres dits associés toute une gamme de services funéraires tels que

  • Soutien pendant l’agonie,
  • Funérailles solennelles,
  • Enterrement dans la dignité et
  • Perpétuation du souvenir.
Photo du tableau de la confrérie de la Bonne Mort, sorte de coopérative laïque égalitaire ayant pour but ultime d’assurer à ses membres le salut éternel. Arrivée en Nouvelle-France au XVIIe siècle, elle perdura jusqu’au XXe. Ici, les noms des associé(es), toujours lisibles, sont inscrits dans l’ordre de leur adhésion à la Confrérie (Photo : Juliette Cazes).

De celle de la Bonne Mort

Confréries de dévotion sous la gouverne du clergé, elles furent nombreuses au pays. Celle de la Bonne Mort dont il est question ici avait pour nom complet confrérie de l’Adoration perpétuelle du Saint-Sacrement et de la Bonne Mort. Fondée en 1732 dans la paroisse de Notre-Dame à Montréal, elle fut abondamment étudiée par Brigitte Caulier, chercheuse à l’université de Montréal. Jean-Yves Bronze, spécialiste en commémoration repris les recherches. Leurs travaux montrent que l’appartenance à une telle confrérie ne requérait qu’une modique contribution financière annuelle. En revanche, elle était très rigide et exigeante en matière de dévotion. En effet, elle imposait à chacun de maintenir une conscience permanente de sa propre mort. Si vivre tous les jours en ayant à l’esprit son statut de mortel pouvait paraître normal, ces pratiques sont absentes dans nos sociétés modernes.

De la rigueur du règlement

L’appartenance à une confrérie était régie par des règles strictes, culturellement issues de la Contre-Réforme, un mouvement rigoriste catholique visant à ramener dans son giron les ouailles tentées de flirter avec la Réforme protestante. Les règles sont consignées dans un opuscule de 40 pages publié la première fois en1776. En voici quelques exemples : le confrère ou la consœur doit chaque jour réciter le Requiem Aeternam. La personne doit planifier une retraite mensuelle. Elle est même invitée à prier pour ne pas mourir subitement ce qui la priverait des saints sacrements.  Idéalement, elle valorise une mort dans la douleur, cette dernière étant rédemptrice. Elle est incitée à vivre dans la peur de l’enfer et à monnayer son salut par l’acquisition cumulative d’indulgences rigoureusement tarifées. Ces indulgences sont obtenues par des prières, des actes de charité, ou même par des paiements en argent. Elles permettent de réduire les peines qu’une personne doit purger dans l’au-delà. C’est dans ce climat d’austérité du XVIIIe siècle que

Mgr de Saint-Vallier, deuxième évêque de Québec, exigeait de ses curés qui, traditionnellement bénissaient le lit conjugal des nouveaux époux, qu’ils ne manquent jamais de leur rappeler que ce même lit allait un jour accueillir leurs corps défunts … de quoi enlever  l’envie de célébrer la vie.

Page titre d’un exemplaire du Règlement de la Confrérie de la Bonne Mort. (Source : Répertoire du patrimoine culturel). Réédité à plusieurs reprises, il est désormais possible de s’en procurer un exemplaire en consultant la plus grande chaîne de commence en ligne.

En contrepartie

L’appartenance à une confrérie assurait à chacun de ses membres de ne jamais disparaitre dans l’anonymat. L’agonisant était accompagné et veillé jusqu’à son dernier souffle afin qu’il s’éteigne paisiblement avec l’assurance d’avoir gagné son salut et une bonne place dans son autre vie. Son décès faisait l’objet d’une annonce officielle par le prédicateur en chaire et d’une volée de cloches annonciatrices. La préparation du corps défunt était prise en charge par les membres et le cadavre ainsi préparé était mis en bière par eux. Les funérailles prenaient place en présence des proches, mais également de toute la confrérie qui se devait d’escorter la dépouille jusqu’au cimetière et de participer aux prières associées à la mise en terre. Finalement, le souvenir du défunt était annuellement rappelé à la mémoire de sa communauté par une cérémonie de commémoration.

Pour conclure

Depuis, le clergé a perdu son emprise sur les âmes et les pratiques des confréries n’ont plus cours. Toutefois aujourd’hui, la mort elle, coure toujours.  Notre société moderne, qui a pris soin d’évacuer la mort pour vivre dans l’abstraction complète de notre finitude, reste en peine de rituels pour intégrer sainement ses deuils, apprivoiser avec décorum la mort et commémorer en temps voulu la mémoire du disparu. Il nous reste à concevoir pour nos sociétés les éléments constitutifs d’une Bonne Mort.

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