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Clavier d'un ordinateur laptop avec touches représentants des pierres tombales

LA MORT AU TEMPS DU NUMÉRIQUE

Maurice Dupras

biochimiste taphophile

Le numérique sous toutes ses formes a déjà envahi nos vies. Mais qu’en est-il de la mort? Là aussi le numérique s’installe et se développe rapidement. Cet article décrit certains applications informatiques reliées à la mort, dont plusieurs sont déjà bien connues et bien acceptées, par exemple les avis de décès sur le Web et les banques de données des cimetières. Mais nous voyons aussi apparaître des nouvelles technologies aussi excitantes qu’inquiétantes. Ces nouveaux outils de remémoration des défunts sont très promoteurs, en particulier ceux qui font appel à la réalité virtuelle et l’intelligence artificielle, mais vont-ils perturber le processus du deuil? Sont-ils en train de créer des mémoires illusoires? Une réflexion s’impose déjà.

Le numérique a pris de nos jours de multiples formes : ordinateurs, portables, bases de données, Internet, médiaux sociaux, intelligence artificielle. Il s’est infiltré dans tous les aspects de la vie au 21e siècle.  Avec ses bienfaits et ses méfaits.  Mais qu’en est-il de la mort?  Effectivement, le numérique a lui aussi commencé à prendre une place de plus en plus importante, petit à petit.  Cette intrusion provoque parfois un certain malaise, comme d’ailleurs tout ce qui concerne la mort, sujet tabou par excellence, même en 2022.

J’essaierai dans ce modeste article d’explorer les rapports entre la mort et le numérique, en décrivant d’abord des applications qui peuvent sembler banales et inoffensives puis en examinant aussi des développements récents inattendus, voire inquiétants qui se dessinent à l’horizon.  À chaque niveau, nous tenterons de voir l’intérêt de ces applications comme outils d’hommage et de commémoration des défunts, mais je tenterai aussi des susciter une réflexion sur les problèmes qu’elles pourraient générer tant du point de vue de la protection de la vie privée que des effets bienfaisants, douteux ou néfastes sur le processus de deuil des survivants.

clavier d'un ordinateur portable avec croix sur une touche
Les avis de décès et les notices nécrologiques

La publication des avis de décès dans les journaux et à la radio est une tradition qui date de très loin.   C’est même pour moi un souvenir d’enfance, car nous écoutions à la radio de CKAC au début des années 1950 les « événements sociaux » qui étaient principalement consacrés aux avis de décès.  Comme dans les journaux, la notice était assez longue, car il convenait de mentionner le plus grand de nombre de parents possible, car tout le monde désirait « entendre son nom à la radio ».  Si les journaux continuent la tradition, ils ne sont plus les seuls, car les avis de décès apparaissent sur le Web de diverses façons, soit sur les sites des quotidiens et hebdomadaires, soit sur les sites produits par les entreprises de services funéraires.  On voit aussi des annonces de décès sur Facebook, placées par des proches ou des amis des défunts.  Précisons qu’il n’est pas question ici des célébrités en tout genre, mais bien de simples citoyens.  Il n’y a pas si longtemps, publier un tel avis sur Facebook aurait été considéré comme un manque de respect, car on voyait surtout ces médias sociaux comme de simples amusements, mais ce n’est plus du tout le cas en 2022.  J’ai été surpris d’apprendre que bon nombre de collectionneurs s’intéressent depuis longtemps aux avis de décès apparaissant dans les journaux et que certains ont même monté des collections comprenant des dizaines de milliers de découpures de journaux.   Ces trésors du patrimoine funéraire ont été récupérés par plusieurs organismes qui les ont numérisés et triés et qui les ont inclus dans des bases de données maintenant transférées dans des sites Web où elles peuvent être explorées à l’aide de moteurs de recherche.  L’accessibilité de ces données varie.  Elles peuvent être accessibles soit à des membres d’une organisation, soit aux clients de firmes commerciales spécialisées telles que Généalogie Québec, soit au grand public sans restriction.  Par exemple, la Société de généalogie de Drummondville, dont je fais partie, gère un tel site qui est d’accès public sans restriction1. Ce type d’information est en effet fort utile pour les recherches généalogiques, entre autres.  Certains se demandent s’il n’y a pas là une brèche dans la protection de la vie privée, puisque les liens de parenté des individus sont publiés sans leur accord et pourraient même, à la limite, faciliter le travail des fraudeurs qui tentent de voler l’identité des gens.  Peut-on présumer qu’étant donné que l’information a été déjà publiée (journaux) elle devient ipso facto publique même si on l’inclut dans d’autres médias?  La question mérite réflexion et nous y reviendrons d’ailleurs quand il sera question des bases de données des cimetières

Femme devant écran d'un ordinateur regardant des pierres tombales
Les cimetières et leur contenu

Les monuments en tout genre commémorant les défunts sont présents dans les cimetières depuis des temps immémoriaux.  Ils prennent diverses formes : pierres tombales, columbariums, monuments divers.  Des collections de photographies des pierres tombales, pour ne mentionner que ce type de monument, existent depuis plusieurs décennies mais ce n’est que depuis quelques années qu’elles ont fait l’objet de publications en format manuscrit d’abord, puis sur des supports tels que CD-ROM et maintenant dans des bases de données informatisées.  Ces bases de données comprenant les photos des pierres tombales et les informations qui y figurent ont été transférées dans des sites Web gérés par des organisations telles que les sociétés de généalogie ou des firmes commerciales de généalogie.  Comme pour les avis de décès l’accès au contenu peut être réservé aux membres ou aux clients mais peut être aussi accessible au grand public sans restriction par exemple celui de la société de généalogie de Drummondville2. Des moteurs de recherche permettent l’exploration de ces bases de données.  La qualité de ces sites est très variable.  Quelques éléments à considérer pour évaluer la qualité de ces outils:

  • La base de données et son moteur de recherche couvrent-ils un seul cimetière ou tous ceux d’une région?

  • Le recensement comprend-il toutes les pierres tombales encore visibles dans le cimetière ou un simple échantillon?
  • Les données sont-elles mises à jour périodiquement et si oui à quelle fréquence?
  • Les données affichées sont-elles contrôlées et vérifiées?

  • La définition des photos permet-elle de lire chaque détail inscrit sur les pierres, même sur les pierres plus anciennes?

  • Le moteur de recherche permet-il de retrouver une pierre tombale sans savoir exactement dans quel cimetière elle se trouve?

  • Est-ce qu’on fournit des informations sur la localisation d’une pierre donnée dans le cimetière? Et si oui, cette information est-elle donnée sous forme de coordonnées GPS?

  • La base de données contient-elle des informations sur les défunts inhumés dans un cimetière qu’ils aient ou non une pierre tombale en place (liste des inhumés, par exemple)?

Parce que les cimetières sont des endroits publics, parce que les inscriptions figurant sur les pierres peuvent être vues par quiconque y met les pieds, on tient pour acquis que les données qui sont générées à partir des photos et apparaissent sur les sites Web sont également publiques.  Mais est-ce bien le cas?  Tout d’abord, la liste des inhumés contient aussi des noms de personnes dont le nom ne figure sur aucune pierre tombale et qui n’ont pas donné leur autorisation, mais comme elles sont forcément décédées, le problème ne se pose guère. On pourrait cependant avancer que les parents des défunts n’ont pas donné d’autorisation spécifique à la publication sur le Web des photos des pierres où leur nom (et date de naissance, la plupart du temps) apparaît.  J’ai personnellement essuyé un refus d’un curé qui ne voulait pas que les photos que j’avais prises dans le cimetière de sa paroisse soient montrées sur le Web à moins d’autorisation expresse des familles concernées.  Ce qui revenait à un refus pratiquement.  La protection de la vie privée des personnes toujours vivantes (contre les fraudeurs, notamment) mais dont les noms et les années de naissance sont inscrits sur les pierres tombales et sur le site Web pourrait aussi, théoriquement, poser un problème, comme mentionné plus haut pour les informations sur les avis de décès. 

Quoi qu’il en soit, les familles concernées sont très généralement heureuses que l’hommage rendu aux défunts soit publicisé, et nous ne voyons pas comment, a priori, comment l’image des pierres tombales peut rendre plus difficile le processus de deuil des survivants.  Une exception, toutefois : certains s’opposent à voir afficher le nom d’un ex-conjoint qui ne fait plus partie de la famille et qu’on voudrait peut-être oublier. L’outil est également utile non seulement pour les généalogistes mais aussi pour les gestionnaires des cimetières.

Homme prend une photo d'un code QR devant une croix stèle

Puisque cet article s’intéresse plus particulièrement au numérique, il faut parler d’une innovation importante à propos des cimetières, soit la possibilité d’apposer sur les pierres tombales une plaque avec un code QR se rapportant au défunt (ou aux défunts).  Oui, ce fameux code QR qui s’est fait connaître lors de la pandémie de COVID-19.  Ce code peut être déchiffré par un téléphone intelligent, par exemple, qui dirige vers une page Web concernant le défunt. L’idée est fort attrayante et je ne serais pas surpris qu’elle devienne une option proposée bientôt aux familles.  J’en ai d’ailleurs vu un dans un cimetière de Drummondville et au même au cimetière du Père-Lachaise!  Mais il faut penser aux conséquences.  D’abord qui va rédiger le contenu (texte, images, vidéo, etc)? Est-ce que le défunt doit l’avoir préautorisé?  Le code sera-t-il encore lisible dans 50 ans, est-ce que les codes QR seront encore utilisés dans 50 ans?  Que sera l’Internet alors?  Qui sait?  Mais pour le moment l’idée semble avoir de l’avenir.

Le deuil numérique
Montage photo exprimant le deuil numérique avec un homme priant
Photo Forbe Fr.
Note : une partie de ce qui suit a été inspirée de l’écoute d’un balado d’Alexandre Pépin, publié sur l’application OhDio de Radio-Canada3. Une excellente série de balados sur un sujet rarement abordé jusqu’ici, mais traité ici avec ouverture et intelligence.

Nous laissons dans le monde virtuel du Web une grande quantité d’informations personnelles.  Courriels, publications Facebook et autres, textos, photos, etc.  Notre « personne virtuelle » s’y trouve et y restera peut-être encore longtemps.  À qui appartiennent ces données?  En sommes-nous vraiment propriétaires?  La réponse à ces questions n’est pas évidente.  Et peut-on vraiment considérer que ce contenu représente vraiment ce que nous sommes comme personnes humaines? Nous sommes plus que ce que nous disons et écrivons, plus que ce que nous avons fait, plus que ce que nous avons vu, plus que nos opinions.  Le vrai moi n’est pas vraiment la somme de tous ces éléments.

 Qu’advient-il de ces données après notre mort?  Devrait-on aller jusqu’à en tenir compte dans notre testament? Ce qui est un peu malaisant, c’est de réaliser que la page des défunts continue d’exister, on nous signale même l’anniversaire de naissance de nos « amis » qui sont disparus et nous suggère même de leur envoyer des vœux d’anniversaire! Est-ce que la lecture de nos publications va faciliter le processus de deuil des êtres chers que nous laisserons, ou la compliquer.  Les albums de photos existaient avant, mais nous parlons ici de souvenirs beaucoup plus « vivants » si on peut dire.  Le risque de déni de la mort est à prévoir, mais à moins que le visionnement de ces souvenirs devienne compulsif, le geste peut être réconfortant, et peut même dans certains cas nous réconcilier avec le défunt.  Est-il sain, cependant de laisser le compte d’un défunt actif et même de répondre à des messages qui pourraient lui être envoyées?  Un exemple intéressant : certains parents utilisent ce stratagème pour permettre qu’un jeune enfant puisse contacter « dans l’au-delà » un proche qui vient de décéder et ils alimentent les échanges à la place du défunt.  Tout ça mériterait qu’on y réfléchisse.

Chose certaine, le deuil n’est plus le même avec Facebook. Les experts consultés, du domaine de la psychologie surtout, ne nient pas que le geste de remémorer un défunt puisse être bienfaisant, dans certaines limites, mais ils croient que ce qui est souhaitable c’est d’apprendre à vivre une forme de « conversation » intérieure avec le défunt, comme nous l’avons connu, comme nous l’avons perçu, aimé et/ ou apprécié et non comme il apparaît dans son personnage virtuel, qui n’est qu’une image de sa personne.  

Il n’en demeure pas moins que le milieu des services funéraires aurait intérêt à enrichir ses activités de commémoration, en allant au-delà de la lecture de textes tout faits ou de témoignages sincères mais souvent malhabiles.  Quitte à organiser ces activités plus tard, quand la poussière et la douleur seront retombées, comme la pandémie nous a forcés à la faire.  Retard qui a été bien accueilli, en fait, par plusieurs familles. Pour nous venir en aide, certaines firmes se sont donné la mission de faciliter la préparation de ces événements et du matériel qui y sera utilisé.  Deux approches peuvent être utilisées.  Dans la première le « futur défunt » si on ose l’appeler ainsi, réunit le matériel de son vivant, comprenant des réflexions sur la vie, des messages personnels, des événements qui lui ont été significatifs.  La firme aide à formater et peaufiner le tout et le transposer sous une forme numérique (une clé USB, par exemple).  L’accompagnateur peut même animer une rencontre de visionnement.  Dans l’approche alternative, ce sont plutôt les survivants qui fournissent le matériel et collaborent à l’organisation de la cérémonie de commémoration.  Une firme propose par exemple la préparation d’une sorte d’urne électronique, de belle facture, qui peut être placée au salon funéraire, disons, et qui active automatiquement le visionnement ou même le téléchargement de souvenirs, de musique, d’images sur un téléphone portable placé à proximité.

Converser avec le défunt
converser avec le défunt, image graphique
Photo: Science et Vie

Nous laissons dans le monde virtuel du Web une grande quantité d’informations personnelles.  Courriels, publications Facebook et autres, textos, photos, etc.  Notre « personne virtuelle » s’y trouve et y restera peut-être encore longtemps.  À qui appartiennent ces données?  En sommes-nous vraiment propriétaires?  La réponse à ces questions n’est pas évidente.  Et peut-on vraiment considérer que ce contenu représente vraiment ce que nous sommes comme personnes humaines? Nous sommes plus que ce que nous disons et écrivons, plus que ce que nous avons fait, plus que ce que nous avons vu, plus que nos opinions.  Le vrai moi n’est pas vraiment la somme de tous ces éléments.

 Qu’advient-il de ces données après notre mort?  Devrait-on aller jusqu’à en tenir compte dans notre testament? Ce qui est un peu malaisant, c’est de réaliser que la page des défunts continue d’exister, on nous signale même l’anniversaire de naissance de nos « amis » qui sont disparus et nous suggère même de leur envoyer des vœux d’anniversaire! Est-ce que la lecture de nos publications va faciliter le processus de deuil des êtres chers que nous laisserons, ou la compliquer.  Les albums de photos existaient avant, mais nous parlons ici de souvenirs beaucoup plus « vivants » si on peut dire.  Le risque de déni de la mort est à prévoir, mais à moins que le visionnement de ces souvenirs devienne compulsif, le geste peut être réconfortant, et peut même dans certains cas nous réconcilier avec le défunt.  Est-il sain, cependant de laisser le compte d’un défunt actif et même de répondre à des messages qui pourraient lui être envoyées?  Un exemple intéressant : certains parents utilisent ce stratagème pour permettre qu’un jeune enfant puisse contacter « dans l’au-delà » un proche qui vient de décéder et ils alimentent les échanges à la place du défunt.  Tout ça mériterait qu’on y réfléchisse.

À moins d’être un adepte de spiritisme, nous savons tous qu’il est impossible de converser avec un défunt.  Mais si l’informatique le permettait, ou tout au moins pouvait le simuler de façon crédible?  En fait, ça peut paraître incroyable, mais c’est déjà possible, d’une certaine manière.  Nous acceptons déjà qu’on puisse avoir une conversation aux allures humaines avec des robots.  Nous en avons déjà un sur nos ordinateurs et nos portables!   Nous parlons ici de robots conversationnels (chat bot). Voici comment cette technologie peut être utilisée pour un échange avec une personne défunte.  Cette personne doit avoir laissé, de son vivant suffisamment de traces numériques (photos, enregistrement de la voix, courriels, textes d’opinion, etc. ).  En utilisant l’intelligence artificielle, il est possible non seulement de reproduire fidèlement la voix d’une personne, mais aussi son élocution, son accent, son style de langage, ses tics verbaux, ses expressions favorites.  Et c’est à s’y méprendre.  Mais on va plus loin.  L’ordinateur peut aussi avoir une bonne idée des opinions du défunt, de ses goûts, de ses activités préférées, bref de sa psychologie et surtout de sa réaction prévisible à certaines affirmations ou questions précises.  Cet ordinateur est suffisamment « intelligent » pour comprendre les questions posées et y répondre avec la voix du défunt et sa personnalité.  Science-fiction? Non.   De telles conversations ont déjà été réalisées et les utilisateurs se sont dit très étonnés de la crédibilité des échanges et ont même dit que l’exercice avait facilité leur processus de deuil.  D’ailleurs Microsoft travaille activement sur ce dossier et a même déposé des brevets à cet effet.  Évidemment c’est une aventure dispendieuse et surtout expérimentale du moins pour le moment, mais considérant la vitesse avec laquelle les ordinateurs et l’intelligence artificielle se développent, qui sait ce qui sera possible et abordable dans 10 ou 20 ans?  Le potentiel commercial de cette innovation est très évident, et on sait bien que c’est souvent le moteur principal du développement technologique.  Les possibilités de dérapage sont tout aussi évidentes, toutefois.  Une bonne façon d’entamer une réflexion à ce sujet et de lire des romans de science-fiction qui illustrent le phénomène, en particulier le roman « Manuel de la vie sauvage4 » du Québécois Jean-Philippe Baril-Guérard, qui aborde ce thème.  Un roman presque prémonitoire.  Encore mieux, le film de SF « Bientôt de retour5 » de la série « Black mirror » qui va beaucoup plus loin.

Pour ce qui est du visuel, maintenant, un service existe déjà au Québec « Un cadeau du ciel » ou le défunt parle aux survivants, raconte ses souvenirs, laisse des messages à ses proches, ainsi de suite.  Et on peut le voir avec des outils de réalité virtuelle, ce qui ajoute une dose de réalisme indéniable.  Mais c’est un message unidirectionnel, et non un échange.   Il ne faut pas perdre de vue que ce qu’on trouve dans ces enregistrements est le reflet de ce que l’individu pense de lui-même, des événements et de ses proches.  Mais il est bien possible que ceux qui écoutent le document aient une opinion différente de cet individu et de son histoire.

Spectaculaire, tout ça, et aussi excitant qu’inquiétant, mais allons encore un peu plus loin : est-ce qu’on peut imaginer non seulement de parler avec le défunt mais de le voir tout en conversant avec lui?  Eh bien oui, ce n’est même plus de la science-fiction, cette prouesse technologique a déjà été réalisée par une firme sud-coréenne qui a réalisé un documentaire « Meeting you6 », à grands frais et grâce à des outils de haute technologie. Non moins de six studios ont collaboré à ce projet des plus audacieux.  Dans la vidéo, une dame rencontre en réalité virtuelle sa fille décédée 4 ans auparavant, elle la reconnaît parfaitement, elle lui parle et l’écoute.  Le résultat est tout à fait troublant.  On peut en voir un extrait sur You Tube, d’ailleurs.  La technologie à la base de cette stupéfiante performance est ce qu’on appelle le « Deep fake » (hypertrucage?).   On enregistre d’abord un grand nombre de photos de l’enfant défunt, autant que possible sous divers angles.  On a recours ensuite à une jeune fille bien en vie et de même taille, avec un physique assez semblable à celui de l’enfant et on y superpose les traits du défunt et on travaille sur un grand nombre de projections à trois dimensions.    Évidemment on peut se demander si une telle aventure est bénéfique pour la mère ou si elle aggrave la difficulté d’affronter le deuil.  Dans ce cas-ci la mère s’est dite très satisfaite et prétend que cette séance extraordinaire l’a aidée à traverser l’épreuve de la perte de son enfant.  Mais une aventure extrêmement délicate.  Un problème évident c’est la danger de croire que l’être cher existe encore, qu’il n’est pas vraiment vraiment mort.  Bref, de ne pas pouvoir « décrocher ». C’est aussi une utopie d’immortalité, peut-être.  Mais comme nous allons le voir dans la prochaine section, certaines personnes croient à leur immortalité et y travaillent.

Vivre au-delà de la mort
Femme songeuse à la fenêtre avec main et visage

L’immortalité est un rêve probablement aussi vieux que l’humanité même.  De fait, la croyance en l’immortalité est au cœur des religions dominantes, en particulier le christianisme.  Bien que ce soit l’âme qui est immortelle, pas le corps.  Mais l’âme est tout de même une forme d’identité humaine, en quelque sorte.  Mais restons prudemment dans le domaine de la science, même si elle est forcément très spéculative dans ce cas-ci.   Une forme d’immortalité possible serait envisageable dans un monde où la médecine serait (sera?) tellement avancée que toute défectuosité du corps serait remédiable et que tous les organes pourraient être remplacés par des organes humains ou des machines.  On a déjà le cœur artificiel, d’ailleurs, et on peut imaginer que le reste suivra plus tard.  Dans un autre courant d’idée, certains individus pensent que nous pourrons un jour transférer la totalité de l’information contenue dans notre cerveau vers un ordinateur.  Et que cette information pourrait être retransmise dans un nouveau corps, ou un robot quelconque ou même continuer d’exister, de « vivre » dans un ordinateur, de devenir virtuel et non physique.  Donc ce serait devenir immortel, en quelque sorte.  Il faut dire que l’état actuel de la science ne permet pas d’envisager une telle possibilité dans un avenir prévisible ou prédictible.  Mais sur papier l’idée se tient.  Une autre façon de « revivre » indéfiniment qui est imaginée c’est sous forme d’un échantillon de notre ADN, qui est censé contenir « tout ce que nous sommes ».  À partir de cet ADN, l’idée serait de recréer un humain identique à ce que nous sommes.  Un clone absolu.  Les adeptes de l’immortalité ou plus exactement d’une forme de transhumanisme prennent leurs précautions et enregistrent tout mais absolument tout ce qui leur arrive chaque jour, c’est ce qu’on appelle le lifelogging.  Donc audio 24/24, Go Pro pour le visuel et évidemment tout le contenu de leur existence dans Internet.  Alexandre Pépin, qui est l’auteur de la série de balados dont je me suis inspiré pour une partie de cet article a discuté avec un lifelogger extrême Mati Roy7, qui illustre parfaitement cette tendance.  En toute logique il s’est inscrit pour une cryogénie à exécuter dès son décès, en espérant que le contenu de son cerveau pourra être transféré dans un autre corps.  Personnellement il me semble qu’idéalement cette cryogénie devrait se faire avant le décès, logiquement, mais ce n’est pas probablement légalement envisageable pour le moment. Le plan de Mati Roy est de continuer à exister pendant des millions d’années.

Bien sûr, on peut invoquer de très nombreuses objections à ces plans d’immortalité sur le plan technique mais il faudrait d’abord se demander : est-ce qu’il y a vraiment un quelconque intérêt à vivre indéfiniment ? On peut certainement se le demander.

Conclusion

J’ai tenté d’explorer dans cet article la place du numérique dans tout ce qui concerne la mort, des applications simples et bénignes jusqu’aux plus complexes et inquiétantes.  Je n’ai pas voulu faire l’apologie du numérique appliqué à ce domaine mais j’ai surtout voulu montrer ce qui se fait déjà et dans quelle direction nous semblons nous diriger.  Et je voulais aussi et surtout favoriser une réflexion sur les bénéfices et les dangers de ces technologies.  Si ceux qui nous gouvernent pouvaient faire preuve de sagesse, ils se pencheraient déjà sur le sujet.  Mais si je me fie à ce qui s’est passé avec les technologies de la fertilité, pour nommer que ces dernières, mon souhait est peut-être aussi naïf que celui de l’immortalité.

Sources
4 - Manuel de la vie sauvage 2018 (Jean-Philippe Baril-Guérard) Editeur : De ta mère)
5 - Bientôt de retour. Écrit par Charlie Brooker, Série « Black Mirror » saison 2, épisode 1 (2013). Disponible sur Netflix

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