English French

L’avenir d’un cimetière passe-t-il par la déconfessionnalisation de ses structures administratives

Alain Tremblay

Fondateur de l’Écomusée du patrimoine funéraire et commémoratif

Dans une précédente infolettre, nous évoquions la décision de l’Association des cimetières chrétiens du Québec (ACCQ) de former, en son sein, un Comité spécial chargé de soumettre à ses membres réunis en assemblée générale (au printemps 2025), des propositions susceptibles d’améliorer leur situation financière. Rappelons qu’ils sont de plus en plus nombreux à être aux prises avec de grandes difficultés budgétaires alors que d’autres ont carrément abandonné. Les nouveaux rituels, la crémation en particulier, la dispersion des cendres hors cimetières, la concurrence de la part d’entreprises privées, la compétition entre les cimetières membres de l’ACCQ et la pénurie de relève pour assurer l’entretien expliqueraient le piètre état des finances qu’affichent nos lieux de dernier repos. Ce projet de comité fait suite à un constat plutôt désolant formulé par l’ACCQ concernant la situation, un état de situation que notre organisme avait prévu il y a plus de 30 ans et sur lequel il n’a eu de cesse d’alerter les gestionnaires.

De la désaffectation

Comment expliquer ce désamour envers les lieux de mémoire et ce rejet massif de la population du jardin des morts ? Les nouveaux rituels à eux seuls et la concurrence n’expliquent pas tout. L’absence d’ouverture et d’accommodements de la part des administrations face aux besoins d’une population de plus en plus agnostique ou athée qui souhaite des cérémonies plus en accord avec ses valeurs spirituelles, autres que religieuses, pourrait peut-être compléter le portrait d’ensemble de cette défaveur.

 

Il faut savoir que l’an dernier lors du conflit de travail au cimetière (grève) Notre-Dame-des-Neiges à Montréal, _ un des plus grands et le plus spectaculaire cimetière en Amérique du Nord, aujourd’hui au bord de la faillite_ lieu administré par la fabrique de la paroisse Notre-Dame située dans le Vieux-Montréal, les deux syndicats impliqués constataient que la situation précaire dans laquelle se trouvait leur emploi était principalement due à l’employeur. Afin de susciter la sympathie de la population à leur cause, ils lançaient conjointement une pétition au contenu pour le moins révélateur : Nous réclamons qu’un groupe de travail soit mis en place pour faire des recommandations sur la gestion et la pertinence du modèle hiérarchique décisionnel du cimetière, hérité du régime colonial, où tout le pouvoir se trouve concentré dans les mains d’un curé inamovible, qui nomme ses marguilliers et qui ne répond qu’à lui-même. Nous croyons qu’il est temps qu’un véritable aggiornamento (adaptation de l’Église à la réalité contemporaine) soit mis en place, et que la population et nous, les employés, soyons impliqués dans les nouvelles orientations du plan directeur du cimetière

De l’usager

Vraiment intéressante cette idée d’une implication citoyenne comme moyen d’intéresser la population à l’avenir de ces lieux. L’introduction d’une nouvelle démocratisation dans la structure de gestion en est une que l’ACCQ ne semble pas encore prête à considérer.

En 1997, lors d’un colloque que notre organisme organisait, étaient ressorties quelques idées maitresses pour faire face aux défis à venir de la conservation de notre patrimoine funéraire. Connaître ; faire connaître ; et créer des alliances avec les gestionnaires actuels : cf. déclaration finale du colloque de 1997. Depuis ce temps, notre organisme a assidûment travaillé à faire connaître et reconnaître notre patrimoine funéraire (notre site web qui en témoigne). Cependant, la création d’alliances demeure plutôt décevante. Il y a beaucoup de résistance…

En 2007, au cours d’un autre conflit de travail (Lock out), toujours au cimetière Notre-Dame-des-Neiges, une association de défense des droits des concessionnaires a été créée pour faire valoir ces droits. Après de longs mois de débats juridiques avec cette organisation, la fabrique de la paroisse a signé une entente à l’amiable qui l’engageait à investir une somme considérable dans la mise en valeur du patrimoine funéraire du lieu. Et ceci pour compenser d’avoir volontairement ou involontairement pris les familles en otage. Ce qui explique l’acquisition et l’installation de dizaines de bancs un peu partout à travers le cimetière, ceux-ci au nom de l’Association des familles des défunts et avec l’accord de cette dernière. Depuis, l’expérience de la visite des lieux est rendue beaucoup plus conviviale, une amélioration obtenue par la contrainte qui a pourtant eu un effet bénéfique.

Selon Monsieur Paul Caghassi, président de l’association, ces interminables conflits de travail ne pourront se reproduire à l’avenir : Désormais, les usagers sont mieux organisés, et il sera impératif de prendre en compte cette nouvelle réalité dans la gestion des conflits. Les familles, malheureusement, ont payé un lourd tribut à cette mauvaise gestion financière. Aujourd’hui, les acteurs gouvernementaux à tous les niveaux prennent pleinement conscience de l’ampleur de la situation catastrophique dans laquelle nous nous trouvons. Dorénavant, ni la direction ni les syndicats ne disposeront du champ libre pour continuer à prendre les familles en otages. Face à cette situation, l’urgence d’agir est plus grande que jamais.

 Le comité de l’ACCQ pourra-t-il aller plus loin dans sa réflexion ? La résistance aux changements ne réside-t-elle pas dans la nature religieuse du propriétaire-gestionnaire : la mission première d’une fabrique paroissiale n’est-elle pas de supporter le curé dans sa mission pastorale ? Ne serait-il pas temps pour lui de réfléchir à sa légitimité à gérer seul et sans partage un lieu qui devrait pourtant appartenir à la population ou du moins aux concessionnaires ?

Lors d’une journée patrimoine cet été, deux de nos collègues, l’anthropologue Brigitte Garneau, autrice de nombreux livres traitant du patrimoine funéraire et Yvon Rodrigue, fondateur de plusieurs entreprises funéraires, nous présentaient le modèle ontarien de gestion des cimetières, un modèle qui selon leur analyse devrait nous inspirer des pistes de solutions. Malheureusement, malgré leur compétence indéniable, le comité de l’ACCQ n’a pas cru bon de solliciter leur participation à la réflexion.

Photo Cimetière Notre-Dame-des-Neiges

L’avenue choisie par les grands

Après avoir misé pendant des années sur la construction d’immenses mausolées pour combler ses besoins financiers, le cimetière Notre-Dame-des-Neiges est arrivé à la fin de ce mode de disposition qui n’a toujours intéressé qu’un segment du marché et dont la rentabilité à long terme est de plus en plus remise en question. Les autres grands cimetières réorientent leur offre. Ainsi, depuis quelque temps, ceux qui en ont les moyens, se dotent ou sont en voie de le faire, de complexes immobiliers afin d’offrir à leurs clientèles une gamme de services : salles de réception, de célébration et columbariums intérieurs, etc. Pour le moment, l’avenue semble prometteuse. Il y a plusieurs années, le cimetière Mont-Royal à Montréal avait fait ce choix. Il a rencontré les attentes de sa clientèle puisque l’organisme se trouve en bien meilleure posture financière que son voisin, le cimetière Notre-Dame-des-Neiges lequel hésite toujours à faire le saut. Le Saint-Charles à Québec, qui a fusionné avec le Belmont, s’est lui aussi doté il y a quelques années de tels équipements et parallèlement à cette démarche, a mis l’accent sur la valorisation de son patrimoine funéraire grâce à des visites commentées particulièrement populaires : aux dires de leur agente de communication, la vente de lots dans son cimetière a depuis monté en flèche.

 Le repos Saint-François d’Assise à Montréal, le deuxième plus important du Québec, a aussi misé sur l’offre de services avec la construction d’un complexe funéraire. Il ouvrira ses portes prochainement, et ce en dépit du fait que déjà deux tels complexes privés sont déjà en activité aux entrées du cimetière. De plus, il a démarré une expérience culturelle originale en organisant in situ pendant l’été des concerts en plein air, concerts qui ne cessent de gagner en fréquentation. Un vent d’optimisme semble souffler de ce côté… Pourtant tout comme le Notre-Dame-des-Neiges qui a remis en question les mausolées sur la base de leurs couts d’entretien à long terme, lesquels expliqueraient en partie sa situation financière catastrophique, a-t-on adéquatement calculé les dépenses à long terme de maintien en service de ces nouveaux complexes. Pour sa part, le nouveau directeur du cimetière Notre-Dame-des-Neiges, le 5e ou 6e en quelques années, actuaire de formation, en poste depuis près d’un an que nous avons rencontré récemment, nous confirme que l’érection d’un complexe destiné à l’organisation de services et cérémonies funéraires n’apparait pas dans ses projets immédiats, davantage préoccupé qu’il est par la gestion au quotidien du lieu et la stabilisation de l’état des finances laissé par ses prédécesseurs.

Afin de bien saisir l’ampleur de toutes ces infrastructures construites ou en construction et éventuellement à entretenir pour lesquelles la population n’est pas invitée à se prononcer. Nous vous invitons à visionner en bas de page quelques petites vidéos que nous avons réalisées récemment par drone au Repos Saint-François d’Assise et au cimetière Notre-Dame-des-Neiges.

 En ce qui concerne la tendance actuelle à investir massivement dans des infrastructures immobilières de grande envergure, une question persiste : cet investissement générera-t-il les revenus escomptés, ou finirons-nous par faire face au même constat de non-rentabilité à long terme observé avec les mausolées ? Il est vrai que, contrairement aux complexes funéraires, les mausolées, conçus principalement pour la conservation des dépouilles, ne génèrent pas de revenus récurrents. Cependant, les complexes immobiliers, bien qu’ils partagent cette nécessité d’entretien, offrent un modèle économique plus dynamique grâce aux services qu’ils abritent, et peuvent donc potentiellement se révéler plus rentables sur le long terme. Néanmoins, tout comme les mausolées, ces structures exigent une gestion et un entretien constant, ce qui soulève la question de leur viabilité économique dans le temps.

Cimetière Notre-Dame-de-Lorette. Crédit photo: Marianne Richer

La voie pour les petits

Mais après avoir énuméré quelques solutions privilégiées par nos grands cimetières pour s’ajuster aux nouvelles demandes de la population, il reste encore à se demander ce qu’il adviendra des centaines de petits cimetières les lots souffrent de plus en plus de déshérence. Les quelques gestionnaires de grands champs des morts dont les installations permettent d’attirer les clients des petits seront-ils prêts à partager les bénéfices?

 Si l’offre de services semble être une des voies privilégiées par les grands pour conserver et élargir leur clientèle, les petits pourraient-ils s’inspirer de la très dynamique entreprise funéraire Harmonia de Québec qui a réussi à construire un bel éventail de services en s’appuyant sur des fournisseurs locaux ? En louant, les services et les lieux requis pour accueillir réceptions et cérémonies elle est à même d’offrir des modèles sur mesure. Elle peut s’ajuster parfaitement à la grande variété des demandes de leur clientèle.

En conclusion

L’Écomusée suivra avec grand intérêt l’évolution des travaux de ce comité de l’ACCQ.  Il poursuivra sa réflexion sur la solution de déconfessionnalisation et ramènera toujours le droit à la consultation des concessionnaires et des concitoyens dans la gestion de ces espaces publics.

Vidéos

Cimetière Notre-Dame-des-Neiges
Vue des deux derniers mausolées du cimetière, les plus gros construits, ceux qui ont convaincu la nouvelle administration de mettre un terme à ce genre de construction dont la viabilité financière à long terme leur semble de plus en plus hasardeuse.
Au Repos Saint-François-d’Assise
Futur complexe funéraire actuellement en construction, avec à proximité le complexe funéraire de l'entreprise Magnus Poirier ayant son entrée rue Sherbrooke. La jolie petite maison entourée de verdure de même que l’ancien bureau administratif seront démolis pour faire place à un immense stationnement qu'on nous promet vert.
Vue générale du cimetière à partir du sud montrant l’ampleur du terrain vacant qui pourrait être développé pour répondre aux valeurs écologiques de la société contemporaine.
Vue générale du cimetière à partir du nord montrant le complexe funéraire de l'entreprise Urgel Bourgie avec son entrée rue Beaubien et retour vers l'intérieur du cimetière avec ses grandes étendues non encore développées.
Vue de l’ampleur du parc immobilier constitué essentiellement de mausolées.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.

Autres dossiers et ressources pour vous

Autres Articles Divers

14 Nov 2024
Articles Divers
À la suite de notre conférence du 28 octobre 2024, tenue à la Société Saint-Jean-Baptiste (SSJB) de Montréal, qui a porté sur la résolution de […]
English French

Opening Hours

Tuesday ‒ Friday: 09:00 ‒ 17:00
Friday ‒ Monday: 10:00 ‒ 20:00

L'infolettre de l'Écomusée

Inscrivez-vous et prenez connaissance des dernières ressources, nouvelles, articles et évènements de l’Écomusée. Délivrée une fois par mois dans votre boite courriel.