Géographe et auteure
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L’histoire de la seigneurie de Lotbinière commence le 3 novembre 1672 lorsque l’intendant Talon accorde à René-Louis Chartier de Lotbinière une étendue de terre sur la rive sud du Saint-Laurent, près de Québec. En 1685 et 1686, M. de Lotbinière augmenta encore l’étendue de sa seigneurie. Malgré l’immensité de son domaine, source de prestige social à l’époque, M. de Lotbinière en voulait davantage et, en 1693, il obtint du gouverneur Frontenac une nouvelle concession, ce qui porta l’étendue de sa seigneurie à 17,2 km de front sur 29,5 km de profondeur.
On peut penser que M. de Lotbinière avait sérieusement l’intention de coloniser et de développer son vaste domaine, devoirs qui incombaient au seigneur. Mais poursuivant à Québec une carrière dans la haute fonction administrative, M. de Lotbinière, de 1672, année de sa 1re concession, jusqu’en 1709, année de sa mort, ne mit jamais les pieds dans sa seigneurie. Devenu le premier conseiller du Conseil Supérieur, il mourut le 3 juin à 67 ans et fut inhumé le lendemain dans les caves réservées aux inhumations civiles de la cathédrale Notre-Dame de Québec, où l’attendait sa première épouse.
Entre 1673 et 1681, M. de Lotbinière avait tout de même fait quelques contrats de concession à des colons qui figurent comme les véritables pionniers de la seigneurie. Sachant le haut rang social du seigneur et le peu d’aide et d’appui qu’ils pouvaient en attendre, ces hardis défricheurs quittèrent malgré tout la rive nord du fleuve pour s’aventurer sur les terres de Lotbinière, écrit Raymond Douville.
Le premier, Michel Le May, s’établit en 1675 ou 1676. Bien qu’il doive défricher et cultiver sa terre, sa passion pour la pêche prend le dessus : elle est sa principale source de revenus et la vraie raison de son établissement à Lotbinière. Dans un contrat notarié, Le May fait un marché avec le seigneur Jean LeMoyne : il lui livrera un total de 7 500 anguilles en 4 années. Michel Le May décéda à Lotbinière en 1685 âgé d’environ 56 ans. Ses fils continuèrent l’œuvre de leur père.
Le deuxième colon à s’établir à Lotbinière est Jean Beaudet en 1677. Âgé de 27 ans, il s’installa avec sa femme et ses trois enfants. Il détenait un bail à ferme qu’il céda à Jean Hamel en 1681. Hamel souhaitait avoir sa propre terre et demanda une concession en censive au seigneur de Lotbinière. Il l’obtint le 20 novembre 1684. Il mourut vers 1700, âgé de cinquante ans.
D’autres colons arrivèrent et au recensement de 1681, on compte 10 colons avec femmes et enfants. Quatre de ces colons s’étaient établis près du bois des Hurons, un lieu d’hivernement pour ces Autochtones situé sur le haut de la falaise bordant le fleuve. Or ces colons solitaires étaient situés à plus de 5 km de toute habitation et avaient leur propre cimetière. Lors de sa visite pastorale en 1693, Mgr de Saint-Vallier écrit dans un mandement :
« Nous ordonnons aux habitants de faire une clôture pour entourer un espace qui sera destiné à un cimetière que nous permettons au missionnaire qui desservira la mission de bénir. Nous ordonnons — qu’on n’y enterrera seulement et non en aucun autre lieu, souhaitant même que ledit missionnaire y fasse transporter les corps qui se trouvent en terre au cimetière du Platon, Sainte-Croix; à l’ancien cimetière de la même paroisse qui est éloigné de l’église et à celui de la Rivière du Chesne, quand ce transport pourra se faire commodément… », cite l’abbé Paradis dans Les Annales de Lotbinière.
À cette date une première chapelle existe et les registres sont ouverts depuis 1692. À la fin du siècle, on compte 58 habitants dont la plupart sont les descendants des premiers colons.
En l’absence d’une tête dirigeante, les débuts chaotiques de la seigneurie se poursuivent jusqu’au siècle suivant. En 1699 seulement, M. de Lotbinière consent à faire bâtir sur sa seigneurie un moulin à moudre le grain, ce qu’il aurait dû faire vingt-sept ans plus tôt !
Les premiers colons ont la vie très dure. Ils doivent se déplacer sur la grève à marée basse et posséder une embarcation pour aller pêcher et chasser, car les défrichements en culture sont insuffisants pour assurer leur subsistance. Nul chemin n’existe et l’hiver, on enfile les raquettes.
Le 5 juin 1701, M. de la Colombière, Vicaire Général de Mgr de Saint-Vallier, fait la visite épiscopale à Lotbinière. Il ordonne « qu’on fera (sic) clore incessamment le cimetière et qu’on mette (sic) une croix au milieu de son enceinte. Les corps qu’on a laissés dans l’ancien cimetière seront exhumés et apportés dans celui-ci et si la présente ordonnance demeure sans exécution, je déclare le cimetière interdit et défends qu’on y enterre jusqu’à ce qu’on ait satisfait à des devoirs si pressants et qu’on néglige depuis tant d’années. »
Au 18e siècle, le développement de la seigneurie démarre. En 1717, Eugène, le fils de René-Louis Chartier de Lotbinière, fait construire une nouvelle église pour remplacer celle de 1693. Elle sera achevée 6 ans plus tard. Un curé permanent y réside et l’érection canonique de la paroisse Saint-Louis de Lotbinière a lieu en 1724. Toutefois, les curés n’ont pas pleine autorité sur leurs paroissiens et leurs relations sont souvent conflictuelles. Habitués à se débrouiller seuls, les habitants canadiens ont la réputation d’être fiers et hautains, écrit l’explorateur et botaniste suédois Peter Kalm. En novembre 1771, des habitants de Saint-Louis de Lotbinière sont excommuniés pour conduite « impie ». Dans une requête adressée à l’évêque, ils demandent le retrait de leur curé en spécifiant « qu’ils aiment mieux ne point avoir de curés. Et qu’ils ferons (sic) eux-mêmes l’Office. », cite Diane Saint-Pierre dans Histoire de Lévis-Lotbinière.
Après Eugène, la seigneurie passe ensuite à son fils Michel qui était plus intéressé par sa carrière militaire que par le développement de sa seigneurie. Son fils Gaspard-Alain prendra la relève. Sous sa gouverne, le nombre de colons augmente, une nouvelle église est érigée et les forêts sont exploitées. En 1808, Ambroise Chavigny de la Chevrotière, notaire, est le premier homme de loi à s’installer à Lotbinière. Il devient l’homme de confiance et le régisseur de la seigneurie. Ses origines remontent aux débuts de la Nouvelle-France lorsqu’Éléonore de Grandmaison épousa François Chavigny de Berchereau. Un quatrième mariage avec Jacques Cailhaut de la Tesserie, seigneur de la Chevrotière, donnera le nom à cette lignée dite de Lotbinière. Le fils d’Ambroise, Octave, exercera aussi comme notaire tandis que le fils de ce dernier, Alfred, devint médecin pratiquant à Lotbinière.
En septembre 1854, l’abbé Faucher constate dans son rapport annuel que Lotbinière contient 3,375 âmes, soit 470 familles et 2,144 communiants…
Le temps passant, le cimetière situé près de l’église paroissiale devint encombré et le marguiller se préoccupa d’en établir un nouveau. Il jeta les yeux sur la terre léguée par M. Faucher pour soutien à l’éducation. L’Archevêque consulté à ce sujet répondit que, sans y être opposé, l’Ordinaire exigeait que la Fabrique payât ce terrain à sa juste valeur, afin de ne pas frustrer l’intention charitable du testateur.
Les colons ne firent pas un accueil bien enthousiaste à ce projet; le marguiller s’acharna sans tenir compte de l’attachement profond que les paroissiens avaient pour l’endroit où étaient ensevelis leurs proches. Finalement, on trouva la solution : couvrir en son entier le vieux cimetière d’une épaisse couche de sable, ce qui permettrait d’y inhumer pendant de longues années encore. Pierre Lemay acheta d’un habitant du voisinage de l’église, au prix de 130 $, tout le sable qu’il fallait pour relever le niveau du cimetière et fit approuver la transaction par la Fabrique en 1884, malgré la réclamation du Curé. Le travail se fit par corvée et l’entreprise fut un réel succès.
Au début de 1893, il n’y avait pas encore de lots de famille dans le cimetière. Un paroissien bien en vue se risqua à demander une concession. La Fabrique refusa catégoriquement, à la grande déception de celui qui avait proposé cette innovation. La clôture de bois qui entourait le cimetière fut remplacée par une grille supportée par une fondation en pierre taillée. En 1903, la clôture du cimetière restée sans dorure ni peinture nécessitait une réparation : l’on y pourvut au prix de 185 $. Puis on augmenta la surface du cimetière en y ajoutant une partie occupée par les lots familiaux.
L’année 1916 se passa sans travaux remarquables en dehors du bétonnage de la cave de la sacristie qui recevait des infiltrations provenant du cimetière. La Fabrique fit ensuite poser du prélart sur le sol de la sacristie. Très satisfaite du résultat, elle décida d’en garnir toutes les allées de l’église : il fallut doubler les planchers et clouer définitivement les trappes donnant accès à la cave, ce qui permit d’en finir avec les inhumations dans l’église. Réservée au clergé, la crypte était très difficile d’accès. Ce travail coûta au-delà de 400 $. Dans le cimetière, un lieu de sépulture fut destiné aux membres du Clergé. En 1932, la Fabrique installa un crucifix de bronze monté sur un socle monumental de granit qu’on peut voir aujourd’hui.
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Autour de la magnifique église Saint-Louis-de Lotbinière, construite en 1818 et déclarée lieu historique en 1965, se trouve l’enclos du cimetière dont le muret entoure complètement l’église. Une fort belle clôture sculptée orne le champ du repos des pionniers de Lotbinière et leurs descendants. À l’entrée principale, un monument vertical surmonté d’une croix raconte l’histoire de mon ancêtre : Clément Lair. Inspecteur général des lignes télégraphiques sous Napoléon III, chevalier de la Légion d’honneur, Clément s’établit à sa retraite à Lotbinière avec sa femme et ses enfants. Or, sa fille Marguerite épousa Alfred, le médecin ! Ils eurent une fille nommée Marthe Chavigny de La Chevrotière, ma grand-mère paternelle !