Restauratrice et éditrice en chef de l'Écomusée du Patrimoine
De la mort oui, mais aussi de l’amour, l’atmosphère en était tout imprégnée.
Je ne voulais surtout pas manquer cette représentation de Mausolée, une chorégraphie élaborée autour du deuil vécu par les personnes ayant perdu un proche pendant la pandémie. Elle voulait exprimer la douleur de voir un être cher franchir le passage du non-retour sans un adieu charnel et communicationnel. L’exercice devait révéler le trouble émotionnel que génère la privation des rituels de réconfort, ces baumes indispensables autant pour le grand voyageur lui-même que pour les autres restés sur le quai.
Cet article (https://lefilsdadrien.ca/creation/mausolee/ ) avait piqué ma curiosité quand il a fait l’objet d’une diffusion dans notre Infolettre.
C’est pourquoi le 24 août dernier, je me suis rendue au Domaine Cataraqui, à Québec, où se tenait une des représentations de Mausolée. Le décor monté dans les grands jardins du domaine prenait place sur une scène circulaire. Les spectateurs étaient invités à investir cette enceinte à ciel ouvert : le sujet imposait l’intimité. Le plancher de bois de la scène illustrait les anneaux de croissance d’un arbre géant tronçonné à la scie : métaphore de la vie et aussi de la mort. Des vagues mourantes, parfois assourdissantes, occupaient le fond sonore et marquaient l’avancée du temps. La chorégraphie, tout en sobriété, a pris place déroulant sa trame dans une extrême lenteur qui seyait bien à cet exercice d’introspection livré dans la chaleur de fin d’été. Un seul danseur pendant presque la moitié de la représentation : celui-ci dansait autour d’une roche massive qu’on suppose figurant la vie. Il évoluait en s’accrochant éperdument à elle, si lourde à porter à cause de sa promesse de mort. Il semblait refuser obstinément l’inéluctable, se reprendre puis refuser à nouveau, oscillant sans cesse entre acceptation et rejet. Enfin, est intervenu le deuxième personnage, matérialisant ce qu’on suppose être le mourant. Ce dernier interpellait le vivant. Il l’aidait à porter le fardeau, lui souriait pour l’apprivoiser, le soutenant et marchant dans ses pas. Il a fini par gagner la raison de celui qui lui survivrait en lui transmettant un héritage, ici figuré par une semence. Au son des vagues s’est alors superposé le chant des oiseaux, issu de l’enregistrement ou de la faune avoisinante, on ne pouvait le savoir tellement il était authentique. Les deux acteurs ont ensuite terminé leur performance en intégrant la cinquantaine de spectateurs et spectatrices. À chacun et chacune, ils ont remis dans un geste solennel une semence, à l’origine du renouvellement : la vie à l’opposé de la mort.
Sans parole, tout en gestes, cet exercice de médiation culturelle de haut niveau constitue une prestation aussi éloquente qu’émouvante. Les émotions déferlent comme les vagues venues du fond sonore. Bien sûr, j’ai pleuré et comme une Madeleine.
Ce mausolée pour les endeuillés de la pandémie fait plein feu sur la mort. Il illustre l’abîme de son affrontement et l’immense difficulté de s’y résigner. Une grande œuvre à tous égards : décor, mise en scène, sonographie, chorégraphie et intimité créée avec le public présent.