
Administrateur et collaborateur
Ce lieu me plaît, dominé de flambeaux,
Composé d’or, de pierre et d’arbres sombres,
Où tant de marbre est tremblant sur tant d’ombres ;
La mer fidèle y dort sur mes tombeaux !
– Paul Valéry, le Cimetière Marin
La mémoire des morts peut parfois faire voyager. En ce qui me concerne, ce sont les morts qui ont gravé leur souvenir dans l’art qui m’attirent.
Par un étrange saut dans le temps, c’est Georges Brassens qui m’a mené sur cette presqu’île de l’étang de Thau, dans la Méditerranée : Sète. Il y est né, tout comme le poète Paul Valéry, qui compta parmi les nombreuses influences de son œuvre.
On a surnommé Sète l’Île Singulière. Je voulais aller voir rapidement son Cimetière Marin espérant y trouver la sépulture de Brassens.
Le Cimetière Marin qui s’appelait initialement Cimetière Saint-Charles a été rebaptisé marin en l’honneur du tombeau de Paul Valéry, qui lui avait dédicacé un poème, Le cimetière marin. Il a une particularité géographique, voire géodésique — qui correspond à une définition particulière de marin, peut-être différente de celle qu’on lui donne au Québec. Dans ce lieu, toutes les sépultures se dressent sur un canevas de mer avec son horizon infini. La définition de Cimetière Marin que l’on au Québec, est bien expliquée dans un article de la géographe et auteure Lorraine Guay.
Dans le cas de celui de Sète, c’est un poème qui est à l’origine du nom. Toutefois, de nombreuses sépultures de marins morts en mer présentent des icônes marines, des scènes de naufrages, le plus souvent des bouées de sauvetage.
Après quelques visites dans le cadre d’une escapade de voyage, j’ai décidé de m’établir à Sète pour deux ans, à quelques pas de ce lieu de dernier repos pour le visiter et le revisiter hebdomadairement. Certes, il se dégage de Sète, dès que l’on sort de la gare, une atmosphère prégnante avec mouettes, goélands, et canaux, une atmosphère qui a séduit plusieurs artistes venus s’y établir.
Mais Brassens n’était pas dans ce cimetière à quelques pas duquel je m’étais logé. Une copine m’a alors expliqué que Sète compte deux cimetières : le mien dit « cimetière des riches », et l’autre le « cimetière des pauvres ».
Brassens avait demandé, dans Supplique pour être enterré sur la plage de Sète, d’être enseveli dans son sable si fin. Il n’aura pas obtenu sa sépulture sur la plage, mais on lui aura quand même offert le pin souhaité au « cimetière des pauvres ». Un pin parasol qui a bien poussé depuis sa plantation et à l’ombre duquel j’ai pu me recueillir avec un pastis, bien installé sur son modeste lot. Brassens y repose avec sa compagne de vie. Sa sœur et son beau-frère l’y ont rejoint. Et le cimetière des pauvres fleurit.
On raconte à Sète que lors des obsèques du poète, une foule se pressa au cimetière « des riches » ignorant que dans un dernier geste subversif, Brassens avait préféré un modeste enterrement au cimetière « des pauvres » avec, bien sûr, son pin parasol. Il traçait ainsi une démarcation entre la poésie de la mort, magnifique en son supplice, et le concret.
Il a chanté Déférence gardée / envers Paul Valéry / Moi, l’humble troubadour sur lui je renchéris/ Le bon maître me le pardonne / Et qu’au moins si ses vers valent mieux que les miens / Mon cimetière soit plus marin que le sien.
Il a aussi dit, vers la fin de sa vie, que « dans un cimetière, il y a des gens pas sympathiques. Je ne veux pas pour autant être enterré sur la plage, j’aurais l’air d’un con. »
On peut méditer sur les luttes de classe qui s’immiscent jusque dans les lieux de sépulture : cimetière des riches, cimetière des pauvres. Brassens lui, a choisi. Au Québec, on a marchandé la proximité avec la Croix dans le coût des concessions. Feu mon grand-père en a tenu compte dans le choix de son lieu d’enterrement – il voulait être près de celle-ci.
Brassens m’a aiguillé vers Sète, où j’ai finalement vécu à quelques pas du Cimetière Saint-Charles, dit marin, dit des riches, durant deux ans, en pestant hebdomadairement contre la marche de près de deux kilomètres que j’ai eu à m’imposer pour pique-niquer sur la tombe de mon poète, dans le cimetière Le Py, dit des pauvres.
Où voulons-nous nos cimetières au Québec ? Loin, en périphérie, au cœur du village, ou pas si loin de celui-ci ?
Paix aux morts, merci aux mots, Brassens m’aura fait vivre à Sète, méditer et … beaucoup marcher.