
Géographe et auteure
Aujourd’hui, en 2025, les funérailles organisées par l’État québécois se déclinent en trois grandes catégories: les funérailles d’État, les funérailles nationales et les cérémonies d’hommage national ou commémoration nationale. Ce qui semble clair au départ le devient pourtant de moins en moins au fur et à mesure que l’on entre dans le détail de ces catégories. Et encore moins si l’on distingue les funérailles d’une femme ou d’un homme. Au point où cette asymétrie pourrait s’appeler les « funérailles québécoises de genre variable ». Voici donc un aperçu des différentes funérailles offertes par l’État à la population, leur définition et l’évolution du concept à travers le temps.
Les funérailles d’État
Les funérailles d’État sont réservées aux premiers ministres et aux présidents de l’Assemblée nationale. Dans le salon rouge du Parlement, une chapelle ardente est aménagée puis ouverte au public pendant que flotte en berne le drapeau du Québec, et ce depuis l’annonce du décès jusqu’au crépuscule du jour des funérailles. Le cercueil, recouvert du fleurdelisé, est alors porté par des agents de la Sûreté du Québec.
Dans la liste de ceux qui ont eu droit à la plus haute reconnaissance de l’État, figurent néanmoins deux personnalités politiques qui échappent à la règle : Pierre Laporte, ministre en exercice, enlevé par le FLQ et trouvé mort le 17 octobre 1970, et Gérard D. Lévesque, député de Bonaventure, décédé en fonction le 17 novembre 1993.
Ce terme funérailles d’État a cours au Québec depuis au moins 1970, alors que le terme obsèques nationales est davantage en usage en Europe francophone. C’est le service du Protocole, sous la direction du ministère des Relations internationales et de la Francophonie, qui est responsable de l’organisation rigoureuse des cérémonies qui doivent se dérouler dans l’ordre et la dignité. Quant au monument funéraire qui relève du privé, plusieurs furent commandés par les anciens premiers ministres eux-mêmes, tandis que d’autres furent choisis et payés par les familles et les amis pour commémorer l’illustre défunt. Aujourd’hui, c’est la Commission de la capitale nationale qui est responsable de l’entretien du monument afin d’assurer le devoir de mémoire collective des chefs d’État.
Les funérailles nationales
Les funérailles nationales sont un deuxième type de funérailles également décrété par le gouvernement du Québec et défini par le Protocole. Elles sont offertes aux personnalités qui ont joué un rôle majeur dans la société par leur apport dans leur domaine d’activité. Le jour même des funérailles, le drapeau fleurdelisé est mis en berne de l’aube au crépuscule.
Avant l’an 2000, trois personnalités seulement ont eu droit aux funérailles nationales : Lionel Groulx (1967), Gaston Miron (1996) et Camille Laurin (1999). Après l’année 2000, le gouvernement offrira de plus en plus souvent ce cérémonial exceptionnel aux figures marquantes de notre histoire politique et culturelle. Mentionnons le hockeyeur Maurice Richard (2000), le peintre Jean-Paul Riopelle (2002), le cinéaste Gilles Carle (2009) et récemment le sociologue Guy Rocher qui fut honoré par l’État le 2 octobre 2025. Parmi la quinzaine de personnalités ayant reçu le rare honneur des funérailles nationales, on compte une seule femme politique Marie-Claire Kirkland-Casgrain (2016), pionnière des droits des femmes et première femme élue à l’Assemblée nationale.
Plusieurs demandes de funérailles nationales ont été refusées pour des motifs discrétionnaires. Mentionnons celles de Jean Lapointe, de Claude Léveillé, d’Alys Robi, de Janine Sutto et de Victor-Lévy Beaulieu, dont la notoriété publique est pourtant incontestée dans la population. Dans ce tableau des illustres personnages de la société québécoise, les femmes sont les grandes oubliées : Anne Hébert (2000), Marie-Claire Blais (2021) et Michèle Lalonde (2021), toutes écrivaines de calibre international. Ajoutons les peintres Marcelle Ferron (2001), signataire du Refus global, et Joanne Corneau (2016) au rayonnement également international.
C’est le premier ministre qui décide ultimement d’offrir ou non des funérailles nationales. Cette décision peut s’appuyer sur une recommandation du chef du Protocole, en l’occurrence en ce moment Dominic Marcotte, sous-ministre adjoint au ministère des Relations internationales et de la Francophonie. Mais selon Christine St-Pierre, qui a été ministre de la Culture, des Communications et de la Condition féminine, de même que ministre des Relations internationales et de la Francophonie, le Protocole se range plutôt aux souhaits du cabinet du premier ministre. Il n’y a pas de critères précis ou de grille d’analyse. La pression populaire et les coûts associés influencent la décision.
Combien coûtent des funérailles nationales? Le cas de René Angélil qui a soulevé une polémique en 2016 est instructif à ce sujet (TVA). Après son décès, Productions Feeling envoya une facture d’environ 700 000$ que le gouvernement refusa de payer. Le ministère des Relations internationales émit finalement un chèque de 49 770$. Les frais payés par le gouvernement couvrent généralement le photographe officiel, les fleurs, l’avis de décès, le registre de condoléances et le drapeau du Québec.
La cérémonie d’hommage national
Moins protocolaire que les funérailles nationales, la cérémonie d’hommage national est une formule récente qui revêt un caractère laïc et s’éloigne de la religion. C’est le choix fait par la famille de Lise Payette en 2018 où la cérémonie se déroula au cinéma Impérial de Montréal. C’est la seule personnalité politique féminine à avoir reçu un tel hommage. Ce qui fait un total de deux femmes qui ont été officiellement reconnues pour la postérité par l’État!
Le caractère laïc de la cérémonie suscite encore aujourd’hui un débat, mais le Parti Québécois s’est récemment rangé derrière les volontés de la famille. Quel rôle joue l’Église dans une société qui se veut laïque?
Enfin, les cérémonies d’hommage national constituent un honneur moins formel qui peut s’appliquer à des groupes comme les victimes de la Covid-19.
Cet aperçu des différentes funérailles organisées par l’État québécois nous montre la nécessité d’établir plus de clarté dans les critères d’attribution et, surtout, plus d’équité entre les hommes et les femmes. La population attend du gouvernement une politique cohérente et juste pour toutes et tous. Il faut que les femmes remarquables qui ont grandement contribué à l’avancement et au rayonnement de la société québécoise cessent d’être invisibles aux yeux de l’État.
Il est anormal que des reconnaissances d’État relèvent de l’arbitraire. Des critères clairs, prédéfinis par un conseil d’experts et assujettis à une grille d’analyse permettraient à un comité, lequel se devrait d’être neutre et non partisan, de décider rapidement de la nature de la reconnaissance à accorder à une personnalité publique défunte et du cadre administratif accordé : funérailles d’État, funérailles nationales ou cérémonies d’hommage national. La population du Québec est en droit d’attendre que ces décisions soient non partisanes et fondées sur des valeurs connues.