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En Montérégie le patrimoine funéraire s’en va-t-il chez le diable?

Alain Tremblay

Président-fondateur de l’Écomusée du patrimoine funéraire et commémoratif

Récemment, l’Écomusée de l’Au-Delà a été approché par la Société d’histoire du Haut-Richelieu (SHHR) afin d’obtenir de l’aide pour sauver son patrimoine funéraire qu’elle juge grandement menacé.

Sa présidente, Mme Nicole Poulin, nous a fait parvenir le message suivant:

Comme tout un chacun le sait tristement, nos églises, temples et autres lieux de culte sont les uns après les autres vendus, abandonnés ou démolis, faute pour les fidèles – qui ne cessent de se raréfier – de confier aux clergés les sommes nécessaires à leur remise en état. Cela a été dit et redit, mâché et remâché. C’est bien connu.

Ce qui l’est moins, c’est le sort des cimetières dispersés un peu dans tout le Québec, cimetières dont l’état – parfois encore plus lamentable – passe trop souvent sous le radar des citoyens et des amateurs de patrimoine.

La Société d’histoire du Haut-Richelieu a entamé un recensement des cimetières de son territoire et d’un peu au-delà.

Voici, un premier survol de l’état des lieux.

En tout bien tout honneur, il convient d’entamer ce résumé par le cas le plus désespéré : le cimetière d’Odelltown, cimetière des pionniers de la région, ouvert en 1823

Le temple dont il dépendait a été classé patrimonial par Québecnotamment parce que là s’est déroulée une bataille catastrophique pour les Patriotes de 1838, mais le cimetière est laissé à lui-même. Abandonnées depuis des lustres, nombre de ses pierres tombales ont été renversées et les tombes sont désormais occupées par les arbres de la forêt qui s’est emparée de l’emplacement.

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De plus, le chemin qui y menait naguère n’est plus verbalisé depuis fort longtemps et son emprise est maintenant intégrée dans une ferme, tout comme le cimetière. Heureusement, les propriétaires accordent facilement l’autorisation de se rendre sur place, mais ce n’est clairement plus un lieu public.

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Le cimetière catholique de Saint-Blaise s’en tire mieux pour le moment. Son église doit être vendue ou démolie – la décision n’est pas encore arrêtée – mais le cimetière est actuellement bien tenu.

Dans ce cas, le problème est administratif. Une partie du cimetière est en zone verte. Pour mieux vendre le site de l’église, la fabrique souhaite convertir cette zone verte en zone blanche, ce que lui refuse fermement la Commission de protection du territoire agricole. L’affrontement ne semble pas près de se régler.

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À Saint-Paul d’Abbotsford, la municipalité, soucieuse de bien entretenir le cimetière, a confié à ses cols bleus le soin de tondre le gazon, de soigner les arbres et de faire les menues réparations nécessaires.

Elle vient de recevoir une lettre de l’évêché lui indiquant qu’il est illégal pour une municipalité de soigner un cimetière catholique. Voilà une méthode mal avisée de susciter les bonnes volontés…

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Au cimetière catholique de Saint-Jean-sur-Richelieu, cimetière régi par une Corporation composée de la fabrique Saint-Jean-l’évangéliste, du diocèse de Saint-Jean-Longueuil, de la Ville de Saint-Jean-sur-Richelieu et des Caisses Desjardins locales, la Société a été saisie du cas de la pierre tombale de l’abbé Roland Rémillard, curé fondateur de l’église Saint-Gérard-Majella en 1966, décédé en 2003.

Les inscriptions de ce monument érigé sur le lot de la famille Rémillard où l’abbé Rémillard et ses parents reposent ont été effacées et remplacées par des données concernant d’autres personnes qui y sont inhumées, et ce avec l’assentiment des autorités du cimetière. Ce n’est peut-être pas un cas unique, mais ce recyclage inopiné de pierres tombales a de quoi inquiéter puisque les monuments sont propriétés privées: ils appartiennent à l’acquéreur.

Toujours à Saint-Jean-sur-Richelieu, l’ancien cimetière méthodiste wesléyen, appartenant désormais à l’église unie évangéliste, est à vendre. Les familles dont les leurs reposent à cet endroit ont entrepris des démarches et mènent une campagne pour bloquer la vente. Le terrain des plus anciennes tombes était vendu et non pas loué comme maintenant, de telle sorte que des héritiers allèguent ce droit de propriété pour s’opposer à la volonté commerciale du clergé.

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À Notre-Dame-du-Mont Carmel à Lacolle, le terrain hébergeant l’église catholique et le cimetière a été vendu à rabais à la fabrique en 1907 pourvu que le tout serve perpétuellement au culte, faute de quoi le terrain reviendrait aux héritiers ou ayants droit. Or, la fabrique actuelle souhaite vendre une partie de ce terrain pour des fins commerciales. La légalité de la chose est remise en question.

La situation n’est pas partout uniformément désespérante. Ainsi, à Stanbridge Est, la Société historique de Missisquoi surveille l’état de 11 cimetières des alentours et s’assure de leur entretien depuis des années.

Finalement, à Saint-Cyprien-de-Napierville, en 1995, le petit cimetière Douglass, non confessionnel, a été cité par la municipalité, laquelle veille à son bon état.

Une pétition réclamant une nouvelle loi est en préparation

Alain Tremblay et Pierre Daveluy, respectivement directeur et secrétaire de la fédération Écomusée de l’Au-Delà, sont allés visiter ces différents cimetières pour évaluer par eux- mêmes la situation. Ils ont constaté que les problèmes soulevés par la SHHR sont typiques de ce qui se passe un peu partout à travers le Québec. Une rencontre a été planifiée pour la mi-juin avec les membres de la SHHR afin de discuter de pistes de solution. Alain Tremblay fait valoir les nombreuses interventions que l’Écomusée a faites depuis plus de 25 ans auprès du ministère de la Culture et des Communications pour obtenir la modification aux multiples lois qui gouvernent nos cimetières. Sans succès.

Récemment, le ministre de la Santé, M. Barrette, a fait adopter la Loi 66 sur les services funéraires au Québec. Si cette loi a permis de régler une partie des problèmes de la Corporation des thanatologues du Québec, qui est paniquée par les pertes de revenus provoquées par les nouvelles pratiques funéraires de la population, rien n’a été fait pour régler la question de la légitimité des fabriques paroissiales à gérer seules et sans partage nos cimetières et nos églises (la Loi sur les fabriques paroissiales est administrée par le ministère des Finances).

Nos cimetières ne devraient-ils pas être considérés comme un service public? Est-ce normal qu’en 2018 ce soit encore des corporations religieuses qui s’occupent de disposer de nos morts? Cela n’expliquerait-il pas, en partie, le désintérêt de la population qui délaisse de plus en plus nos cimetières au profit de la dispersion des cendres? Le conservatisme des églises dans la gestion des cimetières devient de plus en plus lourd à supporter. Nos cimetières sont peu accueillants (pas de bancs) et entourés de clôtures en mailles d’acier dites Frost.

Nous assistons à de nombreuses fusions de paroisses, de nouvelles corporations sont créées et graduellement les paroissiens sont évincés et n’ont plus rien à dire. Pire encore, quand il y a fermeture d’une paroisse, les biens des paroissiens sont transférés aux diocèses; les paroissiens, nos ancêtres qui ont payé pour la construction des églises _lesquelles n’ont jamais payé de taxes_ et l’aménagement des cimetières, n’ont plus droit au chapitre. Quand l’église est vendue, le profit de la vente retourne au diocèse. Pour le moment, les membres de l’Association des cimetières chrétiens du Québec semblent être davantage préoccupés par les problèmes de l’industrie funéraire que par les problèmes de légitimité des gestionnaires des fabriques.

Les membres de la SHHR et la fédération Écomusée de l’Au-Delà étudient actuellement un projet de pétition réclamant, entre autres, une loi spécifique pour les cimetières et une révision de la loi sur les fabriques paroissiales. Il est certain que, si le gouvernement n’accepte pas de réfléchir à la question, nos cimetières et nos églises sont appelés à disparaître.

Ceux et celles qui souhaiteraient se joindre à nous pour formuler cette pétition sont invités à nous contacter. Une mobilisation est prévue pour l’automne.

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