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Fermeture du chemin Camillien-Houde

Une catastrophe pour les cimetières du mont Royal

Alain Tremblay

Fondateur de l’Écomusée du patrimoine funéraire et commémoratif

La place des jardins de mémoire

Montréal a la chance d’avoir en son cœur deux magnifiques cimetières-jardins patrimoniaux : le cimetière Mont-Royal (1852) et le cimetière Notre-Dame-des-Neiges (1856).  Le premier protestant et le second catholique à l’origine. Avec le temps, ceux-ci se sont ouverts à la laïcité, et ce, même si la structure administrative du NDdN est restée confessionnelle. À ces deux espaces patrimoniaux (67 hectares pour le premier et 139 hectares pour le second) s’ajoutent deux très beaux cimetières juifs. À l’époque de leur installation, ces lieux répondaient aux principaux critères recherchés par leurs promoteurs, à savoir : s’éloigner des zones urbaines densément peuplées pour des raisons d’hygiène, disposer de beaucoup d’espace pour le développement futur et surtout combler un manque de verdure dans la ville. Lotis au départ en périphérie des lieux habités, ils furent rejoints par le développement urbain. Situés sur le mont Royal, ils sont devenus nos premiers parcs urbains. Élaborés à l’âge d’or des cimetières jardins, ils s’auréolaient de valeurs signifiantes :  pour les catholiques, l’élévation sur la montagne rapprochait de Dieu et pour les protestants la présence divine s’exprimait dans les paysages naturels et la nature luxuriante du lieu. Aller conduire ou visiter ses morts à la montagne, loin de l’église, était une expérience révolutionnaire à l’époque.

La ville en évolution

Deux tourelles, c'est ce qu'il reste du fort de la Montagne érigé en 1685 par les Sulpiciens. Le chemin de la Côte-des-Neiges à l'arrière du fort a été le premier chemin à traverser la montagne.

Coincée entre fleuve et montagne, la municipalité qui ne cessait de prendre de l’expansion n’eut d’autre choix que de se développer en contournant la montagne pour finir par l’enclaver. Le chemin de la Côte-des-Neiges fut la première tentative d’accéder à ses sommets pour la traverser d’un versant à l’autre. Profitant de la présence du ruisseau qui longeait ce chemin sur l’autre versant, l’industrie des tanneries fut la première à s’installer sur la montagne. Par la suite, l’arrivée des cimetières amena une autre industrie, protéiforme celle-là, incluant des tailleurs de pierres affectés à la confection de monuments et une variété d’ouvriers engagés pour l’inhumation des défunts et l’entretien des lieux. Avant l’arrivée de la mécanisation de l’ensemble de ses opérations, le cimetière employait en saison jusqu’à 500 personnes.

La montagne se transforme

En 1876, le plus haut des trois sommets de la montagne (233 mètres), celui sur lequel en 1924 fut érigée cette croix lumineuse qui allait devenir un repère identitaire de Montréal, sur ce sommet donc, que l’on croyait jusque-là inaccessible on ajouta une nouvelle dimension urbanistique en aménageant un parc, le bien connu parc du Mont-Royal. Avec lui fut ouvert un chemin en gravier qui porte aujourd’hui le nom du célèbre architecte paysagiste engagé pour concevoir le parc, le chemin Omlsted. Il est utilisé aujourd’hui par des centaines de milliers de personnes, randonneurs et cyclistes. Puis finalement, adossé au parc du Mont-Royal, le chemin Camillien-Houde (CH) s’est inséré en 1950 entre le parc et les deux grands cimetières.

De tout temps, la population montréalaise a choisi le raccourci par la montagne autant par commodité que pour profiter de sa nature ou admirer les somptueuses résidences du mille carré doré. La montagne a toujours constitué un lieu attractif autant pour les montréalais que pour ses nombreux visiteurs. Ils l’ont gravi en funiculaire et en tramway tous deux aujourd’hui disparus.  Le chemin CH leur a donné un nouveau moyen d’accès : la voiture. Cette route est aujourd’hui utilisée par près de 10 000 automobilistes chaque jour, ce qui prouve sa nécessité et son intérêt. Soucieux de la valeur exceptionnelle des vues qu’offre la montagne, le chemin CH fut conçu comme une route panoramique tant par l’administration du maire Jean Drapeau que par celle de son successeur Sarto Fournier. À l’époque (1955-1958), on cherchait désespérément à améliorer la connectivité entre les quartiers de plus en plus nombreux qui encerclaient la montagne. Après avoir construit un tunnel pour chemin de fer au début du 20e siècle, on avait songé à en creuser d’autres, autoroutiers cette fois, pour franchir l’obstacle topographique. L’administration municipale de l’époque avait finalement conclu qu’une route panoramique serait la seule et la plus économique solution aux problèmes de congestion.

Le chemin de la Côte-des-Neiges avec vue sur le centre-ville.
Chemin de la Côte-des-Neiges

De la fermeture du chemin d'accès

Alors que la population n’a cessé de croître depuis ce temps, voilà que l’administration Plante accouche d’un plan qui fait fi des besoins légitimes de déplacements des citoyens de ses différents secteurs de la ville. En effet, il y a quelque temps, elle a fait connaître son intention de mettre fin en 2027 à l’accès au sommet de la montagne par le chemin CH pour tous les automobilistes, autant ceux qui souhaitent accéder au parc et à ses grands stationnements qu’à ceux qui l’empruntent pour traverser le mont Royal d’est en ouest.

Véritable obsession de l’administration Plante, la guerre aux automobilistes ne faiblit pas. Après avoir rendu la circulation automobile cauchemardesque sur le Plateau Mont-Royal, avec des modifications intempestives du sens des rues sous prétexte d’apaisement, voilà qu’elle s’attaque à la route la plus appréciée des Montréalais.  Ainsi, la population qui pouvait depuis longtemps transiter d’est en ouest par nécessité ou encore pour le plaisir de vivre une expérience de montagne au cœur d’une métropole sera frustrée d’un tel plaisir.

Les impacts sur les cimetières

Le chemin Camillion-Houde au sommet de la montagne et les stationnements

Ayant été incapable de s’entendre avec la ville, l’administration du cimetière Mont-Royal, qui voit, entre autres une contrainte à son accessibilité, a décidé de recourir aux tribunaux pour protéger son droit d’accès à cette route fort utile. Celle-ci redoute, avec raison, que la fermeture du chemin n’engendre une hausse du trafic automobile sur son terrain qui deviendra voie alternative pour traverser la montagne. De plus, elle soutient que la mise en demeure qu’elle a fait parvenir à l’administration municipale repose sur des droits historiques et juridiques. Advenant une décision négative de la part des tribunaux, elle réclamera un dédommagement de 15 millions. Pour la ville, cette dépense grossira d’autant les 92 millions déjà prévus pour le réaménagement du site.

Quant à son voisin, le cimetière NDdN, il sera encore plus affecté par cette fermeture. Pourtant s’il s’est fortement opposé par le passé à cette décision, il reste muet pour le moment, comptant sur le bien-fondé des arguments amenés par le cimetière Mont-Royal. Confronté à de graves difficultés financières, il semble préférer attendre le jugement des tribunaux s’évitant ainsi des frais inutiles. Rappelons que le cimetière NDdN subit déjà les contrecoups des difficultés d’accès à son cimetière, d’abord à cause des personnes qui viennent s’y garer pour s’épargner le coût élevé des stationnements municipaux près de la maison Smith. Ce problème ne fera que s’aggraver avec l’élimination de la moitié des 400 places de stationnements existants. Ce phénomène oblige déjà le cimetière à verrouiller les portes du sommet les fins de semaine et en dehors des heures d’affaires limitant de ce fait l’accès piétonnier. Comme si ce n’était pas suffisant, s’ajoute maintenant la réaction de plus en plus négative des entreprises funéraires qui déconseillent désormais à leur clientèle de faire affaire avec le cimetière NDdN, pour des raisons d’accessibilité. Le temps perdu dans la circulation implique des coûts financiers pour les entreprises funéraires. Aujourd’hui, les convois funéraires qui partent de l’est de la ville en passant par le chemin CH devront bientôt faire le détour par le chemin de la Côte-des-Neige, la plupart du temps congestionné. À une autre époque, le cimetière Notre-Dame-des-Neiges faisait valoir l’avantage allusif d’une localisation sur une montagne. Adieu le romantisme attaché à l’accès à la dernière demeure d’un grand nombre de Montréalais ! De ça, l’administration Plante n’a que faire. Les utilisateurs n’auront qu’à prendre l’autobus…

Faisant fi des arguments de 2019, de l’Office de consultation publique de Montréal (OCPM) qui déconseillait pourtant la fermeture, la mairesse prétend que depuis ce temps (5 ans) bien des choses ont changé et il faut désormais sauver la planète. À ceux qui ne partagent pas sa vision, elle rétorque que les générations futures la féliciteront d’avoir eu l’audace de prendre cette décision courageuse ! Pourtant, elle oublie rapidement que Luc Ferrandez, ancien maire de l’arrondissement Plateau-Mont-Royal, s’est cassé les dents en voulant régler ce « problème » des passages en transit, lequel n’a toujours pas été démontré. En effet, pour avoir soulevé les foudres de la population en imposant sans prévenir la fermeture complète du chemin Camillien-Houde, le politicien a dû démissionner. La mairesse bénéficie de l’appui d’Alex Norris, conseiller municipal dans l’arrondissement du Plateau-Mont-Royal. En effet, lors d’une réunion de la Table de concertation du mont Royal, il a prophétisé que « les gens viendront du monde entier pour constater et saluer le courage et l’audace de ces visionnaires », de ces Don Quichotte anti-voiture. De nombreux arguments, tous plus discutables les uns que les autres, quand ils ne sont pas tout simplement fallacieux sont servis.

Le stationnements de 400 places au sommet de la montagne ne sera accessible que par le chemin Remembrance et de plus, il sera amputé de 200 places. Déjà plusieurs automobilistes se garent dans les cimetières pour éviter les frais de stationnement. L'administration du cimetière Notre-Dame-des-Neiges craint que le problème n’aille en s'accentuant avec la réduction prévue du nombre de places disponibles. Pour sa part, le cimetière Mont-Royal est convaincu que les automobilistes emprunteront les sentiers de son cimetière pour traverser la montagne après la fermeture du chemin Camillien-Houde.

Faisant fi des arguments de 2019, de l’Office de consultation publique de Montréal (OCPM) qui déconseillait pourtant la fermeture, la mairesse prétend que depuis ce temps (5 ans) bien des choses ont changé et il faut désormais sauver la planète. À ceux qui ne partagent pas sa vision, elle rétorque que les générations futures la féliciteront d’avoir eu l’audace de prendre cette décision courageuse ! Pourtant, elle oublie rapidement que Luc Ferrandez, ancien maire de l’arrondissement Plateau-Mont-Royal, s’est cassé les dents en voulant régler ce « problème » des passages en transit, lequel n’a toujours pas été démontré. En effet, pour avoir soulevé les foudres de la population en imposant sans prévenir la fermeture complète du chemin Camillien-Houde, le politicien a dû démissionner. La mairesse bénéficie de l’appui d’Alex Norris, conseiller municipal dans l’arrondissement du Plateau-Mont-Royal. En effet, lors d’une réunion de la Table de concertation du mont Royal, il a prophétisé que « les gens viendront du monde entier pour constater et saluer le courage et l’audace de ces visionnaires », de ces Don Quichotte anti-voiture. De nombreux arguments, tous plus discutables les uns que les autres, quand ils ne sont pas tout simplement fallacieux sont servis.

Le point de vue des partisans

Voici quelques exemples utilisés par les prophètes qui annoncent le paradis terrestre ou invoquent la sécurité des cyclistes (les quelques-uns qui utilisent le chemin à des fins d’entraînement sportif) et du danger que représentent les passages en transit pour ceux-ci (à peine quelques centaines d’individus qui passent et repassent sans arrêt à des vitesses folles). On fait miroiter l’augmentation de la canopée et l’agrandissement du parc (pourtant le chemin est coincé entre le parc et les cimetières).  On s’insurge contre l’auto et l’augmentation des gaz à effet de serre. On invoque le besoin de sauver la planète, de maintenir la biodiversité et de respecter de l’approche Olmstedienne qui privilégiait la lenteur pour accéder au sommet de la montagne (du temps de Olmstead, l’automobile était absente de la circulation). Ces arguments sont repris en grande partie par certains membres de la Table de concertation du mont Royal, dont nous sommes membres depuis ses débuts en 2005. Gare à ceux qui osent contester la pensée dominante, une véritable chambre d’écho excluant les automobilistes s’est installée.

Le point de vue des opposants

Mis à part l’OCPDM qui déconseillait cette fermeture, dans la population l’opposition reste vive. Ainsi, le maire de l’arrondissement d’Outremont craint fortement l’augmentation de la circulation dans ses quartiers. Sous prétexte d’apaisement du trafic allons-nous voir apparaitre d’autres sens uniques un peu partout à Outremont comme sur le Plateau-Mont-Royal?

Le milieu des affaires tout comme le CAA Québec considèrent qu’un juste partage de la route reste la meilleure solution. Ils parlent de fluidité de la circulation et prônent le statu quo. À une époque récente, l’idée d’un système de transport aérien par câble intégré au système de transport public fut avancée. Rapidement, avant même discussion, elle fut rejetée par les bonzes du patrimoine qui n’y ont vu qu’un horrible système de gondoles qui massacrerait le paysage. Comment tuer un projet dans l’œuf ?

Les cyclistes de randonnée eux utilisent très peu le chemin Camillien-Houde à cause de la pente trop abrupte. Eux qui avaient pris l’habitude de passer par le chemin Omlsted ou par le cimetière Mont-Royal pour accéder au sommet de la montagne se voient maintenant interdire l’accès à ce cimetière à cause des autres cyclistes, ceux de haut niveau, qui utilisent maintenant ce site comme lieu d’entraînement, et ce, au plus grand mépris des piétons qui y circulent. Les cyclistes de randonnée ne décolèrent pas.

Quant aux personnes à mobilité réduite, aux familles avec enfants en poussette et aux personnes arrivant de la banlieue, tout ce beau monde devra faire son deuil du plaisir de venir sur la montagne, celle-ci sera désormais réservée à la petite élite qui souhaite la transformer en vélodrome à son usage.

Même le légendaire belvédère utilisé par les automobilistes depuis des générations pour profiter du point de vue sera fermé. Et ce sans parler des amoureux qui s’y adonnent à de coquins plaisirs dans leur habitacle avec vue. On se croirait revenir au temps des escouades de la moralité du maire Drapeau qui ne pouvait supporter ce genre d’incartades: un rigorisme d’une autre époque difficile à saisir.

Alors que des milliers dorment dans la rue

Alors que des milliers de personnes dorment dans les rues faute de logement, dépenser autant d’argent pour un projet aussi controversé qu’inopportun demeure inacceptable.

Étant donné

  • que le mont Royal demeure un site patrimonial d’intérêt national,
  • que l’intransigeance de l’administration Plante avec son aveuglement idéologique reste hermétique face aux nombreuses protestations,

 

  • nous implorons un statu quo afin que d’autres avenues plus opportunes soient mises en place autant au bénéfice des citoyens qui fréquentent la montagne que pour celui de la qualité de l’air et le bonheur de la faune.
  • Nous réclamons un moratoire sur la confection des plans de réaménagement.
  • Nous demandons l’intervention du ministère de la Culture du Québec.
  • Nous exigeons l’examen de solutions alternatives.
  • Nous souhaitons une transition progressive et harmonieuse.
  • Et finalement, nous refusons que ce site patrimonial national soit considéré comme un parc de proximité pour le seul plaisir d’une clique de privilégiés.
Description de la vidéo
  • Deux tourelles, c’est ce qu’il reste du fort de la Montagne érigé en 1685 par les Sulpiciens. Le chemin de la Côte-des-Neiges à l’arrière du fort a été le premier chemin qui à traverser la montagne.
  • Le chemin de la Côte-des-Neiges avec vue sur le centre-ville.
  • Chemin de la Côte-des-Neiges vue d’une autre angle.
  • Le stationnement de 400 places au sommet de la montagne ne sera accessible que par le chemin Remembrance et de plus, il sera amputé de 200 places. Déjà plusieurs automobilistes se garent dans les cimetières pour éviter les frais de stationnement. L’administration du cimetière Notre-Dame-des-Neiges craint que le problème n’aille en s’accentuant avec la réduction prévue du nombre de places disponibles. Pour sa part, le cimetière Mont-Royal est convaincu que les automobilistes emprunteront les sentiers de son cimetière pour traverser la montagne après la fermeture du chemin Camillien-Houde.
  •  Vue aérienne depuis le fort de la Montagne, suivant le tracé historique du chemin de la Côte-des-Neiges, le premier à traverser la montagne. Le parcours nous mène ensuite jusqu’au début du chemin Camillien-Houde, accessible depuis l’avenue du Parc. Offrant des vues panoramiques à couper le souffle, ce tronçon, au cœur du mont Royal, est désormais au centre d’une proposition municipale visant à interdire l’accès aux véhicules motorisés.

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