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La terramation : quand la mort rencontre la nature

Julien Desormeaux

Conducteur de four crématoire

Est apparue récemment sur le site de l’Assemblée nationale une pétition peu banale qui réclame l’autorisation de transformer des dépouilles par la méthode de la terramation, aussi appelée humusation. Cette approche mise sur la décomposition des restes du vivant en résidus compostables. Cela fait écho à des expressions bibliques comme “tu es poussière et tu retourneras à la poussière”, mais ici, le cycle naturel est enrichi par la possibilité de contribuer activement à la vie après la mort.

Source : https://oaktreememorials.com

Des âmes sensibles pourraient être choquées par cette idée. Ne risque-t-on pas en associant restes humains à compostage de dévaloriser la dépouille en l’associant à quelque chose de banal? Ce recyclage pourrait-il être perçu comme une désacralisation du corps humanoïde ? Pourtant en Inde et au Pakistan c’est justement pour ne pas souiller les dépouilles par la crémation ou l’enterrement que les défunts sont généralement disposés dans des « dakhma », ou « tours du silence », édifices surélevés où les vautours et autres charognards, se délecteront de leur chair. Une approche d’autant plus sage qu’en ces régions, le bois est rare et peut par conséquent être réservé à d’autres usages.

À nous, cette audacieuse initiative apparaît pertinente. Elle a le mérite de provoquer une réflexion sur nos façons de traiter les restes humains, d’accomplir nos devoirs envers ceux-ci, et de nous projeter au-delà des tabous qui entourent la mort.

Le philosophe grec Diogène (423 à 323 av. J.-C.) dit le Chien, ou encore le Cynique _ appellation un peu plus noble bien que l’intéressé semble-t-il appréciait, voire préférait, dans un snobisme qui lui était propre, le premier surnom_, Diogène donc, à l’époque classique grecque, avait laissé savoir à son entourage qu’advenant son décès, ses dernières volontés consistaient à ce qu’on le jetât hors les murs, à la disposition des bêtes et des oiseaux nécrophages, proclamant à qui voulait l’entendre que son cadavre ne justifiait pas que l’on s’en préoccupât davantage que du sort des ordures ménagères.

Diogène d’après Jean-Léon Gérôme (1860) ©Walters Art Museum, Baltimore. Source: fr.Wikipedia.org

Moléculairement parlant, il avait tout à fait raison. L’emprunt que la vie fait aux éléments carbonés de l’univers a toujours un inéluctable terme et la quittance s’accomplit lorsque le corps restitue à la nature le capital biologique qu’il représente. Sous une forme ou une autre, rien ne se crée et rien ne se perd, tout se transforme. 

Mais nous nous doutons bien que peu de personnes partagent les vues plutôt abruptes du philosophe, qui avait de plus joint la parole aux actes et de son vivant ne traitait pas mieux son corps, toujours vêtu de haillons, dormant dans un tonneau et faisant étalage d’indécences diverses en public.

En général, l’humain a culturellement forgé une notion de respect et de sacralité envers son corps, même inanimé, lui conférant une dignité qui interdit qu’on le livre sans défense aux aléas de la nature. De cette conscience sont nés les cimetières, du grec koimêtêrion qui signifie le lieu où l’on dort. Ces espaces clôturés, où le corps est profondément enterré à l’abri des animaux fouisseurs, incarnent cette volonté de protéger le défunt en le retirant croit-on des perturbations du monde naturel. 

L’humusation des corps a l’avantage d’allier le besoin anthropologique de sépulture avec une option d’inhumation essentialiste et utilitariste qui offre des avantages, nombreux même, qu’il importe de considérer malgré le manque de suavité immédiate de cette pratique. 

Ne serait-ce que pour éviter d’enterrer les cercueils, dont la plupart sont composés de bois aggloméré plaqué, plein de colles, de laque, de vernis, agrémenté de quincaillerie métallique, d’ornements de plastique (si si, de plus en plus !), de rembourrage et de satinages, cet évitement représente une bénédiction environnementale et économie monétaire considérable. Et plus ignobles encore sont les « tôlés », ces cercueils de métal qui n’apportent aucune valeur ajoutée sinon que de rouiller en terre. En quoi un cercueil est-il absolument indispensable ? Combien de temps un cercueil conserve-t-il son intégrité sous plusieurs tonnes de terre ? Le cercueil s’il est indéniablement nocif pour l’environnement est-il futile, voire inutile ? Les musulmans qui enterrent humblement leurs morts en un linceul n’ont pas moins de respect pour eux ! Que dire des produits utilisés pour l’embaumement du corps mis en terre, ne risquent-ils pas de se retrouver dans la nappe phréatique ?

Ne pas creuser de fosse de six pieds de profondeur évite de perturber le sol, économise du carburant et l’utilisation de machinerie lourde. Et lorsqu’on place un corps à cette profondeur, il repose en une terre non végétale, parfois saturée en eau, en milieu anaérobique qui ne favorise qu’une décomposition incomplète et disperse dans la nappe phréatique des fluides corporels aux noms peu ragoûtants tels que la putrescine et la cadavérine sans parler à l’occasion des produits d’embaumement. D’ailleurs, si par chance nos lecteurs ont déjà pu entendre un fossoyeur et ses collègues se raconter leur journée à la faveur d’une bière à la taverne, ils savent qu’il n’est pas rare qu’après plusieurs dizaines d’années, un corps puisse rester « rond » comme qu’on dit dans le métier, c’est-à-dire gonflé comme un ballon de ses produits de décomposition.

Source: https://www.makery.info

Dans le cas de l’humusation, le défunt est enveloppé dans d’un suaire biodégradable, puis placé dans un volume d’environ une centaine de pieds cubes d’un broyat à base de branches et de copeaux de bois. Grâce à l’action combinée de la microflore bactérienne présente dans le corps, à celle des micro-organismes du sol et à une élévation de température, les tissus se décomposent en quelques mois. Cette chaleur permet d’éliminer les substances pathogènes et de prévenir toute odeur. Il est alors nécessaire de récupérer les os, de les broyer avant de les réintégrer au mélange. 

Les promoteurs de l’humusation proposent de récupérer ce compost après un an (au Québec, il faudrait éventuellement compter quelques mois de plus, vu la rigueur de nos saisons) et d’en faire un substrat pour la plantation d’arbres installés dans des zones contaminées ou érodées. Cette matière constituerait un terreau d’excellente qualité et serait propice à une croissance rapide des végétaux. Voilà donc un moyen supplémentaire de combattre la désertification sur tous les continents qui en ont tous besoin.                                                                  

Nous invitons nos lecteurs à consulter les sites suivants pour se renseigner et initier une révolution de l’inhumation avec bénéfices pour l’environnement : terramation,  humusation et rester vert six pieds sous terre . L’Écomusée, réputé pour son point de vue progressiste en matière de cimetière (ce qui lui vaut parfois des inimitiés de la part de l’industrie funéraire très conservatrice), voit en la terramation (ou humusation) l’occasion d’un débat social d’intérêt.

Qu’en pensent nos lecteurs ? 

 

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