Historienne et recherchiste
La mort élogieuse
S’il est question d’évoquer la mort réelle, tous se ressemblent, mais s’il s’agit de se sou venir, des démarcations se lisent. L’inscription tumulaire exhibant les « vanités posthumes » contribue à renforcer les distinctions du défunt. On fait son éloge en déployant à la fois ses mérites civiques et ses valeurs morales. La liste s’ajuste au nombre des fonctions occupées, mais au chapitre des vertus, les valeurs ne sont pas facilement quantifiables. La ténacité et l’œuvre de l’Honorable Jean-Thomas Taschereau est brièvement signalée : « Propositi tenax » [Persévérant dans son projet], tout comme celle du « Dr Victor Lincourt / époux de / Bernadette Morel / décédé le 1er décembre 1939 / à l’âge de 54 ans 10mois / OPERA OPERARI » [L’œuvre de l’ouvrier].
L’exaltation s’inscrit parfois dans la forme, sans le recours au texte. Sur l’imposant édicule aveugle ou pilier-socle érigé sur la place centrale de l’avenue Belmont, un seul indice : P. [Philippe] Huot; aucun titre, aucune date n’accompagnent le nom du défunt. L’accent est mis sur l’expression de l’amour filial : « À la mémoire de mon père / Charles Huot / 4 nov. 1789 / 7 sept. 1857 » et « À la mémoire de ma mère / Angélique Well / 26 mars 1800 / 16 juillet 1869 », se répondent d’une face latérale à l’autre. Par ailleurs, avec le mausolée, dont la cloison dissimule l’écriture, le mutisme n’a pas la même portée. L’architecture se charge du message, le texte devenant alors une surcharge, à l’exception du mausolée d’Alexandre Chauveau, puisque quatre épitaphes occupent les faces latérales et en plus, sur le mur de l’abside, le passé professionnel du défunt s’édifie exhaustivement pour les proches :
À la mémoire de
L’Honorable C.-F.-X. Alexandre Chauveau
fils de l’Hon. P.J. O. [Pierre-Joseph-Olivier] Chauveau
et de dame M. Flore Masse
né à Québec le 23 février 1847
avocat 1868 Conseil du Roi 1878
Député à la Législature de Québec 1872
Ministre de la Province de Québec 1878
Juge des Sessions de la Paix 1880
Président de la Société S.-Jean-Baptiste de Québec 1883
Docteur en droit et professeur à l’Université Laval 1894
[à 1916]
Directeur et vice-président de la Banque nationale 1895
Président du Comité du Monument Champlain 1897
Chevalier de la Légion d’honneur 1897
décédé à New York, le 7 mars, 1916
Son épouse
Dame Adele Tessier
Née à Québec le 5 octobre 1850
décédée à Québec le 17 janvier 1941
[Anecdote : texte de l’épitaphe lu par la serrure et complété lorsque les portes se sont ouvertes un07/07/2007]
Sur le tombeau de la famille de Pierre Garneau, le désir d’accumuler les titres se manifeste pour mieux souligner la différenciation et la prestation sociale :
[face ouest]
A
la mémoire de
Pierre Garneau
ancien ministre et conseiller législatif
de la Province de Québec
officier de l’Ordre de Léopold de Belgique
et de l’Instruction publique de France
né à Cap-Santé le 8 mai 1823,
décédé à Québec le 23 juin 1905
Charlotte Cecile Burroughs
épouse bien-aimée de
Pierre Garneau
décédée le 12 septembre 1887
à l’âge de 60 ans et 3 mois
R.I.P.
[face nord]
L’Honorable
Édouard B. Garneau
Membre du Conseil législatif
de la Province de Québec
décédé le 18 août 1911
à l’âge de
52 ans et 1 mois
et son épouse
Laure Braun
décédée le 18 mars 1949
à l’âge de
87 ans et 7 mois
R.I.P.
Au monument de Charles-Joseph Magnan, la biographie élogieuse du chef de famille s’étale à la vue des passants. Sa compagne demeure toutefois dans l’ombre.
Charles Joseph
Magnan
Président général
de la Société de Saint-Vincent-de-Paul
au Canada
Commandeur de l’Ordre
de St-Grégoire-le-Grand
Membre de la Société
royale du Canada
Ex-inspecteur général
des Écoles normales
de la province de Québec
rappelé à Dieu
le 2 juin 1942
à l’âge de 76 ans et 6 mois
Dame
Isabelle Tardivel
épouse de C.J. Magnan
décédée le 7 septembre 1961
à l’âge de 86 ans et 6 mois
En contrepoint, sur la face nord du monument de G.J.-Ernest Côté, les signes d’appartenance à des ordres pontificaux s’entassent, tout autant pour l’épouse :
À la mémoire de
son Excellence
le Lieutenant
G.J. Ernest Côté
Chevalier Grand Croix
de l’ordre
équestre du St-Sépulcre
commandeur de l’ordre de
St-Grégoire le Grand
1er août 1883-19 mars 1949
époux de
Marie-Louise Grenier
Noble Dame
de l’ordre équestre du St-Sépulcre
Chevalière Grand’Croix
3 oct 1883-5 oct 1959
La reconnaissance de la femme passe parfois par celle de l’homme. Ainsi, on loue le travail du couple, dans l’espoir qu’il soit utile aux vivants :
Lady Routhier
née Mondelet
6 juillet 1917
Sir Adolphe B. Routhier
Juge en chef de la
Cour supérieure de Québec
décédé le 27 juin 1920
Opera illorum servantur illis
[Que leurs oeuvres soient conservées pour les autres]
Au côté nord-ouest de l’obélisque de Joseph-Noël Bossé, on vénère ce dernier :
L’Hon. Joseph Noël Bossé
Juge de la Cour Supérieure
de cette province
né au Cap St-Ignace
le 25 décembre 1807
décédé à Québec
le 24 septembre 1881
Nous vénérons la mémoire du chrétien
et du bon citoyen
et on fait l’éloge de la magnanimité de son épouse, dont l’épitaphe figure sur la face principale du monument :
Lucie-Anne Hullett
épouse de
l’Hon. Joseph N. Bossé J.C.S.
née le 23 avril 1813
décédée le 23 décembre 1878
Elle continue au ciel l’oeuvre qu’elle
a commencé sur la terre
En général, la femme est rarement glorifiée pour ses valeurs professionnelles, si l’on excepte quelques cas, mais le statut du conjoint n’est pas omis pour cela :
Marie Routhier, de la Société
des Poètes canadiens-français,
épouse de l’honorable Arthur Lachance
3 mai 1863-3 février 1930
[patronymes de l’époux et de l’épouse sur le socle : Lachance Routhier]
En outre, sur l’épitaphe assignée à la cantatrice Lucile Angers Delâge, la défunte interpelle ses proches par une citation poétique. L’effet lyrique est atteint :
LUCILE ANGERS DELAGE
cantatrice canadienne, diplômée de
l’École des Maîtres du Chant français
à Paris en 1927
née ALICE LAURENCE DUBUC
veuve de CHs. E. DELAGE médecin
décédée à Québec le 7 août 1930
âgée de 40 ans
Quand vous verrez tomber
tomber les feuilles mortes
si vous m’avez aimée
vous prierez Dieu pour moi
Par contre, si la cantatrice Irma Trunel [de la Croix-Nord] rendit honneur à son défunt époux, le musicien Antonin Dessane, lui aussi d’origine française, elle n’a pas eu droit au même traite – ment de la part de sa famille ou de ses héritiers :
À la mémoire
de
Antonin Dessane
artiste musicien
décédé
le 8 juin 1873
et de son épouse
M.C. Irma Trunel
décédée
le 25 juillet 1899
Si le père, vénéré pour ses qualités et ses vertus, suscite peu de manifestations affectives sauf de la part de ses amis, les épitaphes dédiées à la mère déploient sentiments d’amour et louanges se ralliant à la poésie, pour mieux contrer l’absurdité de la mort, comme en fait foi le monument de François Dumouchel :
À petite mère chérie
Alice Blain
1886-1958
Elle était douce
bonne et belle.
Son sourire
animait tout.
«Ô mort si douce
Ô seul matin!»
L’inscription vouée à l’épouse d’Harold H. Nowlan en témoigne également :
In memory of
Cecile Josephine Tessier
born 1898-died jan. 27th 1953
beloved wife of
Harold H. Nowlan
Her devotion ever remembered
Her memory forever cherished
Elizabeth Ann-infant daughter-died 1934
Le jeune sportif a droit aussi à une mort élogieuse. L’énumération des qualités de Guillaume, fils d’Émile Lemieux, se mêle à l’expression des beaux sentiments, le tout gravé sur la plaque de bronze offerte par ses amis, dont les noms apparaissent de part et d’autre de deux symboles : un cahier et une crosse affichant le no 29 qu’il portait dans son équipe :
Guillaume,
C’est dans le sport, les études, le travail ainsi que dans
plusieurs autres moments que nous t’avons connu.
Là, nous avons su admirer ton courage, ta simplicité,
ta jovialité ainsi que ton honnêteté.
Nous, tes meilleurs (es) amis (es), t’offrons cette
plaque en guise
de notre très grande reconnaissance
[liste de 22 noms]
Guillaume, tu représentes pour nous tous un exemple inoubliable.
À bientôt
Pour l’ecclésiastique, les vertus se déploient et magnifient le dernier rite de passage :
Il a été compatissant
et vraiment prêtre
du très haut
chanoine
Jean Bergeron
prêtre
1868-1956
Ailleurs, le prêtre est le chef de file et ses œuvres prennent l’en-tête sur la stèle des familles d’Abraham et d’Horace Philippon :
L’abbé Georges Philippon
27 oct. 1945 à 56 ans
Fondateur de l’Institut St-Jean Bosco
L’orph. école du Lac Sergent
L’oeuvre des vendeurs de journaux.
Abraham Philippon
12 juil. 1935 à 76 ans [etc.]
La mort familiale
De l’expression romantique et affective à l’idéologie de la famille, il n’y a qu’un pas. Lorsque s’étalent les lignées familiales reconstituant les diverses générations, les inscriptions se réduisent souvent aux données d’identification les plus élémentaires. Nulle place pour les effets lyriques, à l’exception tout au moins du monument des juges Bossé, où les épouses ont droit à la face frontale. On y honore l’œuvre des regrettés :
Lucie-Anne Hullett
épouse de
L’Honorable Joseph N. Bossé J.C.S.
née le 23 avril 1813
décédée le 23 décembre 1878
Elle continue au ciel l’oeuvre qu’elle
a commencé sur la terre
[sur la base]
Marguerite Parant
décédée le 17 mai 1961
à l’âge de 67 ans
épouse de
Henri Georges Bossé
[face nord-ouest]
L’Hon. Joseph Noël Bossé
Juge de la Cour Supérieure
de cette province
Né au Cap St-Ignace
le 25 décembre 1807
décédé à Québec
le 24 septembre 1881
Nous vénérons la mémoire du chrétien
et du bon citoyen
[sur la base]
Marie Adéline
âgée de 8 mois décédée le 25 juillet 1875
[face sud-est]
Dme Marie Amélie
D’Irumberry de Salaberry
épouse de
L’Hon. Jos. Guillaume Bossé J.C.B.R.
décédée le 15 juillet 1898
à l’âge de 49 ans
L’Hon. Jos. Guillaume Bossé
Juge de la Cour d’Appel
décédé le 7 septembre 1908
à l’âge de 72 ans
Sacré Coeur de Jésus ayez pitié de nous
[face nord]
Charles Lucien Bossé
Capitaine au 65me Bataillon
décédé le 22 juin 1891
âgé de 46 ans
Marie Joseph
Charles Bossé
né le 25 février 1882
décédé le 26 juin 1896,
Magnificat Anima Mea Dominum
[sur la base]
Jehanne [sic] Adèle
âgée de 22 ans 5 mois 1902
Je chanterai vos louanges
Mon Seigneur et Mon Dieu
Kathleen Francis O’Meara
épouse de Henri Charles Bossé
décédée le 17 juillet 1906 à l’âge
On proclame l’union intime de la parentèle et la réédification symbolique de la famille étendue.
Sa structure patriarcale s’affiche. Tous les membres ont leur nom gravé en commençant par celui du père, chef de famille en-deçà de la mort et ce, même si son décès est ultérieur. L’accent mis sur son rôle paternel n’empêche pas sa valorisation sociale. En outre, son nom est retranscrit en majuscules à la base du monument. Pour les Langevin, comme pour les autres, cette « nucléarisation du nom de famille » (Urbain, 1978 : 366) manifeste un désir profond de se regrouper dans la mort :
Édouard J. Langevin
Ancien greffier du Sénat
décédé à Québec le 2 décembre 1916
à 83 ans 2 mois
R.I.P.
À
la mémoire de
Charlotte Élizabeth Armstrong,
épouse bien-aimée
de
E.J. Langevin, écuyer
Greffier du Sénat
décédée à Ottawa le 9 avril 1886
à l’âge de 29 ans, 11 mois et 12 jours
Priez pour elle
À la mémoire
de leurs chers
petits enfants
Raoul
Ella
Louis et
Louise
Dame T. Nap. Pelletier
née Alphonsine Cartier
Langevin,
fille de Sir H.L. Langevin
décédée le 30 mai 1904
âgée de 34 ans
R.I.P.
Caroline Pelletier
1902-79
Ici repose A.R. McDonald, écuyer
décédé à Québec le 1er octobre 1906
âgé de 60 ans. Priez pour lui.
À la mémoire de
Madame A.R. McDonald
née Marie Langevin
décédée à Québec le 13 octobre 1916
à l’âge de 74 ans
R.I.P.
Hector Ls. Laforce Langevin
ingénieur civil
décédé le 19 mai 1897,
à l’âge de 36 ans
Dame veuve F.M. Derome,
née Malvina Langevin,
décédée le 23 avril 1904,
Priez pour elle.
À la mémoire de
Caroline Odine Edmond Rouer Charles-Edouard et Lea;
enfants de l’Honorable Sir Hector L. Langevin
LANGEVIN [au bas]
[Ce dernier fut inhumé dans la crypte de la chapelle de l’Hôtel-Dieu de Québec, le 15 juin 1906.]
Les listes généalogiques s’allongent interminablement. Ce processus permet aussi le repérage d’illustres familles d’hommes de loi, comme celle des juges Cannon occupant un lot sur l’avenue des Eaux-Sylvaines. Ici, le discours prolixe favorise autant le culte de la personnalité que celui de la famille :
[face principale à l’est]
À la douce mémoire
de
Aurélie Dumoulin
épouse de
l’Honorable juge L.J. Cannon
décédée à Québec
le 16 septembre 1905,
à l’âge de 49 ans
L’Honorable
Lawrence John Cannon
juge de la Cour supérieure
décédé à Québec
le 30 janvier 1921
à l’âge de 68 ans
Honorable L. Arthur Cannon
juge à la Cour suprême du Canada
décédé à Ottawa
le 25 décembre 1939
à l’âge de 62 ans
R.I.P.
son épouse
Corinne Fitzpatrick
décédée à Québec le 12 mai 1970
à l’âge de 89 ans
[face nord]
Edward L. Cannon
born september 17, 1906
died july 30, 1956
Michelle
enfant de Alexandre F. Cannon
déc. le 4 sept. 1959, à l’âge de 10 ans
Maud Cannon
décédée le 15 avril 1962
à l’âge de 78 ans, 11mois
Robert Cannon C.R.
décédé le 9 juin 1970
à l’âge de 69 ans
Lt. Col. Alexandre F. Cannon
décédé le 29 novembre 1972
à l’âge de 64 ans
son épouse
Atala Coulombe
décédée le 8 mars 1985
à l’âge de 77 ans
[face sud]
Anita Béatrice
enfant de L.J. Cannon
décédée le 17 janvier 1893
à l’âge de 19 mois
Lionel Cannon
notaire
décédé à Québec
le 9 octobre 1918
à l’âge de 33 ans
Edith Cannon
décédée à Québec
le 25 juillet 1935
à l’âge de 56 ans
Honorable Lucien G. Cannon C.P.
juge de la Cour supérieure
décédé à Québec
le 14 février 1950
à l’âge de 63 ans
R.I.P.
Honorable Charles Cannon
juge de la Cour supérieure
1905-1976
son épouse
Jeanne La Rue
décédée le 30 septembre 1980
Tout près de l’entrée principale, au lot de l’homme d’affaires Jean-Baptiste Renaud, l’image de la pérennité de la cellule familiale se perçoit non seulement par les inscriptions mais aussi par la forme. L’agencement de six stèles individuelles dédiées aux membres du lignage entourant l’obélisque central constitue en soi « un micro-cimetière familial », tout comme un peu plus bas, au monument de l’Honorable René-Édouard Caron, avec cette fois, neuf cubes répartis de part et d’autre ou encore dans la section au centre nord, au lopin de Louis-Alexandre Taschereau où, devant la stèle verticale, sept blocs rassemblent tous les membres. Ce dernier, signalons-le, fait preuve de discrétion en ne nous révélant pas qu’il fut premier ministre du Québec. Le tout « s’offre aux regards comme une accumulation, une quantité, une valeur, un capital, comme le signe même de l’homogénéité et de la puissance du groupe » (Urbain 1978 : 367). Sur la pierre tombale d’Henri Gagnon, l’identification des défunts se double du degré de filiation. « Garder à soi les morts, c’est bien cela l’essentiel » (Urbain 1978 : 222) :
David Gagnon 1832-1915 Mon père
Clémentine Lévesque 1841-1926 Ma mère
Berthe Guay 1883-1920 Ma femme
Henriette Gagnon 1915-1932 Ma fille
1883 HENRI GAGNON 1958
Commandeur de
l’Ordre de St-Grégoire Le Grand
Officier de la Légion d’Honneur
Catherine Danjou Gagnon 1862-1959
Certaines personnes affiliées à des collectivités civiles de confession catholique ont laissé pour compte la sépulture familiale. En toute convivialité, elles cherchent à se rassembler dans la mort et à reconstituer une nouvelle famille. Plus de 70 membres de la congrégation des Enfants de Marie de la paroisse Saint-Jean-Baptiste se regroupent à l’est, sur l’avenue éponyme, et leurs dates de décès s’alignent dans une chronologie parfaite. Curieusement, on distingue deux enfants morts en bas âge, dont les noms apparaissent distinctement sur le socle. Au nord de l’avenue Belmont, le même groupe, mais cette fois de la Haute-Ville, tend à une certaine individualisation au sein de la collectivité avec son monument entouré d’une couronne de trente-sept petits blocs délimitant le terrain, un pour chaque sujet avec les dates extrêmes.
La mort sans artifices
La mort en toute simplicité honore l’homme de profession libérale. Au cimetière Saint-Charles de Québec, l’architecte Charles Baillairgé, auteur des plans de cette nécropole et de celle de Notre-Dame-de-Belmont, a ses trois pré noms inscrits sur un médaillon en marbre fixé à un bloc de pierre, suivant ceux de William Duval B. et de Gabrielle Larue, sans aucune mention de son œuvre : « Charles-Philippe-Ferdinand Baillairgé / 30 septembre 1826 – 10 mai 1906. » Quant à l’artiste peintre, il bénéficie d’un modeste hom mage, tel Edmond Lemoine, dont la stèle se dresse sur l’avenue de la Forêt, à l’est du cimetière Belmont :
À la mémoire de
Edmond Le Moine
artiste-peintre
décédé le 9 janv. 1922
à l’âge de 44 ans
son épouse Hortense Charlebois
1884-1969
R.I.P.
Théophile Hamel, pour sa part, a son nom gravé sur un monument plus récent érigé tout près de l’entrée principale, et à l’origine, il a eu droit à une petite plaque au sol, où s’affichent également son nom et ses dates extrêmes. Quant à son neveu, le peintre Eugène Hamel, présumément inhumé au lot de la « Famille d’Abraham Hamel », il s’associe plutôt au giron des anonymes. Au cimetière Saint-Michel de Sillery, la pierre tombale de Charles Huot porte en médaillon à côté de celui de sa fille, son épitaphe sous une croix grecque unie à la palme : « Charles Huot / Artiste-peintre / Officier de l’Instruction publique / 1856-1930 / R.I.P. ». Au centre-ouest du cimetière Belmont, un père, réputé historien de l’art, voile son œuvre colossale, alors que la profession de son fils nous est révélée : «Gérard Morisset / 1898-1970 / époux de / Marguerite Migneault / 1899-1987 / Denys Morisset / artiste peintre / 1930-1990 ».
Si le notable assume lui-même son immortalité dans la mémoire collective, certains défunts bénéficient de privilèges conférés par des amis, comme en fait foi l’inscription dédiée au musicien Joseph Vézina : « Ses admirateurs / ses amis. » Au tombeau offert à Narcisse-Henri-Édouard Faucher de Saint-Maurice, au haut de la croix celtique, le désir d’un souvenir éternel se manifeste : « Ne obliviscaris in finem » [Que tu ne sois pas oublié à la fin]. Tout à côté, des lecteurs fidèles vénèrent de façon posthume un autre homme de lettres, le polémiste Arthur Buies. En effet, une sculpture moderne en métal peint en noir, exécutée par Loretta Laplante, fut récemment adjointe. Constituée de formes sphériques entrecroisées, elle surhausse une arche enserrant la stèle en granit édifiée jadis, où le nom du défunt avec ses dates extrêmes occupent la tête. Prônant la rhétorique de la liberté d’expression, les commanditaires se manifestent tout en majuscules, sur une plaque en métal : « Liberté / Lorretta / avec l’aide de L’Œil de Poisson / Don : Madeleine Ferron / Jean Cimon / Laurent Laplante. » Ailleurs, certains proches s’enorgueillissent d’être l’ami de Louis Timothé Susor :
Ci-gît Le Lieut. Colonel L.T. Susor A.A.G.M.B.C.
né le 21 août 1834-décédé le 18 août 1866
R.I.P.
Sa mémoire fait
notre orgueil
Ses amis
Au monument de Jean-Guy Cardinal, la pensée du défunt exalte son souvenir et se jouxte à un motif fleurdelisé : « Là où existe une volonté, existe un chemin ». Pour l’historien Guy Frégault, la maxime transcrite sur un livre ouvert « L’homme tombe / l’œuvre reste debout » rappelle que l’être survit par ses écrits. Au cimetière Saint-Charles, pour l’écrivain portraituré dans le bronze en 1985, la mort cible le volet ultime de sa vie, tel que cité sur le socle en granit : « Roger / Lemelin / Écrivain / 7 avril 1919 / 16 mars 1992 / Ici finit / mon beau voyage / J’ai écrit / ma dernière page. »
Pour René Lévesque – fondateur du Parti québécois – inhumé au cimetière Saint-Michel de Sillery, on a eu recours à la citation d’un poète et chansonnier admiré :
La première page de la vraie belle
histoire du Québec vient de se terminer…
Dorénavant, il fait partie de la courte liste
des libérateurs du peuple
Félix Leclerc / 2 novembre 1987.
D’autres hommes politiques ou hommes de loi ont également refusé le faste posthume, comme en fait foi le monument de Théodore Robitaille réduit à un simple cube tenant lieu de support à l’épitaphe :
L’Hon.
Théodore Robitaille
Lt-Gouverneur
de la Province de Québec
de 1879 à 1884
décédé le 17 août 1897
Sur l’avenue des Amaranthes, au lot de la famille Duval, les deux blocs circulaires ou marqueurs jonchant le sol suffisent à peine à recevoir leur inscription :
L’Hon. John F. Duval
cidevant
Juge en chef de la Province
de Québec
décédé à Québec
le 6 mai 1881
G.A. Duval
Greffier de la paix
décédé à l’âge de 38 ans
le 18 décembre
1871
Pour le juge Louis-Napoléon Casault, le statut professionnel passe sous silence. Sur un bloc de pierre, se détache son patronyme sculpté en relief, comme pour François Évanturel, où il fut transcrit sur un parchemin rehaussant un cube devant la croix noire marquant l’entrée au Belmont. Quant à celui de [Philippe] Panet, au cimetière Saint-Charles, sur un domaine qui jadis lui appartenait, un cube ne fait que le commémorer, car il fut inhumé dans la cathédrale Notre-Dame de Québec. En toute simplicité, ces hommes, et non les magistrats, retournent aux sources. Autre curieux paradoxe dans cet univers du post mortem : l’enfant est l’objet de traitements extrêmes, passant de l’idéalisation à l’oubli, notamment s’il est dédié à la fosse commune, où l’existence ne laisse aucune trace. Au tom beau familial, il n’a généralement droit qu’au nom, parfois à l’âge et aux dates. Il n’en est pas moins aimé pour autant, mais on le dit rarement. Au tombeau de J.-B. Olivier Gagnon, les faces de la colonne se couvrent des noms de toute la lignée, tandis que les enfants sont évoqués sur le traversin à l’avant du piédestal : « À la mémoire des 8 enfants de J.-B.-O. Gagnon. » L’enfant ne s’y intègre que symboliquement, seulement par un nombre, expression minimale du désir de regroupement dans le néant de la mort. Par contre, au lot d’Alfred Tanguay, on meurt non pas par importance d’âge, mais chronologiquement et ceux qui sont partis trop vite ont droit à l’entête : « A. Marie Fernande / 1899-1902 / Jos. L. René / 1909-1910 / etc. » Exceptionnellement, le petit a droit à un tombeau en forme d’arbre-croix, avec épitaphe à lui seul, au lot voisinant celui de l’Honorable René Édouard Caron :
À la mémoire de
C.A. Joseph Édouard
enfant bien-aimé de
- Fitzpatrick Ecr. C.R.
décédé le 8 décembre 1888
à l’âge de deux ans et deux mois
Parfois on inscrit le nom du bambin sur un bloc individuel, près de la pierre tombale des parents. Mais la mort demeure rationnelle puisqu’on n’y précise que le nom et la date, sans aucun recours à l’expression affective. Par ailleurs, pour Jean-Docile Brousseau, la perte d’un enfant fait souffrir, même s’il est grand :
Douleureux souvenir
de notre fils bien aimé
Georges Downes
Brousseau Ingénieur forestier
1899-1933
Pour Jean-Baptiste Deschamps, la paternité revêt une connotation mystique : Que les miens qu’ici-bas mon cœur a tant aimé Du céleste parfum soient un jour embaumés! [Inscription sur la contremarche d’un gradin]
La mort anonyme
De la mort sans artifices, le silence est proche, mais est-ce par choix ou par fatalité? Sur la stèle d’Ivan E. Vallée, l’ellipse est de rigueur : aucune mention ni du nom, ni de la profession de sa fille Gabrielle, juge en chef de la Cour supérieure. Encore faut-il se plier aux désirs de la défunte, car de source sûre, elle avait déjà pris cette décision à la mort de son père en 1962.
S’agit-il là d’un recours à l’anonymat absolu ou à l’Absolu de l’anonymat ? Par ailleurs, les filles mères décédées à la crèche se devaient non seulement de vivre, mais de mourir dans l’ombre, à une époque où les discrédits sociaux pesaient lourd sur ces malheureuses, souvent vouées au service des religieuses qui les accueillaient. Pour qu’on se souvienne, elles espéraient tout au plus une petite stèle, mais certainement pas avec leur nom gravé. Heureusement, le Pasteur assurait la veille : « À la mémoire / des / madeleines / du Bon Pasteur / décédées depuis / l’an 1915 ». Quel contraste avec les obélisques grandioses des familles Brousseau et Morin voisinant cette stèle sur l’avenue des Eaux-Sylvaines!
Les moins nantis ayant droit à une concession temporaire dans les sections des fosses à part, pouvaient y laisser une modeste pierre tombale avec texte, parfois ornée d’une pleureuse en relief, comme celle de la famille Gingras : « À la douce mémoire / de / Dame Amanda Ouellet / épouse de / Georges Gingras / décédée le 7 janvier / 1907 / à l’âge de 35 ans trois mois / 1907 Cécile Landry 1976 / Épouse de / Roméo Gingras. » En fait, qu’il s’agisse d’une petite stèle ou d’un édicule monumental, la fonction objective reste la même, celle d’immortaliser le sujet. La distinction, rappelons-le, demeure au niveau subjectif, au niveau des moyens de séduction symbolique. Même si dans la pratique, pour les concessions temporaires ne s’échelonnant que sur dix ans, les sépultures demeurent en permanence – vu le caractère sacré qui s’y rattache – elles sont le plus souvent laissées à l’abandon (ou plus récemment, transférées dans une zone clôturée au centre-nord). De plus, étant éloignées des artères principales, leur écriture n’atteint pas aussi facilement le regard des passants. Quant aux démunis n’ayant accès qu’à la fosse commune, leur mort est vouée au néant, sans aucun signe à la vue. À l’origine, cette zone était située au nord-est de l’avenue des Eaux-Sylvaines et les enfants morts en bas âge y étaient souvent inhumés. Tout aussi peu accessibles, les traces de la mort des irréguliers ou indignes qui ne remplissaient pas les conditions de salut, tels les enfants morts sans baptême, les hérétiques, les excommuniés, les pendus, les alcooliques, les femmes publiques, les concubinaires, les usuriers notoires, les suicidés et ceux ayant livré leur corps à la crémation.
Tel que stipulé au code de droit canonique rédigé par Mgr de Saint-Vallier en 1703 et toujours en usage, Charles Baillairgé a prévu une fraction de terre non bénite, entièrement boisée à l’extrême nord-est du cimetière, le Champ du potier, afin de ne pas attirer l’attention sur ces mauvais exemples de vie et elle servait encore au milieu du XXe siècle. On ne peut s’en surprendre, puisqu’à ce sujet les ordonnances synodales ne furent pas modifiées d’une version à l’autre et ce, jusqu’en 1984. Il ne faut surtout pas s’attarder à ces morts honteuses ou dissimulées pour cause de con duite réprobatrice. Absence non pas due à la pauvreté, mais à « l’extermination symbolique », à cette « seconde mort » qui fait disparaître le sujet «dans le désert sémiologique des inhumations anonymes» (Urbain 1989 : 118).
La mort contemporaine
À l’époque contemporaine, l’écriture funéraire connaît un changement radical, notamment depuis les années 1970. Les éléments narratifs sont constitués de noms accompagnés des dates extrêmes et parfois l’épitaphe s’abrège jusqu’à porter l’ellipse à son degré suprême : un patronyme. On anticipe la mort en gravant les noms avant l’événement fatidique ou en laissant un tiret après l’année de naissance, lors des préarrangements funéraires. Par contre, le texte peut resurgir dans une portée humaniste, comme pour les familles Marmion-Paradis, où fut transcrit sur une plaquette en métal fixée au bas de leur stèle : « Jean Paradis / 12 octobre 1960 – 6 août 1992 / Tu croyais en la Vie, en la nature de l’Homme, en la pureté de ses sentiments. Tu aurais voulu les changer, lui et sa planète. Tu as préféré les quitter. Mais rassure-toi, tant que l’univers existera Jean, notre Amour, bien qu’humain te sera Éternel. / Repose en paix. »
L’inscription « Je ne vous ai pas quittés parce que je le voulais. Je serais bien restée avec vous plus longtemps si cela avait été mon choix », personnalise la pierre tombale de Marie-Jeanne Forest (16-12-1934 / 07-08-2002), tandis qu’une note poétique anime celle de Serge Santais (1951-2000) : « C’est la nuit qu’il est beau de croire à la lumière. » Par ailleurs, certains stéréotypes persistent, comme en fait foi la stèle de la famille Lachance, où la citation se détache sur un fond de paysage conventionnel : « J’ai rejoint ceux que j’aimais / Maintenant j’attends ceux que j’aime ». Sur celle d’André Verville, le même extrait est suivi du nom de l’auteur, le prélat, théologien et écrivain français Jacques Bénigne Bossuet.
Aussi, avec la popularité de l’incinération comme mode de sépulture, on adopte le mausolée communautaire offrant des cryptes pour les cercueils et des niches pour les urnes. Avec ce nouvel espace par étagements, la hiérarchisation demeure, car les emplacements à proximité de l’autel et ceux plus accessibles à la vue demeurent plus prestigieux. Mais la mort n’est plus iconique et l’écriture funéraire est réduite à sa plus simple expression : les données d’identification sommaires. Nous sommes bien loin des textes prolixes gravés sur un grand nombre de pierres tombales et bien loin de ces étalements de lignées familiales, puisque l’univers de la famille tend à se réduire au couple. Comme si l’époque contemporaine reconnaissait enfin l’égalité des êtres dans la mort, à moins qu’il ne faille voir là une certaine manière de la camoufler. À l’instar de l’icône, l’épitaphe adopte peu à peu la voie du silence, un silence de mort. Comment peut-on interpréter cette volte-face ? Pourquoi la mort lyrique n’a-t-elle plus droit de cité ? Ce phénomène peut s’interpréter comme « l’émiettement et la désintégration d’une tradition […] Mais c’est précisément de la fin d’une tradition qu’il s’agit : pas de la fin d’un langage. […]. Évoquer ses morts minimalement, n’est-ce pas au fond les évoquer intensément ? La minimalité du texte funéraire contemporain n’est pas le signe de la fin d’un langage. Elle est bien plutôt une autre façon de les dire et de les retenir» (Urbain, 1989 : 236).
Tel que démontré, sous une facette ou l’autre et d’un discours à l’autre, le cimetière reproduit les codes de la société qui l’a fait naître. Dans ce lieu socialisé, les symboles et les différences signifiantes s’étalent devant le spectateur attentif, les mentalités se révèlent aussi au grand jour et les croyances ou allégeances des individus s’affichent, qu’elles soient d’ordre religieux, social ou philosophique. De même, l’objet funéraire et l’écriture du souvenir s’y donnent à lire et par là, une histoire et une culture.
Si la mort est partout présente au XIXe siècle et au début du XXe siècle, c’est qu’elle est à la fois une séparation de fait qu’on se complaît à regretter, les pleurs du deuil témoignant alors de l’amour blessé, et une apparence qu’il faut vider de son résidu de réel, pour rétablir les communications avec les disparus. D’où les principaux caractères de l’époque : l’hypertrophie du deuil, le culte du sou venir, la fréquentation du cimetière et des tombeaux (Ariès 1983 : 249).
Depuis les années 1960, période où la société québécoise a vécu des transformations majeures, ne fallait-il pas s’attendre à ce que l’image de la mort subisse des altérations ? Si elle a dramatiquement changé depuis, si l’objet funéraire s’est banalisé, si les différences ne se lisent plus de la même manière, on peut prétendre à une transformation du rapport à l’histoire, à une « désappropriation de l’histoire » (Lemieux, R. 1984 :252). Signe des temps, peut-on s’écrier. On ne peut nier que la société contemporaine subjuguée par l’emprise de l’immédiateté a perdu son sens de la durée et ses références au passé. Mais au fond, il s’agit bien davantage d’un changement dans les mentalités, dans la mesure où l’on n’est plus prêt à investir pour perpétuer une belle image au cimetière. Ce phénomène a conduit à une banalisation de l’objet funéraire et à la perte de sa symbolique. Ce processus manifeste le déni de la mort dans la société moderne (Thomas 1985 : 88). De familière, elle est devenue impersonnelle, neutralisée. Mais, comment en est-on arrivé à ce point de non-retour ?
Au cours de la première moitié du XXe siècle, une tendance à la sécularisation se manifeste. La société québécoise est entraînée, avec l’expérience de la modernité, dans un processus de rupture avec la tradition et cette profonde crise des valeurs la mena à la recherche d’un ordre nouveau. Peu à peu, des brèches s’opérèrent et l’éloignement de l’Église et de l’État engendra une rupture significative puisque désormais on laissait place à la conscience individuelle jusque-là freinée par « l’idéologie de la primauté de Dieu, de la religion [et] du céleste » (Lamonde : 307). Depuis le milieu du XXe siècle, de façon générale, la pratique religieuse n’est plus régie selon le code d’éthique de l’Église. Le réveil religieux, révélateur des courants dévotionnels de l’époque, s’est estompé et plusieurs pratiquants optèrent pour une religion utilisée à bon escient, « une religion à la carte » (Harvey : 156). Les concepts de la survie de l’âme n’offrent peut-être plus l’espoir d’un égalitarisme posthume, d’une « démocratie de l’au-delà » (Baudrillard 1976 : 24). Soit dit en passant, ce mouvement de sécularisation aurait pu s’atténuer avec les réformes de Vatican II (1962- 1965), mais à l’évidence, ce concile qui projetait un renouveau de l’Église et un rétablissement de l’unité chrétienne n’a pu fournir de nouveaux modèles, de nouveaux supports symboliques susceptibles de répondre aux besoins des catholiques. Dans ce contexte marqué par de singuliers « déplacements du sacré » (Chagnon : 21-51), plusieurs croyances religieuses et ésotériques furent engendrées, accordant plus d’importance à l’individu. De même, des cultures profanes ont pris assise et les instigateurs des sciences sociales ont eux aussi remis en question «la légitimité des savoirs et des modes de gestion des élites dites traditionnelles » (Fournier/Lamonde : 233) et pour mieux gérer la réalité sociale, ils ont eu recours à la science et non plus au seul respect de la doctrine ou de la tradition. De fait, si l’Église a perdu son pouvoir d’encadrement idéologique sur la vie individuelle et collective, il ne faut pas s’étonner du fait que ces changements aient affecté tangible ment les perceptions de la mort.
Enfin, d’autres facteurs ont également contribué à cette marginalisation de la mort. On pourrait y voir, entre autres, une conséquence à long terme de l’ouverture de la discipline ecclésiastique à la crémation, depuis 1963. Aussi, l’industrialisation de la mort visant la spéculation commerciale n’est pas étrangère à cette évolution, car en envahissant le domaine funéraire, elle s’est peu à peu appropriée la symbolique funèbre. Dans les années 1970, l’entreprise privée gérant l’ouverture des parcs commémoratifs en périphérie des agglomérations urbaines signait la rupture définitive entre l’église et le cimetière (Guay 1991 : 27). Aussi, elle sonna le glas à cette rhétorique posthume, puisque dans ce nouvel espace les monuments sont réduits à des plaques au sol tenant lieu de mémoriaux. Finalement, avec l’avènement des multinationales funéraires, dont l’expansion atteint son paroxysme au milieu des années 1990 (St-Onge : 65), l’espoir de retrouver un culte des morts renouvelé nous semble vain.
En ce tournant du XXe au XXIe siècle et dans la poursuite d’une révolution demeurée inachevée, il convient tout de même d’élaborer des projets en remplacement des multiples ruptures qui ont démoli nos repères symboliques et ainsi, sera-t-il possible de nous réapproprier la mort ? Tout au moins, pouvons-nous contribuer à la conservation de ce patrimoine commémoratif. Indubitablement, il devient essentiel de faire classer davantage de ces lieux comme sites historiques afin d’assurer leur mise en valeur et leur sauvegarde face aux injures du temps et aux actes de vol ou de vandalisme. Toujours à l’image de la ville, les cimetières se fusionnent peu à peu et dans ce courant, la Corporation du cimetière
Belmont relève de celle du cimetière Saint-Charles de Québec depuis l’été 2007. Cette nouvelle entité, toujours en relation avec les fabriques paroissiales, pourra-t-elle obtenir auprès des instances privées, associatives, municipales ou gouvernementales les ressources pour réussir cette opération de reconnaissance ? Et combien d’autres emboîteront-elles le pas ?
Quoi qu’il en soit, ces nécropoles pittoresques demeurent des lieux de repos propices à l’introspection ou à la méditation, de même que des aires de silence où il fait bon se souvenir ou se recueillir sur la tombe d’un être cher. Ces lieux constituent aussi des sites naturels s’offrant à nous pour une promenade contemplative ou un pèlerinage permettant de décrypter les personnages qui ont bâti notre histoire et notre culture, tout en admirant les valeurs architecturales, artistiques et historiques de leurs demeures posthumes.
Personnages inhumés au cimetière Belmont (sauf indication)
Index des noms dont il est pertinent de préciser la fonction et les dates extrêmes (ou la date de décès) en hors texte, afin d’en alléger la lecture.
A
Amyot, Georges-Élie (1856-1930), homme d’affaires, manufacturier, président de la Dominion Corset, conseiller législatif (1912-1930); plans du mausolée : McIntosh-Gullet Co. Limited de Toronto, 1908
Angers Delâge, Lucile (1890-1930), cantatrice diplômée de l’École des Maîtres du chant français à Paris
B
Bilodeau, Joseph (1900-1976), avocat, homme politique, juge en chef de la Cour des sessions de la paix (1947-1948), juge en chef de la Cour de magistrat ou Cour provinciale depuis1965 (1948-1970)
Borne, Lucien (1844-1934), époux d’Eva Jungblut (1851-1917) et père de Lucien-Hubert Borne (1884-1954), maire de Québec (1938-1953) – Saint-Charles
Bossé, Joseph-Noël (1806-1881), avocat, homme politique, conseiller législatif (1864-1867), sénateur (1867-1868), juge de la Cour supérieure (1868-1880) (père de Joseph-Guillaume)
Bossé, Joseph-Guillaume (1836-1908), avocat, homme politique, juge de la Cour du banc de la Reine (1888-1908)
Brousseau, Jean-Docile (1825-1908), libraire-imprimeur, éditeur, homme d’affaires, homme politique, maire de Québec (1880-1882)
Buies, Arthur (1840-1901), avocat, homme de lettres, fonctionnaire
C
Cardinal, Jean-Guy (1925-1979), notaire, homme politique, conseiller législatif (1967-1968), ministre de l’Éducation (1967-1970)
Caron, René-Édouard (1800-1876), avocat, homme politique, maire de Québec (1834-1836 et 1840- 1846), conseiller législatif (1837-1838 et 1841- 1857), juge de la Cour supérieure (1853-1855), juge de la Cour du banc de la Reine (1855-1873), lieutenant-gouverneur du Québec (1873-1876)
Casault, Louis-Napoléon (1822-1908), avocat, juge en chef de la province de Québec (1894-1904)
Chauveau, Alexandre (1847-1916), avocat, homme politique, juge de la Cour des sessions de la paix (1880-1882)
Côté, Pierre-Émile (1888-1950), avocat, homme politique, juge de la Cour supérieure (1942-1950)
D
Desrochers, Paul (1901-1972), organisateur en chef, adjoint du Parti libéral du Québec
Dessane, Antonin (1826-1873), musicien et compositeur / Trunel, Irma (1828-1899), cantatrice
Duquet, Cyrille (1841-1922), peintre, musicien, inventeur dans le domaine de l’horlogerie-bijouterie
Duval, Jean-François-Joseph (1802-1881), avocat, juge de la Cour supérieure (1852-1855), juge de la Cour du banc de la Reine (1855-1864), juge en chef de ce dernier tribunal (1864-1874)
E
Évanturel, François (1821-1891), avocat, officier de milice, homme politique, propriétaire de journal, journaliste, auteur, cofondateur de l’Institut canadien de Québec (1848)
F
Faucher de Saint-Maurice, Narcisse-Henri-Édouard (1844-1897), écrivain, journaliste, homme politique
Fiset, Louis-Joseph-Cyprien (1825-1898), poète, avocat, protonotaire de la Cour supérieure du Québec
Frégault, Guy (1918-1977), historien, sous-ministre des Affaires culturelles du Québec (1961-1968)
G
Gagnon, Ernest (1834-1915), organiste, folkloriste, historien, écrivain, haut fonctionnaire
Garneau, François-Xavier (1809-1866), notaire, poète, historien (père de Pierre Garneau)
Garneau, Pierre (1823-1905), homme d’affaires, homme politique, maire de Québec (1870-1874), conseiller législatif (1887-1904)
H
Hamel, Abraham (1814-1886), commerçant, président de la maison A. Hamel & Frères de Québec, père d’Eugène Hamel (1845-1932) et frère de Théophile Hamel (1817-1870), tous deux peintres de renom
J
Jobin, Raoul (1906-1974), ténor, administrateur, haut fonctionnaire
L
Laurin, Joseph (1882-1947), homme d’affaires, président et gérant général de la Compagnie Paquet Inc.
Lesage, Jean (1912-1980), avocat, homme politique, père de la Révolution tranquille, 19e premier ministre du Québec (1960-1966)
Lévesque, René (1922-1987), journaliste, homme politique, fondateur du Parti québécois, 23e premier ministre du Québec (1976-1985)
M
Marchand, Félix-Gabriel (1832-1900), notaire, écrivain, éditeur, journaliste, homme politique, 11e premier ministre du Québec (1897-1900)
Martineau, Gérald (1902-1968), commerçant, homme politique, conseiller législatif (1946-1967)
Morisset, Gérard (1898-1970), historien des arts anciens, il dressa l’inventaire des œuvres d’art du Québec, directeur du Musée du Québec (1953-1965) / Morisset, Denys (1930-1990), artiste-peintre
P
Panet, Philippe (1791-1855), juge de la Cour du banc du Roi (1832-1838 et 1840-1850) – Saint-Charles
Paquet, Zéphirin (1818-1905), commerçant, manufacturier – Saint-Charles (plan de Georges-Émile Tanguay, architecte décédé en 1903 et inhumé au cimetière Belmont; marbre signé T. Rochon & fils)
Parent, Georges (1879-1942), avocat, homme d’affaires, homme politique, sénateur (1930-1942)
Parent, Simon-Napoléon (1855-1920), avocat, homme politique, maire de Québec (1894-1906), 12e premier ministre du Québec (1900-1905) (père de Georges) – Saint-Charles
R
Robitaille, Théodore (1834-1897), médecin, homme politique, lieutenant-gouverneur du Québec (1879-1884)
Rousseau, Arthur (1871-1934), médecin, doyen de la Faculté de médecine, Université Laval (1921-1934)
Routhier, Adolphe-Basile (1839-1920), poète, dramaturge, essayiste, juge de la Cour supérieure (1873-1904) où il devient juge en chef (1904-1906), juge de la Cour d’Amirauté (1897-1906), auteur de notre hymne national (musique de Calixa Lavallée)
Routhier, Marie (1863-1930), poète / Lachance, Arthur (1868-1945), avocat, procureur de la couronne
T
Tanguay, Georges (1857-1913), commerçant, homme politique, maire de Québec (1906)
Taschereau, Jean-Thomas (1814-1893), avocat, juge de la Cour supérieure (1865-1873), juge de la Cour du banc de la Reine (1873-1875), juge de la Cour suprême du Canada (1875-1878) (père de Louis-Alexandre)
Taschereau, Louis-Alexandre (1867-1952), avocat, homme politique, procureur général (1919-1920), 14e premier ministre du Québec et président du Conseil exécutif (1920-1936)
Tessier, Ulric-Joseph (1817-1892), avocat, homme politique, maire de Québec (1853-1854), conseiller législatif (1867-1874), sénateur (1867-1873), juge de la Cour supérieure (1873-1875), juge de la Cour du banc de la Reine (1875-1892)
Thibaudeau, Pierre-Isidore (1819-1893), homme d’affaires, homme politique, conseiller législatif (1867-1874)
V
Vallée, Gabrielle (1928-1984), juge en chef de la Cour supérieure / Vallée Ivan E.
Venner, William (1813-1890), commerçant, banquier du quartier Saint-Roch de Québec – Saint-Charles
Vézina, Joseph (1849-1924), compositeur, organiste, fondateur et directeur de l’Orchestre symphonique de Québec (1903-1924)
Notes (1)
Ce texte fait partie d’une série d’articles de notre grand dossier « Cimetières, patrimoine pour les vivants » tiré du livre du même titre par Jean Simard et François Brault publié en 2008.
SOURCES BIOGRAPHIQUES PRINCIPALES
CÔTÉ, Louis-Marie, Carmelle GAUVIN et Gérald SIROIS, Les Maires de la Vieille Capitale, Québec, La Société historique de Québec, 1980, 117 p.
Dictionnaire biographique du Canada, Québec, Les Presses de l’Université Laval, 1966-2005, 15 vol.
LAVOIE, André (sous la direction de), Répertoire des parlementaires québécois 1867-1978, Québec, Assemblée nationale du Québec, 1980, 796 p.
RACINE, Denis, Guide de visite du Cimetière Belmont. Les personnages de notre histoire, Sainte-Foy, À compte d’auteur, 1998, 29 p.
SAMSON, Denis, Je me souviens. Les monuments funéraires des premiers ministres du Québec, Québec, Commission de la capitale nationale du Québec, 1999, 35 p.