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MOURRIR DANS LA TRADITION

6ièm partie -Les protestants, Libéraux et traîtres à Sa Majesté et Des « pécheurs » moins célèbres

Serge Gagnon

Historien, professeur et chercheur

Les protestants

Parmi les « excommuniés » du cimetière, les protestants représentent une classe parti culière : ce sont des croyants volontairement séparés des catholiques par leurs ancêtres. Dans la plupart des paroisses, ils possèdent leur propre champ des morts, et alors le curé n’a pas à départager hérétiques et orthodoxes. Ailleurs l’évêque est conciliant : Pourquoi ne pas « accorder aux protestants un terrain-cimetière » et faire en sorte que « les catholiques leur aident à l’entourer » ? C’est la réponse adressée en 1825 à un prêtre desservant les Îles-de-la-Madeleine. Si l’on en croit une décision communiquée à un curé de la Côte-du-Sud, en 1802, les enfants de protestants n’ayant pas atteint l’âge de raison (7 ans) peuvent être inhumés dans le cimetière bénit sans souiller les lieux. La dissidence religieuse est alors une conséquence de la naissance plutôt que le résultat d’un choix délibéré.

Un protestant en voie de conversion vient-il à mourir ? Le curé sollicite la permission de l’inhumer parmi les catholiques. Mais jamais quelque hérétique convaincu de ses croyances ne peut obtenir pareil privilège. Un catholique converti au protestantisme est d’autant plus frappé d’ostracisme qu’il a donné « mauvais exemple » à ses coreligionnaires. Dans une paroisse, au sud de Montréal, un chrétien est excommunié de cette manière : pour le faire exclure, malgré les pressions des parents, le curé raconte que le défunt « a passé une trentaine d’années en Californie ». Il a fréquenté les protestants, assisté à leurs réunions de prières; on lui a prêché « que l’Église catholique ne valait rien, qu’il suffisait de croire en Jésus-Christ qui a tout fait pour nous sauver, ne nous laissant rien à faire ». Revenu depuis trois ans, il a fréquenté l’Église et s’est confessé jusqu’à l’automne de 1886. Sur son lit de mort, en avril 1887, « il déclare hautement qu’il n’a fait cela que par respect humain […] sur la remarque à lui faite qu’il a fréquenté les sacrements […] il a répondu que c’était par hypocrisie et pour faire taire le monde ».

Sollicité pour la confession à quatre reprises, il refuse d’avouer ses fautes au prêtre. Désespéré, celui-ci s’en remet à l’évêque : « il n’y a que le bon Dieu qui peut ramener ces misérables ». Or, si Dieu peut lui pardonner son hérésie, le prêtre et les fidèles croient qu’il doit être soumis aux funérailles civiles. « Ici, tous s’attendent qu’il ne doive pas avoir de sépulture ecclésiastique, ce serait un scandale et une profanation de le mettre en lieu saint. » En somme, l’évêque n’a qu’à donner son aval à une décision prise par les paroissiens et transmise par le curé. Comme le défunt a fait un testament de dernière heure, le curé insiste : «il ne faut pas deux poids et deux mesures : sain d’esprit par testament et fou pour sa confession refusée ». L’opinion des fidèles est clairement exprimée : « Si cet homme-là est inhumé dans le cimetière bénit, je crains qu’il soit enlevé », victime de l’indignation des paroissiens. Le curé espère que l’évêque ne donnera pas raison aux parents qui escomptent un refus malgré leur désir de funérailles régulières. Voilà un exemple où la clémence épiscopale soulèverait les fidèles.

 

Aujourd’hui, notre adhésion au pluralisme nous rend l’exclusion odieuse. C’est bien la preuve que la modernité culturelle nous a profondément marqués. La tolérance est une valeur qu’ignoraient les Anciens. Le contexte multi -confessionnel leur inspirait tout au plus des accommodements. Les prêtres catholiques consentaient parfois à ce que les fidèles et les « autres » soient inhumés « dans l’enclos du cimetière » pourvu d’une clôture intérieure ou même d’un « simple fossé » désignant la ligne de partage (Recueil d’ordonnances synodales et épiscopales, 1859). En 1828, un missionnaire de Fredericton, au Nouveau-Brunswick (qui dépend de l’évêque de Québec), est embarrassé de ce qu’il n’existe pas de cimetière catholique dans les limites de son rayon d’action. Il est prié de convaincre les fidèles de « l’avantage qu’il y aurait pour eux d’être en Terre sainte plutôt que parmi les sectaires ». L’arbitrage de l’évêque est singulièrement délicat quand les familles du défunt comptent des catholiques et des protestants. Un notable de Trois-Rivières veut ériger un mausolée à la mémoire de sa conjointe; il souhaite que l’édicule soit assez spacieux « pour y inhumer au moins trois membres de la famille ». Réponse de l’évêque : « […] si l’on accorde un tombeau à une famille, d’autres en voudront avoir. Qui sait si par la suite un mari protestant ne voudra pas être enterré auprès de son épouse catholique, sous prétexte que le tombeau est devenu la propriété de la famille à laquelle ce protestant se trouve allié par son mariage. Or il faut écarter de très loin tout ce qui pourrait amener ce mélange. »

 

Cimetière protestant francophone du rang Pinguet à Saint-Damase-de-L'Islet. En 1902, déçus de ne pas voir construire l'église paroissiale là où ils l'attendaient, les pionniers du rang Pinguet rompent avec l'Église de leurs pères et passent au protestantisme. L’année suivante, ils obtiennent un permis d’inhumer tandis qu’en 1904 ils érigent leur temple. Photo Jean Simard

Nous connaissons un cas extrême où un réformé fut enterré au milieu des catholiques sans le consentement de l’évêque. Le dénouement de l’affaire confirme la règle que, dans le champ des morts, les protestants et les catholiques ne peuvent pas reposer côte à côte. La singulière transgression eut lieu à Montmagny en 1809. Le curé s’excuse d’avoir été victime des circonstances. C’était vers la fin de l’hiver. Les chemins vers Québec étaient impraticables de sorte qu’il était impossible de transporter le corps dans un cimetière protestant de la ville. La femme et les enfants du défunt étaient malades, invoqua-t-on auprès du curé qui se rendit finalement aux vœux de la famille. Sa conscience s’en inquiète : « Votre scrupule est bien fondé », de répliquer l’évêque.

Vous ne deviez pas permettre la sépulture d’un hérétique dans votre cimetière qui par-là se trouve pollué et dans lequel vous ne pouvez plus enterrer qu’autant que chaque nouvelle fosse sera bénie à part […]. S’il arrive par la suite que ce corps soit exhumé de là, le cimetière pourra être réconcilié, ce qui, autrement, ne saurait avoir lieu. Or, vous concevez qu’une telle exhumation n’est praticable qu’autant que les parents du défunt le demanderaient d’eux-mêmes. Autrement elle ferait plus de bruit que n’en eût fait le refus de la sépulture auquel on a accoutumé les protestants de toutes les paroisses du diocèse.

Au milieu du XVIIIe siècle, à l’occasion de la guerre de la Conquête opposant catholiques et protestants, des cimetières catholiques avaient été le lieu de certaines promiscuités. Au début du XIXe siècle, cette tolérance n’est plus de mise (Lambert 1981 : 739). Autrefois, tout commerce avec les protestants était jugé inconvenant, voire dangereux pour la fidélité à la religion ancestrale. L’évêque accorde bien malgré lui la permission d’épouser des protestants. Le souverain britannique ne jure-t-il pas, en accédant au trône, de combattre « l’erreur » papiste? Le pouvoir religieux d’obédience romaine doit en conséquence rechercher les compromis. Peut-on participer à un convoi funèbre protestant, assister à des funérailles non catholiques? Dans la mesure du possible, non. Refus plus facile à prononcer qu’à faire respecter, particulièrement en dehors de la vallée du Saint-Laurent.

Libéraux et traîtres à Sa Majesté

L’annexion du Québec à l’Empire britannique eut d’autres conséquences. Sous le

Régime anglais, la révolte contre le Prince, fût-il protestant, est jugée peccamineuse en raison des rapports qu’entre tiennent l’Église et l’État. Durant la guerre de Sept Ans, des Canadiens furent exclus des cimetières catholiques pour avoir refusé de prêter le serment d’allégeance au prince protes tant. Ces événements inusités avaient été refoulés dans l’oubli. Au cours des années 1820, un historien anglo-protestant met en doute la loyauté du clergé catholique. Un correspondant anonyme voulant montrer la fausseté de l’accusation publie la rectification suivante dans la Gazette de Québec le 11 janvier 1827 :

[…] la nécessité de l’obéissance politique des peuples à leurs gouvernements […] est un principe de religion enseigné et prêché dans toute la catholicité […]. Quelques champs des paroisses de Saint-François [de Montmagny], de Saint-Vallier et de Saint-Michel, dans le voisinage de la capitale, offrent aux voyageurs étonnés le spectacle de tombeaux […] ce sont les restes mortels d’individus à qui l’on a refusé les sacrements à la mort, et la sépulture chrétienne après. Mais qui a refusé ? Plusieurs membres du clergé […] Et pourquoi ? Pour avoir maintenu, quoique citoyens paisibles d’ailleurs, que George III n’était pas leur Souverain.

Les historiens ont maintes fois rappelé les funérailles civiles imposées aux patriotes de 1837 (Langlois 1984 : 19-37, Groulx 1977 : 89-131). On pouvait prier pour eux en privé, comme pour toutes les autres catégories d’exclus, au cas où ils se seraient repentis avant de trépasser. Mais on croyait devoir les enterrer civilement. À Saint- Eustache, les quelque 60 patriotes tués au cours de l’engagement de décembre 1837 « furent jetés en terre, sans cérémonie religieuse, sans cercueil, dans l’endroit du cimetière réservé aux enfants morts sans baptême (Dubois 1937 : 171) ». Le prêtre, sans surplis, se contentait d’assister à l’inhumation à titre de fonctionnaire civil chargé de rédiger les actes de décès. Cette formalité ne porte alors pas la mention habituelle « par nous prêtre sous – signé a été inhumé le corps », mais simplement : « nous prêtre soussigné, avons vu inhumer » tel individu.

La célèbre affaire Guibord, retenue elle aussi par la mémoire collective, constitue le spécimen le plus spectaculaire de funérailles civiles imposées en milieu urbain. Le 18 novembre 1869 mourait Joseph Guibord, typographe, 60 ans, membre de l’Institut canadien de Montréal, société interdite par l’épiscopat. Trois mois plus tôt, les prêtres diocésains furent solennellement avertis : « Celui qui persiste à vouloir demeurer dans ledit Institut […] se prive lui-même des sacrements à l’heure de la mort. » Vainement sommé sur son lit de mort de quitter la société interdite, Guibord expire excommunié. Faute de funérailles religieuses, on ne saurait, espèrent sa veuve et les amis du défunt, priver le typographe d’une inhumation en terre bénite. La famille possède une concession au cimetière de la Côte-des-Neiges.

Le 21, le cortège funèbre se dirige vers le cimetière catholique. Le gardien avait reçu l’ordre de n’y point laisser entrer le corps du « révolté ». Le cercueil est alors dirigé vers le cimetière protestant Mont-Royal, où le corps attendra cinq ans et quelques procès devant les tribunaux civils du pays et de Grande-Bretagne la permission qu’on procède à la sépulture ecclésiastique. En septembre 1875, le défunt fut inhumé sous les regards d’une foule surveillée par les forces de l’ordre. Par crainte d’une émeute, des amis libéraux avaient sollicité d’Ottawa l’appui des militaires. La violence appréhendée n’eut pas lieu. Mais jamais dans l’histoire du Québec l’inhumation de quelqu’un que l’autorité épiscopale considérait comme un pécheur public n’avait donné lieu à un tel affrontement entre le pouvoir civil et le pouvoir religieux. Dans cette affaire peu chrétienne, l’instance religieuse eut le dernier mot. L’évêque déclare l’emplacement de la fosse « interdit et séparé du cimetière (Rumilly 1971) ». Par la suite, l’autorité religieuse reçut le pouvoir exclusif de décider qui devait être inhumé en Terre sainte et qui devait en être privé.

Montréal, Notre-Dame-des-Neiges, monument aux Patriotes de 1837-1838 érigé par l’Institut canadien entre 1853 et 1866. Sur le socle : « Aux martyrs de 37-38. »
Saint-Eustache, monument aux Patriotes de 1837-1838

Des « pécheurs » moins célèbres

Pour faire respecter les valeurs morales, l’évêque peut recourir au refus de la sépulture chrétienne. La sanction joue un rôle pédagogique indispensable pour le respect de l’ordre moral. Tel pécheur sera peut-être ébranlé par la crainte d’une mort subite qui ne lui laisserait pas la possibilité de s’amender. L’exclusion du cimetière chrétien est prévue en pareil cas. Tel individu mort en état d’ivresse est amené directement de son domicile à la partie profane du cimetière.

Cela fait impression et marque l’adhésion de la communauté aux valeurs éthiques promues par les prêtres. En 1860, deux individus se noient. Ils sont en état d’ivresse. Que faire si on réussit à les repêcher ? La réponse de l’évêque de Montréal est péremptoire, mais, en même temps, empreinte du vœu que ces paroissiens en rupture de ban avec l’ordre moral se soient repentis:

Oh ! que l’accident que vous [le curé] me rapportez est terrible ! Puisse-t-il faire sur tous ceux qui en auront connaissance, une impression salutaire ! Constatez qu’ils sont morts dans l’ivresse, par le témoignage de deux personnes qui les auraient vus […] se mettre au travail, dans un état d’ivresse.

Cela fait, ne les recommandez pas aux prières, ne leur chantez pas de service, et ne les enterrez pas en terre sainte, si leurs corps sont trouvés; mais n’en parlez en chaire que d’une manière générale, en faisant voir les terribles accidents dont l’ivrognerie est nécessairement la cause.

Vous pouvez et vous devez toutefois, en votre particulier, les recommander à Dieu par charité et compassion, dans le cas où, avant de mourir, ils se seraient reconnus.

II se trouve quelques rares paroisses où la privation de sépulture chrétienne se révélerait un piètre moyen de faire respecter la règle morale. En 1804, l’évêque de Québec écrit à un missionnaire de la Gaspésie : « Vous pouvez, vous devez même refuser la sépulture chrétienne à ceux qui refusent notoirement de se confesser à la mort, dans tous les cas où vous croirez le pouvoir faire avec succès. Je ne saurais vous donner là-dessus de règles générales. II est des lieux où cette privation produirait un bon effet, d’autres où elle pourrait avoir des suites dangereuses. » Voilà une exception à la règle. La proximité de protestants est peut-être la raison qui explique le compromis. Dans la grande majorité des vieilles paroisses de la vallée du Saint-Laurent, le curé peut sévir sans craindre la grogne des paroissiens. Peut-on trouver meilleure preuve que la plupart des fidèles approuvent les sanctions prévues par le droit canonique ? Ils y reconnaissent plus ou moins consciemment la garantie de la cohésion du groupe. Dans leur recours à l’évêque, les curés ne manquent pas de rappeler l’effet salutaire que pourraient avoir sur d’autres les funérailles civiles d’un alcoolique.

« Ses émules en boisson (et il en avait beaucoup) seraient-ils touchés d’un exemple de sévérité? Je crois du moins qu’il ne serait pas imprudent de l’essayer [Saint-Jean-d’Iberville, 1846]. » « Je vous supplierais de faire un exemple, afin d’intimider plusieurs autres qui n’ont pas plus de religion que lui [Saint-Joseph-de-Lanoraie, 1827]. » Sanction née par des funérailles civiles, la mort subite d’un paroissien à la conduite irrégulière n’est-elle pas la meilleure manière de faire réfléchir d’autres joyeux lurons ? Au début du XIXe siècle, un curé de Charlevoix déclare avoir « prévu que les débauchés de La Malbaie, les fornicateurs et ivrognes publics » seront privés de sépulture religieuse; sans cette sanction, « tout est ici perdu », selon ce prêtre vraisemblablement aux prises avec de turbulents fidèles.

Au milieu du XIXe siècle, l’évêque de Montréal surveille les non-pascalisants de façon particulière. Lors d’une enquête pastorale, il sollicite la dénonciation des paroissiens qui s’exemptent de la confession annuelle. Certains curés hésitent à livrer le renseignement. Le prélat s’explique : la désignation des délinquants ne risque pas de violer le secret de la confession, comme quelques curés scrupuleux pourraient le croire; l’évêché doit être bien renseigné, pour mieux décider du refus éventuel de la sépulture chrétienne. Se conformant à l’esprit de l’enquête, le curé de L’Acadie signale en ces termes la mort d’un non-pascalisant : « Tous les ans il reste à peu près deux cents retardataires dont il était un » : peut-être le refus de sépulture chrétienne « serait-il une leçon » pour les autres ? En pareille circonstance, le curé s’appuie sur l’accord tacite des paroissiens. Quand on lit, si tel individu est inhumé en Terre sainte : « ce sera certainement un scandale dans la paroisse », on peut en conclure que la privation de cérémonie religieuse est prononcée par la communauté et simplement communiquée à l’évêque par le curé. La famille peut vouloir en appeler d’une décision qui ferait du défunt un marginal, si on lui refusait l’accès au cimetière chrétien ou s’il était privé d’une cérémonie communautaire dans l’église. On utilise divers moyens de pression pour obtenir des funérailles conformes au cérémonial habituel. Le curé, l’évêque sont parfois partagés entre le sentiment des familles et celui de la communauté. Les vœux des proches vont-ils à l’encontre du désir des paroissiens ? Lorsqu’un curé précise : «il n’y a aucun trouble à craindre », le défunt «ne laisse qu’une pauvre femme qui s’[…]attend» à de simples funérailles civiles, le curé se trouve dans une position de force pour réclamer l’opprobre. Telle autre femme dont le mari vient de mourir accidentellement implore habilement la clémence lorsqu’elle déclare que le défunt « n’était pas vêtu convenablement pour approcher les sacrements et qu’il empruntait des habits pour aller à la messe ». Le disparu « lui a dit que lui et elle, iraient tous les deux à confesse samedi prochain pour communier dimanche prochain aussi ». Le curé achemine la déposition vers l’évêché. Le beau-frère de la victime, porteur de la supplique, dépose à son tour et déclare « que le défunt avait l’habitude de boire, de faire des fêtes ». Le curé ajoute en commentaire : « et c’est sans doute ce qui l’empêchait de pouvoir fréquenter les sacrements et l’église autant qu’il le devait ». Cette opinion termine l’exposé rédigé en vue d’implorer la clémence. Ce témoignage fait partie d’une série d’autres affaires impliquant des ivrognes morts dans des circonstances plus ou moins compromettantes.

Les chrétiens de l’Ancien Régime, ceux du Québec, longtemps encore au XIXe siècle, peut-être même jusqu’au milieu du XXe siècle, dans quelques zones rurales moins touchées par la modernité séculière, attendaient la mort avec la certitude d’un au-delà bienheureux. Voilà pourquoi le prêtre occupait la première place auprès du mourant soucieux de confesser ses fautes. Le rituel funéraire était dans l’ensemble dominé par la foi en la résurrection. Cette enveloppe sacrale s’est progressivement usée. La modernité a consacré l’effacement du prêtre au profit de nouveaux acteurs sociaux. Graduellement, au long du XIXe siècle, on assiste à une nouvelle mise en scène de la mort. L’ascension de l’économie marchande inscrit lentement les mœurs dans le sillage de l’offre et de la demande. Longtemps encore dans les campagnes, les familles exposaient d’abord le défunt « sur les planches ». Confectionné sur demande à la suite du décès, le coffre servait à enfermer le corps plutôt qu’à l’exposer. Les choses ont d’abord commencé à changer à la ville. Vers les années 1830, le sacristain de la paroisse Notre-Dame de Montréal offrait un assortiment de cercueils, assurant de cette manière le primat de l’offre sur la demande.

Plus tardivement, les mœurs des campagnes ont été à leur tour altérées par une multitude de produits et services relevant du processus de marchandisation de la mort. L’abandon de la fosse commune, le lotissement du cimetière, la multiplication des pierres tombales, l’achat de vêtements de deuil sont autant de signes d’une insertion de la mort dans les nouveaux rapports de consommation qui annoncent le plein XXe siècle.

En milieu rural, les rites funéraires du XIXe siècle se sont souvent prolongés jusqu’au milieu du siècle suivant.
Cartes mortuaires imprimées en Allemagne dans les années 1920. « Sincères Condoléances » offertes par M. et Mme Frédéric Loubier ; « Profonde Sympathie », de M. et Mme F. Turcotte de Saint-Georges de Beauce. Photo Studio du Port-Joly, Saint-Jean-Port-Joli. Société du patrimoine des Beaucerons, Saint-Joseph-de-Beauce
Antonio Arsenault fut nommé curé de Saint-Séverin de Beauce en 1962 et y exerça son ministère pendant une trentaine d’années à la manière de ses prédécesseurs du XIXe siècle. On le voit ici, tenant son « portuna » de médecin et s’apprêtant à aller porter le viatique aux malades.
Image mortuaire faite main avec les cheveux de Marie-Agnès Taschereau, décédée le 29 mars 1889. Fonds Famille Taschereau, Société du patrimoine des Beaucerons, Saint-Joseph-de-Beauce
Église de Saint-Joseph-de-Beauce, catafalque blanc d’enfant fabriqué par Omer Létourneau, ébéniste et entrepreneur de pompes funèbres. « On est à Saint-Joseph-de-Beauce. Pour les besoins du film, on a remonté cet enclos magique, cette couronne rituelle en bois sculpté avec ses 52 cierges, comme il y a 52 semaines dans une année de vie. On a remonté le catafalque blanc du service des anges. On y prenait place jusqu’à l’âge de raison, sept huit ans. Après on avait droit au catafalque noir avant qu’on nous emmène dans le plus tranquille de nos jardins, le cimetière. » Paroles de Michel Garneau tirées du film de François Brault, Le cimetière paroissial au Québec, Office national du film du Canada, 1982

Note (1)

Ce texte fait partie d’une série d’articles de notre grand dossier « Cimetières, patrimoine pour les vivants » tiré du livre du même titre par Jean Simard et François Brault publié en 2008.

Note (2)

Ce texte est composé d’extraits de l’ouvrage de Serge Gagnon, Mourir hier et aujourd’hui, Québec, Les Presses de l’Université Laval, 1987

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