
Administrateur et collaborateur
Mes expériences de deuil qu’il s’agisse de la perte d’animaux, de proches, ou de personnes connues par le truchement des médias m’ont conduit à un constat qui peut déranger : en matière de deuil, j’ai beaucoup plus souffert de la mort de mon premier chien que de la mort de bien des gens.
Il faut dire que j’ai été berger d’alpage et que j’ai vite compris qu’un berger sans chien, n’est rien. Dans ce métier, les chiens, et en particulier les Border Collies, sont des complices essentiels pour mener le troupeau. Sans eux le travail est quasiment impossible. J’ai appris le métier sur le tas. La première leçon que j’ai tirée de cet apprentissage, c’est que l’âme du berger réside un peu dans son chien.
Notre premier chien, un Border Collie femelle, n’avait que trois mois quand elle nous a été livrée à bord d’un camion. Elle était encore à téter sa mère, mais n’a pas hésité à s’expulser du véhicule pour nous rejoindre l’air de dire : c’est moi. Nous l’avons attrapée au vol et effectivement, c’était tout elle. La bergère et moi avons enlacé notre premier chien berger. On l’appellera… on l’appellera … On l’appellera Plume. Et c’est parti!
Quinze ans durant, elle a guidé nos troupeaux. Elle a terminé sa vie souffrant d’arthrose et d’insuffisance cardiaque, une fin qui constitue un peu le fatum des chiens de troupeau à force de se dépenser démesurément au travail.
Quand la bergère m’a courriellé pour m’annoncer : – j’étais alors revenu au Québec, Plume l’avait suivie, nous étions séparés, mais toujours en bons termes – « Il faut la faire piquer. », je fus envahi d’un immense chagrin ! Puis, une question m’est tout de suite venue à l’esprit : quelle sépulture offrir à cette dévouée complice de nos alpages ? Sans hésitation, je me suis dit : je prends l’avion.
Enroulée dans mon vieux pull de berger en laine de mérinos, Plume repose désormais dans un pré de Provence, là où elle veillait sur les moutons, fidèle extension de nos corps de bergers. Comme elle a su remplir nos solitudes à l’abri de la cabane de pâturage! Elle demeure à présent dans ce paysage qui nous était si intime.
En France, comme au Québec, une sépulture du type de celle de feu Plume demeure illégale.
Paradoxalement, il a été longtemps difficile de trouver pour les chiens, chats et autres consorts une solution afin de mettre en place un rituel de deuil, et d’installer un marqueur associé à cette perte.
En France, pour disposer de la dépouille d’un animal de compagnie, il est de rigueur de passer par un vétérinaire. Il est aussi possible de recourir à un équarrisseur. Ce dernier aurait mêlé la dépouille de Plume à celle de centaines de brebis dans une benne de camion transformée en charnier, ce qu’elle et ses bergers n’auraient pas apprécié. Il est interdit de mettre les cendres ou la dépouille d’un animal domestique dans un caveau. Cependant les chiens ont droit de visite dans les cimetières français.
Au Québec, le crématorium Compagnons éternels permet de choisir entre trois types de crémation pour animaux : privée, semi-privée ou commune. La différence se situe dans le nombre d’animaux décédés présents dans le four. Pour disposer d’un lieu de recueillement servant à la commémoration d’un complice animalier, d’un compagnon de fortune et d’infortune, certains cimetières plus progressistes acceptent leur dépouille. Le Cimetière Laval (Magnus Poirier), a même innové en offrant aux endeuillés d’animaux une section, Maîtres et compagnons, où il est possible non seulement d’enterrer l’animal, mais de réserver un espace contigu pour son maître.
À l’inverse, d’autres sont complètement fermés à l’idée. Ainsi, le Notre-Dame-des-Neiges s’y refusait toujours obstinément au moment d’écrire ce texte. Il prohibe même les visites en compagnie d’un chien, même tenu en laisse.
Avant de finir au cimetière, bien des aînés doivent traverser un sombre tunnel, celui du CHSLD, sorte de mouroir terminal. À contre-courant des constats scientifiques reconnaissant les bienfaits de la zoothérapie, la grande majorité de ces établissements refusent les animaux de compagnie causant une deuxième mort à leur propriétaire d’infortune. La première en les privant de la présence de cet ultime complice, de ce dernier compagnon et incomparable confident. A-t-on jamais imaginé l’inquiétude du maître transféré en centre hospitalier quant au devenir de son animal de compagnie? Ces personnes finiront par mourir une seconde fois, de “la mort inexorable”, comme le chante Plume Latraverse.
La possibilité de livrer à l’éternité la commémoration de nos animaux de compagnie devrait occuper nos consciences et nos démarches face à la législation en place. Pour paraphraser l’immense Arthur Schopenhauer, philosophe pessimiste, misanthrope et pourtant clairvoyant, les chiens représentent bien souvent de meilleurs compagnons que les humains.
Nous bergers sommes souvent un peu anarchistes, mais voici nos souhaits.
- Que change la législation sur les dépouilles animales,
- Que cesse le vétérinarisme,
- Que la volonté de ceux qui souhaitent une place pour leur éternité aux côtés de leur animal intime soit faite,
- Et surtout, que notre écart pastoral puisse ouvrir une perspective décente à ceux qui désirent un lieu de dernier repos pour les animaux de compagnie,
- Enfin, que ceux qui souhaitent enterrer leur Mékinkin (c’était ton surnom) puissent le faire dans la bergerie, sur la cime d’une montagne connue, dans le jardin, ou dans le pré de ses fréquentations, comme on l’a fait.
Salut, Plume. Et bon repos dans le pré. Je t’aime.