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Site funéraire irlandais menacé

À Montréal: un lieu de sépulture sacré à protéger

Sylvain Gaudet

Chercheur

L’année 1847 est marquée par une importante immigration. Dès le printemps de 1847, c’est 97000 Irlandais qui commencent à arriver au Canada par vagues successives. Dans le fleuve Saint-Laurent, en face de Montmagny, les immigrants font un arrêt obligé à la station de quarantaines de la Grosse-Île. Ces milliers d’Irlandais sont mal en point. Ils ont fui leur patrie des suites funestes de la Grande Famine qui débute en 1845. Le mildiou, un parasite qui détruit les pommes de terre, ayant anéanti leur principale source d’alimentation de ces paysans.  Durant la traversée de l’exil, souffrant de malnutrition, d’une trop grande promiscuité et de conditions d’hygiène souvent déplorables, les Irlandais sont attaqués par l’épidémie de fièvre des navires ou typhus. L’épidémie sera dévastatrice tuant quelque 17,477 Irlandais, dont près de 5 000, à Montréal seulement. (Il est important de savoir que le typhus est causé par une bactérie transmise par les poux de corps, eux-mêmes véhiculés par des rats. Il se caractérise par de fortes fièvres, de douloureuses éruptions cutanées et un état de profonde faiblesse. En l’absence de traitement approprié, comme c’est le cas alors, il aboutit presque toujours au décès du malade au bout de deux ou trois jours. Ce n’est qu’au début du XXe siècle que le vecteur de la maladie sera mis au jour. Cette découverte permettra quelques décennies plus tard de développer des traitements contre la bactérie responsable.)

En 1847, parce que certains porteurs de la maladie se montrent asymptomatiques, ils reçoivent la permission de quitter l’île de la quarantaine. Alors que les bateaux à vapeur surchargés qui les amènent de la Grosse-Île les débarquent dans le port, plusieurs sont déjà atteints du typhus.

Sylvain Gaudet nous présente le site funéraire irlandais menacé

Montréal en ce début de juin 1847 n’est pas prêt à recevoir tous ces arrivants malades. Les autorités prennent alors des mesures pour obliger les armateurs à les faire descendre au canal Lachine. Les malades seront soignés tant bien que mal en 1847-1848 dans deux sites transformés en hôpitaux de fortune situés à la Pointe-Saint-Charles. Les mieux portants libres de poursuivre leur périple vers le Haut-Canada, y répandront l’épidémie.

Durant les deux premiers mois, en juin et juillet 1847, les milliers de patients sont d’abord soignés dans les « Emigrant Sheds ». Existant depuis 1831, ces baraques sont situées du côté sud du canal Lachine, près de la rue Wellington. L’exiguïté de ces abris et ce, malgré la construction de nouvelles installations sur le site, et l’arrivée toujours croissante d’autres immigrants, forcent le gouvernement colonial anglais à répondre à cet afflux et, à la demande des Montréalais, d’établir une nouvelle quarantaine sur les îles de Boucherville. Les autorités décident plutôt d’ériger un deuxième site plus au sud, sur la rive du fleuve à Pointe-Saint-Charles, près de l’emprise du futur pont Victoria (1854-1859) : 21 bâtiments de 100 pieds sur 30 qui serviront d’hôpitaux. Ces nouvelles « sheds » permettront de recevoir les arrivants atteints à partir seulement du 1er août 1847.

Malgré les soins assidus prodigués par les communautés religieuses, les Sœurs Grises principalement, de même que par les médecins anglais et leurs employés, quelque 20 à 30 personnes par jour meurent. Il n’y a pas de fosse commune. Au fur et à mesure que les malades rendent l’âme, ils sont mis dans un cercueil et inhumés rapidement. Où étaient-ils inhumés ? À proximité des sites où ils avaient été soignés. Ainsi il est encore courant aujourd’hui de croire que ces milliers d’inhumations se concentrent uniquement autour du site de la Pierre Noire, ou Black Rock, installée sur la rue Bridge près de l’entrée du pont Victoria. Ce bloc de granit de 30 tonnes portant inscriptions fut érigé en 1859 par les ouvriers de ce pont pour préserver le cimetière de la désacralisation. Situé à proximité du 2e site où les malades furent soignés, il s’agirait en fait du deuxième cimetière.

Localisation approximative des premières sheds aménagées des 1831

En 1876, lors de l’excavation du bassin Wellington en bordure du canal Lachine (bassin long de 1 200 pieds, large de 220 pieds et profond de 19 pieds) quelque 200 cercueils furent exhumés. Ce bassin aujourd’hui en grande partie remblayé se trouve à proximité des premiers « Emigrants Sheds », ceux existants en 1831 et situés au sud de l’actuel Bassin Peel. Selon le quotidien La Minerve du 22 juillet 1847, environ 1 500 à 2 000 cadavres étaient enterrés autour des hangars des émigrés sous deux pieds de terre. Au cours de la seule journée torride du 4 juillet 1847, on inhuma 54 dépouilles. En 1876, la Société Saint-Patrick fait réinhumer au cimetière Notre-Dame-des-Neiges (près du monument aux pompiers) les ossements exhumés par les ouvriers du bassin Wellington. Cette nouvelle mise au jour de 1876 témoigne de l’existence à cet endroit du premier cimetière, celui du début de l’hécatombe en juin et juillet. Les ossements contenus dans ces deux cents cercueils transportés au cimetière représenteraient les premiers d’un ensemble qui en compte 1300 et 1800 autres. L’emplacement de ce premier cimetière irlandais reste à fouiller et à protéger : devoir de mémoire.

Le dernier dimanche de mai, une marche annuelle commémorative est organisée par la communauté irlandaise de Montréal et l’ancien Order of Hibernia du Canada de Pointe-Saint-Charles ; elle se rend au Black Rock témoignant du caractère sacré du lieu. Car la Pierre Noire, très emblématique pour toute la diaspora irlandaise, demeure le plus ancien monument évoquant la Grande Famine. La communauté irlandaise de Montréal milite depuis plusieurs années via la Montreal Irish Monument Foundation pour l’aménagement d’un espace commémoratif majeur autour de la Black Rock. Or, cette grande commémoration devra inclure également l’emplacement du premier cimetière irlandais situé au sud du bassin Peel ainsi que l’espace de réinhumation au cimetière Côte-des-Neiges.

En attendant de le localiser exactement par des sondages archéologiques, ce premier cimetière irlandais documenterait cette zone d’ombre de l’histoire montréalaise. Les archives du sol autour et derrière l’ancien bassin Wellington en auraient certes long à raconter sur les faits et gestes qui ont échappé à l’écriture et aussi à la mémoire collective. Le défi à venir est de faire toute la lumière sur ce premier cimetière irlandais témoin de cette catastrophe humaine enfouie dans le silence de l’oubli depuis 176 ans. Sans les preuves archéologiques, ce cimetière qui témoigne du drame de 1847 demeure menacé par le développement immobilier tous azimuts.

Extrait des annales des Sœurs Grises en 1847: source Histoire Canada

Jamais langue humaine ne pourrait rendre l’affreux et repoussant spectacle qui s’offrit à leurs regards !!! Des centaines de pestiférés dans la saleté la plus dégoûtante, gisant pour la plupart sur le plancher nu, aux prises avec la mort et dans des souffrances que la plume se refuse à décrire.

À ce rebutant et navrant spectacle, nos sœurs restèrent immobiles et muettes de stupéfaction, bientôt elles pâlirent et se sentirent faiblir autant par l’infection qui s’exaltait en vapeur de ce fétide et vaste tombeau que ce qu’elles voyaient et entendaient dans ce pêle-mêle d’hommes, de femmes, d’enfants, de morts et de mourants, distinguant, à travers cette horrible et indescriptible confusion, tantôt la voix saccadée, rauque et sépulcrale d’hommes en délire, se débattant contre le feu d’une fièvre dévorante; plus loin, les lamentations de femmes implorant la pitié, se tordant les mains et redemandant leur mari et leurs enfants qu’elles ne voyaient plus autour d’elles.

Le Typhus, huile sur toile réalisé en 1849 par Théophile Hamel, site historique Marguerite-Bourgeois, photo ©Normand Rajotte 2002

Ici, la voix faible et plaintive de délicates jeunes filles, s’adressant à leur mère, à leurs frères et sœurs déjà dans la tombe et les suppliant au nom de Dieu de leur donner un peu d’eau pour rafraîchir leurs lèvres brûlantes.

À côté, de pauvres adolescents aux membres crispés, à la poitrine haletante d’où s’échappait le râle de la mort. À droite, à gauche, les pleurs, les cris de désespoir de petits innocents se mourant de faim sur le sein tari de leurs mères agonisantes; puis çà et là, de hideux cadavres déjà en pourriture et exhalant une infection à faire pâmer et reculer d’épouvante !!!

Plus nos sœurs, d’un pas lent, s’avançant dans le sinistre enceinte et plus le spectacle qui se déroulait sous leurs yeux leur paraissait horrible et la tâche entreprise bien au-dessus des forces humaines! 

Voir aussi la conférence de Sylvain Gaudet À la Séance d'audition des opinions - 28 juin 2023 | Plan directeur - Bridge Bonaventure (pour voir, mettre votre curseur à 1h46)

Aussi ci-dessous du mêne sujet un reportage de la série Découverte de Radio-Canada datant de 2022

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