
Président-fondateur de l’Écomusée du patrimoine funéraire et commémoratif
Je n’aurais jamais cru voir cela de mon vivant. Le communiqué de presse émis par la nouvelle administration du cimetière Notre-Dame des Neiges (NDdN) est sans équivoque. Il annonce une volonté sérieuse de prendre le virage vert. Quelles que soient les motivations réelles des gestionnaires, nous ne pouvons que nous réjouir et donner notre plein appui au projet.
Depuis toujours, une option qui nous tient à cœur
Des cimetières écologiques, voilà le titre de la première lettre aux lecteurs que j’avais fait parvenir au Devoir et publiée le 26 juin 1989 en page 13. Dans cette lettre, alors que je me réjouissais que les cimetières protègent le mont Royal de l’envahissement urbain, je m’inquiétais que les développements survenus dans les dernières années ne posent problème. Je dénonçais la construction de cinq immenses mausolées pour entreposer les cadavres (il y en a aujourd’hui 11) et je réclamais qu’on aménage les cimetières de façon à leur donner une fonction plus écologique, moins minérale.
Après plusieurs autres lettres aux lecteurs parues dans différents médias sur le même sujet, ma compréhension de la question évoluait et se précisait. Ainsi, le 25 février 1991, dans son cahier A, en page 3, le quotidien La Presse titrait : Les morts à l’assaut du MontRoyal. Le journaliste Conrad Bernier citait de nombreux experts de ce parc et des écologistes, dont le réputé Frédéric Back, dénonçant cet amoncellement de monuments qui détruisait les derniers boisés de la montagne. Ce n’est que beaucoup plus tard que nous avons découvert que c’est près de 100 000 monuments qui avaient été installés dans le cimetière Notre-Dame-des-neiges, depuis son ouverture en 1854.
En septembre 1991 fut fondé notre organisme, l’Écomusée de l’Au-Delà, qui s’est donné comme mission de préserver et faire connaître le patrimoine funéraire du Québec tout en faisant la promotion de solutions alternatives écologiques à la gestion traditionnelle des sépultures. Suivirent un nombre incalculable d’interventions dans les médias, réclamant l’implication du ministère de la Culture du Québec afin de mieux protéger le mont Royal.
Une option qui fait consensus
De nombreuses coalitions d’organismes en histoire et en patrimoine, dont Les Amis de la Montagne, Héritage Montréal et l’Écomusée, ont uni leurs efforts pour sensibiliser les administrations publiques et la population à cette question. L’accent était porté principalement sur la problématique des constructions de mausolées, dévoreurs d’espace qui, chauffés l’hiver et climatisés l’été, sont anti-environnementaux. L’attention médiatique sur cette question était à ce point récurrente, qu’elle a convaincu le gouvernement du Québec de classer le mont Royal comme arrondissement historique et naturel et amené la Ville de Montréal à créer, en 2005, la Table de concertation du mont Royal (TCMR), laquelle aura comme tâche première de conseiller le bureau du mont Royal dans sa gestion du site.
À titre de membre du milieu associatif à la Table, l’Écomusée de l’Au-Delà a beaucoup insisté sur la nécessité d’un meilleur accès aux cimetières de la montagne, mais surtout sur l’importance d’une gestion écologique des lieux. Inutile de dire que nous ne nous sommes pas fait que des amis. La proposition était peut-être trop avant-gardiste : elle remettait en question des façons de faire très anciennes, presque millénaires.
Quelques défis en perspective
Conscient qu’il y a encore loin de la coupe aux lèvres, nous demeurons prudents face à la récente annonce. Nous avons trop longuement médité sur les défis qu’auront à affronter les gestionnaires pour ne pas émettre quelques doutes. Transformer un cimetière paroissial, confessionnel, ultra conservateur, en un cimetière écologique, ne sera pas une tâche facile. L’administration actuelle, aux prises avec d’immenses déficits budgétaires depuis dix ans, espère peut-être faire ainsi des économies. L’avenir le dira.
Ce printemps 2021 s’ouvre sur un nouveau conflit de travail, qui a fait fondre considérablement le nombre de ses employés, les saisonniers entre autres. En matière de relations de travail, l’administration fera face à des défis dont elle ne soupçonne peut-être pas encore l’ampleur. La nouvelle philosophie « verte » que met de l’avant la nouvelle administration nécessitera l’embauche d’un personnel qualifié, capable de faire du cimetière un site de plus en plus naturel, écologique et diversifié sur le plan biologique.
Déjà en 2007, lors d’un important conflit de travail qui a mené à un lockout, je tentais de convaincre le syndicat d’envisager le virage vert; c’était là la seule manière d’affronter le prochain siècle et d’aller au-devant des nouvelles valeurs portées par une clientèle de plus en plus à la recherche de solutions de remplacement à la sépulture traditionnelle. Les travailleurs n’avaient pas à craindre pour leurs emplois : les nouveaux services, plus écologiques, requerraient de leur part beaucoup de travail et une formation complémentaire pour répondre à la nouvelle gamme de services. Sondage à l’appui, les employés soutenaient que les propriétaires de lots déploraient le manque d’entretien du cimetière. Évidemment, prendre le virage vert ne se fait pas sans un bon plan de communication. Il n’est donc pas surprenant d’entendre ces employés reprendre aujourd’hui les mêmes arguments qu’en 2007, en invoquant l’insatisfaction de la clientèle à propos de l’entretien des lots. Autre sujet de revendications : l’infestation de trous de marmottes, lesquels ne sont pourtant pas nouveaux. (voir des-employes-denoncent-lalenteur-des-negociations.php)
La fin d’un règne sans conteste
Nous appuyons sans réserve la volonté des autorités du cimetière de mettre fin à cette pratique systématique de tonte mur-à-mur de la pelouse. La gestion des lieux de façon écologique prendra de plus en plus de place, et tous doivent s’adapter, autant les employés qu’une partie importante de la clientèle, qui considèrent encore qu’il n’y a rien de mieux qu’« un beau gazon bien tondu ». Ce mode d’entretien est pourtant relativement récent, contrairement à ce que plusieurs croient. L’arrivée de la tondeuse à essence au cimetière a constitué une véritable catastrophe, tant pour la nature que pour le patrimoine : pollution sonore et de l’air, perte de biodiversité, retrait de tout ce qui pouvait nuire à son passage, etc. C’est ainsi que les clôtures et murets qui enjolivaient les concessions sont presque tous disparus, au profit de l’efficacité. Et c’est sans parler des émouvantes plantations installées sur les lots.
Par ailleurs, un magnifique étang situé au centre du cimetière et remontant au retrait de la mer de Champlain a été remblayé pour ajouter de nouvelles zones de sépulture. Des animaux et oiseaux migrateurs, qui avaient l’habitude d’utiliser cette oasis, ont perdu leurs repères. Les ornithologues amateurs y ont sûrement observé des nuées d’oiseaux venus s’abreuver. Nous partageons avec l’administration du cimetière la nécessité de bien gérer l’eau et sommes d’avis qu’il est urgent de recréer des milieux humides. Cela exigera de la part des employés de solides connaissances.
Un avant-goût du cimetière naturalisé et écologiquement diversifié
Lors du conflit de travail de 2007, alors que les employés et la clientèle se désolaient du mauvais entretien du cimetière, je me suis amusé à photographier le cimetière, dont le gazon n’avait pas été coupé pendant plusieurs mois. Jamais le lieu n’avait été aussi beau et la faune du mont Royal aussi heureuse. Nous anticipons une certaine résistance de la part des concessionnaires, mais une bonne communication pédagogique saura convaincre les propriétaires de lots et la population des bienfaits de cette nouvelle approche.



