Géographe et auteure
Le mausolée Venner est l’un des plus célèbres monuments commémoratifs du Québec, tant par son origine que par l’histoire singulière des personnages qui s’y rattachent. Aussi appelé « le tombeau de l’Aiglon », il était destiné à François-Charles-Joseph Bonaparte, roi de Rome (ou l’Aiglon), fils de Napoléon 1er et de Marie-Louise d’Autriche. En 1814, celle-ci quitta Paris pour retourner à Vienne, emmenant son jeune fils âgé de trois ans. Devenu duc de Reichstadt en 1818, François-Charles vécut sa courte et triste destinée au château impérial de Schonbrunn, où il mourut de tuberculose, en 1832, un an avant son père exilé à l’île Sainte-Hélène. L’Aiglon fut inhumé dans la crypte des Habsbourg. Plus tard, pour des raisons politiques, l’empereur Napoléon III se verra refuser le rapatriement de la dépouille de son cousin. Ce n’est qu’en 1940 que le tombeau de l’Aiglon sera transféré près de celui de l’Aigle, aux Invalides de Paris.
Oublié, le tombeau de l’Aiglon était demeuré en Italie, à l’abandon. C’est alors que William Venner, riche courtier de Saint-Roch, à Québec, qui se rendait souvent en Europe pour ses affaires, en fit la découverte. Fort impressionné, il l’acheta pour la somme de près de cinquante mille dollars de l’époque, le fit démonter puis transporter à Québec par bateau.
Comme l’avait fait son père, aussi prénommé William, originaire du Devonshire (Angleterre) et venu au Canada lors des guerres napoléoniennes, William fils se convertit au catholicisme en 1842. Il demanda à l’ingénieur et architecte municipal Charles Baillargé d’installer le mausolée dans le cimetière Saint-Charles, récemment inauguré en 1855, et dessiné par l’architecte. Issus du Rural Cemetery Movement américain, les nouveaux cimetières-jardins sont très en vogue auprès des citadins et des touristes. Ils traduisent l’idée nouvelle que la mort participe au cycle de la vie. Ils témoignent aussi de la continuité historique et des valeurs sociales. D’où l’importance du monument familial, dont l’expression néoclassique culminera en Europe et s’étendra jusqu’en Amérique.
C’est ainsi que Charles Baillargé intègre l’ensemble en marbre de Carrare composé d’un sarcophage, d’une déesse antique et d’une urne, dans un petit temple d’esprit corinthien. Il confie à Jean-Baptiste Antoine Tapin la construction d’une voûte souterraine d’une hauteur de douze pieds et pouvant accueillir 30 cercueils. Le fondeur Philip Whitty, qui avait réalisé la rampe de la terrasse Durham, est chargé de fabriquer la clôture et la porte d’entrée, en fer forgé. Commencé en 1857, l’ouvrage est terminé en 1861. Dans son livre Quebec, Past and Present, James LeMoine fait l’éloge du monument qu’il considère comme le plus remarquable de Québec.
Avec le temps, les hivers endommagèrent la déesse de marbre et, vers 1900, elle fut remplacée par un Sacré-Cœur en bronze, coulé à Vaucouleurs en France. De plus en plus de membres de la famille Venner « habitèrent » le caveau. Il y eut d’abord Mary Le Vallée, épouse de William, et sept de leurs quatorze enfants, morts en bas âge. Phédora, onzième enfant, deviendra une cantatrice de talent. Mariée à Nazaire LeVasseur, elle abandonna sa famille pour aller refaire sa vie à New York, laissant derrière elle Irma, âgée de 10 ans. Obsédée par l’idée de retrouver sa mère et voulant soigner les enfants, Irma ira étudier la médecine au Minnesota puis travailler à New York. Elle deviendra la première femme médecin francophone du Québec, fondatrice de l’Hôpital Sainte-Justine à Montréal, et de l’Hôpital de l’Enfant-Jésus, à Québec.
Parmi les 28 occupants du mausolée se trouvent deux grand-tantes de René Lévesque. Toutefois, seule apparaît l’inscription « Famille Venner ». Mary, une autre fille de William, épousera Elzéar Lépine, cofondateur avec son frère Germain de la maison funéraire Lépine. Leur fille Lauretta, femme de lettres, s’unira à Edgar Arthur Shee. Ils auront quatre petites-filles, Sandra, Mary Venner, Kathleen et Patricia, aujourd’hui propriétaires du monument Venner. Mary se souvient qu’après l’école, elles se rendaient chez leur grand-mère Lauretta dans la grande maison de la rue des Érables, où la vue des morts et des cercueils leur était familière. Tous les dimanches, elles allaient au cimetière avec leur père visiter la famille. « Nous y allons encore », souligne Mary en 2008. Fières de ce patrimoine architectural, familial et génétique, les sœurs Shee ont investi vingt mille dollars pour redonner au monument sa beauté initiale. À l’entrée du cimetière-jardin, rue Saint-Vallier, le mausolée Venner raconte une page émouvante de notre histoire.