Chronique du Fossoyeur:

Conducteur de four crématoire
La vie d’un salarié au début du vingtième siècle n’était pas rose. L’on ne dansait pas le menuet tous les jours. Il fallait trimer dur pour un salaire de misère dans un contexte où les conditions de travail étaient le plus souvent dictées par les intérêts immédiats de l’employeur.
Il y eut bien sûr des patrons plus prévenants que d’autres. L’un des éminents pensionnaires du cimetière de la Côte-des-Neiges que nous vous présentons ici sut se distinguer à ce chapitre. Son passé de président de l’Union des typographes l’influença-t-il ? Qui sait !
De typographe à entrepreneur, Trefflé Berthiaume réussit, après plusieurs aventures dans le domaine des journaux, anglophones comme francophones, et même de Nouvelle-Angleterre, à prendre le contrôle de La Presse, journal fondé en 1884. Les circonstances firent qu’il dut vendre quelques années plus tard; mais il prit les moyens de racheter après quelques années, notamment grâce à Wilfrid Laurier, à qui il promit son «discret appui au Parti libéral», tradition qui semble s’être maintenue jusqu’à ce jour.

Mais là où Berthiaume Trefflé se distingua le plus – c’est d’ailleurs ce qui lui vaut l’honneur de cette chronique -, c’est qu’il prit soin d’acheter une concession au bénéfice de ses employés qui auraient le malheur de mourir en la fleur de l’âge et qui n’auraient pas accès à un lot familial, un luxe à l’époque, comme on sait. Beaucoup de gens devaient donc se contenter d’une sépulture dans une grande fosse commune. Dans ces années-là, pour les Québécois qui attachaient aux rituels de la mort la plus haute importance, le fait de se retrouver dans un lot privé par l’initiative d’autrui devait constituer un honneur, une forme de reconnaissance et d’hommage.
Il y a fort à parier que cette clause d’antan soit tombée en désuétude et qu’aucun employé de La Presse contemporaine ne sache qu’un lot de sépultures honore leurs prédécesseurs…et puisse même théoriquement les accueillir !

