
Géographe et auteure
Surnommé la « voix d’or du Québec », le « Caruso du Canada », Roméo Jobin naît le 8 avril 1906 dans le quartier Saint-Sauveur, à Québec, de Raoul Jobin, tavernier, et de Amanda Bédard. « Le père Jobin » adore prendre le violon ou l’accordéon et chanter les airs napolitains à ses clients ravis. Huit des dix enfants de la famille ont été emportés par la maladie. Ne restent que Alfred et Roméo. Quand sa mère conduit Roméo à l’école primaire des frères des Écoles chrétiennes, elle lui dit : « Tu es le dernier. Je vais te faire instruire. »

Roméo chante comme soliste dans la chorale paroissiale durant une dizaine d’années. Il étudie ensuite le chant avec Louis Gravel puis Émile Larochelle à l’Université Laval. Il fait la connaissance de Thérèse Drouin, soprano, qui l’accompagne lors d’un concert bénéfice. Deux à trois fois par semaine, ils se rencontrent pour faire de la musique. Roméo songe à une carrière de chanteur et rêve d’aller étudier à Paris. Grâce aux économies de sa mère, Roméo pourra partir pendant deux ans! Le 26 septembre 1928, Roméo Jobin, sur le pont de l’Empress of Scotland, fait ses adieux à ses parents, amis et à Thérèse…
Tous les jours, Roméo se rend chez Mme d’Estainville travailler sa voix. À l’Institut grégorien, il étudie le solfège et l’harmonie ainsi que la mise en scène avec Abby Chéreau. Pour augmenter son vocabulaire, Roméo lit deux à trois pages du dictionnaire Larousse par jour. Un jour, Henri Busser, chef d’orchestre à l’Opéra, l’entend chanter. Vivement impressionné, il organise une rencontre avec Jacques Rouché, directeur de l’Opéra de Paris : « Je vous offre le contrat que l’on offre aux Premiers Prix du Conservatoire de Paris, dit Roucher, soit 800 francs par mois plus 10 francs de plus à chaque représentation. Vous ferez partie de la Maison à partir de juillet. » Quel honneur! Une seule audition et sans être passé par le Conservatoire de Paris!
Roméo a vingt-trois ans. Il s’empresse de retourner à Québec pour épouser Thérèse. Puis les nouveaux mariés s’embarquent vers la France. Roucher suggère à Roméo de changer son prénom. « Je pourrais prendre le nom de mon père, Raoul Jobin. Qu’en dites-vous? Je lui dois tout. » Raoul débute dans le rôle de Tybalt de Roméo et Juliette. En 15 mois, il participe à 111 représentations de 16 opéras. En 1931, la maladie de sa mère l’amène à rentrer au Québec où il donne plusieurs concerts. Mais le jeune ténor décide de retourner à Paris en 1934. Désormais, sa carrière doit passer en premier : Thérèse lui donne tout son appui.
Le 16 juillet, Raoul fait sa rentrée dans Rigoletto. Il est ensuite invité dans plusieurs villes de province. En novembre 1936, il revient à l’Opéra de Paris comme premier ténor. Son répertoire est surtout français mais aussi italien et allemand. De 1940 à 1950, il est attaché au Metropolitan Opera de New York et fait des tournées dans toute l’Amérique du Nord et du Sud. Après la guerre, en 1947, le ténor canadien rentre à Paris et triomphe dans Lohengrin, son premier grand rôle wagnérien. Partout, on applaudit sa voix chaude et veloutée, ses aigus éclatants, son aisance dans tous les registres et son instinct dramatique. Le 24 juin 1958, à Toulouse, Raoul Jobin tient le rôle d’Ulysse dans Pénélope de Fauré, et fait ses adieux à la scène.
De retour au Canada, le ténor enseigne au Conservatoire de Montréal et de Québec, et dirige ce dernier de 1961 à 1970. Il est fait chevalier de la Légion d’honneur de France et compagnon de l’Ordre du Canada. Après un séjour en Espagne, Raoul ressent une grande fatigue. À l’hôpital du Saint-Sacrement, on diagnostique un cancer du pancréas. Jamais, Raoul ne parle de sa maladie. Il passe Noël entouré des siens puis décède à l’hôpital le 13 janvier 1974. D’émouvantes funérailles sont célébrées en l’église de Saint-Sauveur.

Jobin désirait une messe chantée en latin : Pierre Boutet, à la tête d’un chœur masculin, et Jean Bonhomme rempliront son souhait. Celui qui fut considéré comme le plus grand ténor francophone de son époque repose au cimetière-jardin Notre-Dame-de-Belmont, à Québec, avenue Saint-Joseph. Depuis 1989, la salle du Palais Montcalm porte l’illustre nom, de même que la rue où grandit Roméo, à Saint-Sauveur. Le fonds Raoul-Jobin qui comprend 333 disques sonores, est conservé à la bibliothèque nationale du Canada.