Chronique Commémoration:

Historien
Quelles surprises attendent parfois ceux et celles qui restaurent un monument ancien, comme une église, un édifice civil ou le socle d’un monument, et qu’on découvre la capsule temporelle cachée dans l’œuvre au moment de son inauguration ! La pierre angulaire d’un bâtiment ou une cavité bien scellée dans la base d’une statue, peuvent révéler mille détails de la vie venus du fond des âges. Déposée sciemment au moment de l’érection de l’ouvrage, la capsule temporelle livre un message d’outre-tombe qui raconte toute une histoire. Vous pourrez lire à cet effet Quand la restauration mène à la découverte d’un trésor caché, un article de Aude Connor, paru récemment dans la revue d’ethnologie «Rabaska» ( vol. 17, pp166-172).
Ma mère, Marie-Alexandrine Poulin, est décédée à l’âge vénérable de 100 ans et 8 mois à l’Hôtel-Dieu de Lévis en 2012. Marie-Alexandrine, Maria pour les intimes, venait de Saint- Jules, en Beauce, d’une famille de 20 enfants, tous élevés sur une terre de colonisation défrichée par mon grand-père. Ma grand-mère, qui se nommait Zélie Tardif, était partie pour le ciel en 1976 à 104 ans, toujours très lucide et rayonnante de sérénité avec ses beaux yeux bleus intelligents. Imaginez: Zélie était veuve depuis 1918, mon grand-père ayant été foudroyé par la grippe espagnole! Il lui laissait sur les bras cette trâlée d’enfants dont l’aîné, Tancrède, venait d’avoir 20 ans. Tout le monde a dû se retrousser les manches pour survivre.
Marie-Alexandrine est née en 1911. Élevée parmi les dernières, elle a réussi à faire des études avec l’aide de certains membres de la famille et est devenue maîtresse d’école de rang, puis institutrice à l’école du village. Après dix ans de pratique, au moment de décider de se marier en 1938, l’administration scolaire l’a remerciée de ses services. La profession était strictement réservée aux femmes célibataires, telle était la règle. L’institutrice et le curé de la paroisse étaient ordinairement les seuls instruits du village et jouissaient donc d’un grand respect. Maria enseignait à une seule classe, composée d’une trentaine d’élèves de différents âges, de la première à la septième année scolaire. Chaque élève suivait son propre programme quotidien. Deux fois par année, un inspecteur du gouvernement passait et vérifiait si tout se déroulait selon les règles en questionnant les enfants. L’institutrice devait donc bien préparer ses journées. Elle résidait souvent dans l’école sur semaine et profitait de ses soirées pour mettre au tableau le programme du lendemain et faire ses corrections. Imaginez la solitude dans une nuit de tempête de neige, à la lueur d’une lampe à l’huile, à chauffer et écouter gronder le poêle à bois, à préparer son ordinaire, fin seule, à partir de l’âge de 18 ans! Maman a prolongé son métier en élevant ses enfants. Quand nous sommes arrivés à l’âge de l’école, nous savions tous compter, lire et écrire.
À son décès, la famille a décidé de l’honorer en créant une capsule temporelle éternelle. Après avoir choisi une urne cinéraire de grande élégance, en noyer noir du Québec, une sorte de petit coffre aux trésors classique de grande sobriété, on a fait fabriquer chez un ferronnier une boîte en acier inoxydable de bon calibre, capable de recevoir confortablement l’urne, mais également le tribut de chacun des membres de la famille. Mon fils, alors âgé de 22 ans, a choisi une poignée de boutons multicolores. Mes parents l’avaient souvent gardé et son jeu de prédilection était le pot de boutons de la boîte à couture, préféré à tout ce que l’industrie pouvait lui offrir. Et Dieu sait qu’il était gâté ! Ma sœur laissa une mèche de ses beaux cheveux blonds d’enfance et une lettre bien cachetée. Mon frère opta pour le beau chapelet en cristal de roche béni par le pape lui-même, qu’il avait reçu en cadeau de maman pour sa première communion. Ma première conjointe, la mère de mon fils, déposa également une lettre cachetée. Ma seconde conjointe, bien au fait de son passé d’institutrice, opta pour le roman de Gabrielle Roy, Ces enfants de ma vie, relatant l’expérience de l’auteure dans l’enseignement rural, une expérience tellement semblable à celle vécue par maman. Moi, je glissai la plume fontaine avec laquelle j’avais écrit mon premier livre. Des pièces de monnaie de l’année en cours furent répandues sur le fond de la boîte, bien enveloppées dans le plastique pour ne pas créer d’effet pile avec les autres métaux. Mon beau-frère commanda des plaques d’identification qui furent soudées à l’extérieur et à l’intérieur du précieux contenant, dans lequel il joignit un message à l’intention de Maria. Par précaution, juste avant de sceller la capsule, ma compagne fit ajouter un sachet de dessiccatif pour absorber l’humidité présente dans la capsule.
C’est accompagnée de tous ces souvenirs de tendresse que Marie-Alexandrine partit pour le grand voyage, dans l’amour des siens. Qu’elle repose en paix !
