Chronique du Jardinier:
Consultant, ex-directeur Jardin botanique de Montréal
S’agissant des contributions des arbres à la qualité du milieu de vie des citoyens de la ville, on évoque souvent plusieurs de leurs bienfaits, pour la plupart reconnus. Leur apport à la diversité biologique, l’effet rafraîchissant de leur ombre sur les îlots de chaleurs minéralisés, leur important apport à l’esthétique des paysages et même le rehaussement de la valeur foncière des propriétés sont souvent évoqués, tous les intéressés en conviennent. On mentionne aussi souvent l’effet bénéfique des racines des arbres colonisant l’espace souterrain et leur capacité à capter les eaux de ruissellement, évitant ainsi une surcharge des réseaux de captation des eaux de surface et leur débordement. Cette dernière qualité s’accompagne de leur pouvoir, qu’on leur croit accessoire, à retenir en place les sols argileux ou limoneux susceptibles d’instabilité, particulièrement en état de saturation. Voici un fait historique qui confirme la véracité de ce pouvoir stabilisant des arbres sur les sols instables.
Un éboulis au cimetière
Nous sommes à Saint-Hyacinthe, au printemps 1917, à la fin du mois de mars. Comme chaque année, la crue de la rivière Yamaska est importante. Ce cours d’eau draine un grand territoire aux terres fertiles. Conséquemment, il est exploité depuis plusieurs décennies pour l’agriculture. On y déboise les terres, on creuse des fossés et des collecteurs d’eau de ruissellement qui, tous, mènent à la rivière. L’impact de cette grande quantité d’eau collectée s’exprime donc, chaque année, par une importante crue des eaux de la Yamaska au moment de la fonte des neiges.
Donc, durant la dernière semaine du mois de mars 1917, la température monte, nous sommes en pleine période de dégel. Les journaux locaux rapportent que le mardi 27 mars, l’inondation des quartiers maskoutains en bordure de la rivière est à son sommet. Les eaux n’ont jamais été aussi hautes depuis au moins quatre ans, y lit-on. Dans la nuit du vendredi 30 mars, jusqu’au lendemain, un grand choc secoue la terre du cimetière de la cathédrale, à Saint-Hyacinthe-le-Confesseur, et sa partie sud est emportée par toute cette eau qui dévale la pente vers la rivière. Cette section du cimetière est adossée à un méandre de la rivière Yamaska, situation particulièrement sensible à ce genre d’événement à cause de la pression exercée par l’eau de l’inondation. Cette fragilité est accrue par la présence, dans ce secteur, d’une couche d’argile sous-jacente. Votre chroniqueur jardinier et ex-fossoyeur a d’ailleurs constaté cette nature argileuse du sol, son instabilité et sa tendance à s’ébouler en période printanière, rendant particulièrement compliqué et pénible le creusage des fosses à la pelle. (J’aurai une petite anecdote à vous raconter à ce sujet)
La catastrophe est rapportée dans les médias locaux de la façon suivante: «C’était un désordre bien triste à voir que cette étendue de terre toute bouleversée au travers de laquelle on y voyait percer des crânes et des ossements nus, du bois de croix et des tombes. On voyait des cercueils complètement brisés et des vides; d’autres gardaient encore quelques ossements; dans quelques-uns qui étaient ouverts, il ne restait plus que des lambeaux de vêtements. D’autres tombes pendaient au-dessus du précipice, il eut suffi d’une simple secousse pour les précipiter dans le dégât. Il n’est pas exagéré de dire que la plupart des corps qui ont été entrainés par ce bouleversement sont des corps perdus à jamais.». (Le Clairon, 6 avril 1917)
On comprend que des drames personnels peuvent ainsi arriver. Le journal Le Courrier de Saint-Hyacinthe du samedi 14 avril rapporte le cas de M. Udger Beaunoyer, entrepreneur-peintre : « Sa femme, née Edvine Desmarais, décédée il y a environ huit ans, avait été inhumée dans cette partie du cimetière de la ville où s’est produit cet éboulis. Depuis quelques jours, son cercueil aux trois quarts découvert menace de tomber dans le ravin, sans qu’il soit possible de remédier à la chose. Sa deuxième femme Evelina Tanguay, est décédée cette semaine et lui-même est dangereusement malade».
L’histoire ne dit pas comment tout cela s’est finalement résorbé et a été réparé. Je peux cependant vous affirmer, pour avoir joué à construire des cabanes près de la rivière dans les années 1960, que le tout a été remis en place et que des arbres s’y sont installés. Selon mon père, qui fut pour un temps le gardien du cimetière, ces arbres avaient été plantés pour prévenir un autre éboulis. Sur toute la bordure du cimetière longeant la rivière, deux espèces de peuplier ont été plantées, soient le peuplier de Lombardie (Populus nigra « Italica») et le peuplier deltoïde (Populus deltoides). J’appris plus tard, lors de ma formation horticole, que cela était logique, car ces espèces forment de vigoureuses racines colonisant le sol sur une grande étendue et sont particulièrement aptes à retenir les sols instables près des cours d’eau.
J’ai vu mourir de leur belle mort tous les peupliers de Lombardie dans les années 1980, victimes de leur grand âge (environ 60 ans), attaqués par la carie et souvent mis à terre lors de grands vents. Les peupliers deltoïdes, connus pour leur plus grande longévité ont été plantés dans la section où a eu lieu l’éboulis et ils y sont toujours. Ils sont aujourd’hui centenaires ou presque et se sont considérablement développés. En plus de bien retenir les sols, par leur apport important à la biomasse ils offrent une belle fraîcheur et participent à la diversité biologique. Aucun autre éboulis ne s’est produit. Une espèce à garder à l’esprit en ces temps de bouleversements climatiques extrêmes qui en amenant des crues abondantes et de nombreux glissements de terrain laissent entrevoir des pertes matérielles dans tous les cimetières localisés en bordure d’un cours d’eau.