Géographe et auteure
Le matin ensoleillé du 30 octobre 1849, il y a plus de 170 ans, une foule de trois à quatre mille personnes envahit la place de l’église de la Madeleine, à Paris, pour y célébrer les funérailles de Frédéric Chopin. Le corps embaumé du musicien y reposait depuis presque quinze jours, depuis sa mort survenue le 17 octobre, après une longue et pénible agonie. Durant ses dernières heures, Chopin avait demandé qu’on joue le Requiem de Mozart. Il ignorait alors que les femmes n’étaient pas autorisées à chanter dans les églises de la ville. Après des jours de supplication auprès de l’archevêque de Paris, les amis de Chopin obtinrent un décret autorisant la participation des chanteuses et solistes, à la condition qu’elles soient dissimulées par un rideau de velours noir.
Après la grand-messe où l’on entendit à l’orgue les préludes en mi mineur et en si mineur de Chopin, le cortège funèbre, escorté de nobles polonais, se rendit au Père-Lachaise. En décembre, le cœur du célèbre compositeur fut ramené par sa sœur Ludwika à Varsovie. Il repose dans l’alcool, dans une urne de cristal scellée à l’intérieur d’un pilier de l’Église de la Sainte-Croix. Sur la stèle, on peut lire un passage de l’Évangile selon Saint-Mathieu : Car là où est ton trésor, sera aussi ton cœur. Le 17 octobre 1850, grâce à une souscription des amis de Chopin, on inaugura au Père Lachaise un monument sculpté par Auguste Clésinger : une muse tenant une lyre au-dessus d’un portrait ovale du compositeur. Sur sa tombe, on répandit de la terre provenant de Pologne.
À l’image de sa mort, la vie de Chopin fut remplie de déchirements. Né le 1er mars 1810 en Pologne d’un père français et d’une mère polonaise, Frédéric débute à six ans des leçons de piano. Très doué pour l’improvisation, il se produit en public et compose une polonaise en sol mineur éditée en 1817. Après ses études au Lycée de Varsovie, Frédéric entre à l’École supérieure de Musique et y étudie l’harmonie et le contrepoint. Dans son rapport, Joseph Elsner écrit : « Capacités extraordinaires. Génie musical. » Le 2 novembre 1830, Chopin quitte Varsovie. Le 20, l’insurrection éclate dans la ville contre les occupants russes : Frédéric ne reverra plus sa Pologne et vivra exilé, en France, le reste de sa courte vie.
Chopin arrive à Paris en 1831. Il écrit : Je suis content de ce que j’ai trouvé dans cette ville : les premiers musiciens et le premier Opéra du monde. L’écho de sa renommée lui attire ses premiers élèves : « Je dois donner aujourd’hui cinq leçons; détrompe-toi : le cabriolet et les gants blancs coûtent plus cher que ce que je gagne, mais sans eux, je ne serais pas de bon ton.» Raffiné, élégant et réservé, Chopin innove avec ses doigtés, ses sonorités délicates, nuancées et contrastées. Les leçons commencent souvent le matin et, dans sa ferveur, le maître en oublie fréquemment le boire et le manger. Malgré un immense trac, Chopin se produit en public, jouant sur des pianos Pleyel, instrument souple et docile qui s’harmonise parfaitement au jeu du musicien. La notoriété de Chopin atteint le sommet et Mendelssohn écrit: «Chopin est aujourd’hui le premier des pianistes.» En plein romantisme, le compositeur s’inspire de Mozart et surtout de Bach et imprègne sa musique du folklore polonais et des musiques paysannes entendues durant son enfance.
En quittant sa patrie, Chopin a laissé derrière lui Maria Wodzinski qu’il souhaite ardemment épouser. Mais la mère de cette dernière refuse ce mariage en raison de la maladie du musicien. Ce refus inflige à Chopin un grand chagrin. Il gardera les lettres de Maria dans une enveloppe entourée d’un ruban et y écrira Ma douleur. À Paris, Chopin fait la rencontre de l’écrivaine George Sand, une femme portant le pantalon qu’il trouve d’abord antipathique. Leur liaison, ponctuée de nombreuses querelles, durera dix ans. De plus en plus malade, Chopin veut que tous ses manuscrits inédits soient détruits avant sa mort. Peu confiant en la médecine, il demande que son corps soit ouvert pour ne pas être enterré vif. Deux jours avant sa mort, il fait venir Delphine Potocka qui chante pour lui, en pleurant, des airs de Bellini et de Rossini. Le 17 octobre 1849, à deux heures du matin, Chopin, entouré de ses amis, a cessé de vivre, à 39 ans. Auguste Clésinger moule alors le visage et les mains de du défunt et plusieurs dessins sont réalisés.
En 2008, les autorités polonaises refusèrent une analyse de l’ADN du cœur du compositeur. Mais en 2017, des chercheurs polonais purent examiner le cœur de Chopin avec des techniques modernes, sans ouvrir le flacon le contenant. Le compositeur serait mort d’une tuberculose mais il n’est pas exclu que le musicien était aussi atteint de mucoviscidose, une maladie génétique qui touche gravement les poumons.