Chronique du Fossoyeur:
Conducteur de four crématoire
Vous aurez, lors de visites en nos vieux cimetières, constaté ici et là la présence de petits agneaux de pierre couchés sur le flanc avec une petite «pa-patte» repliée sur elle-même, sur des stèles jamais beaucoup plus hautes qu’un pied ou deux. Ils ne sont pas là pour indiquer l’inhumation d’un berger, mais plutôt pour commémorer la mort d’un enfant à un âge où l’on ne saurait l’admettre. L’agneau symbolise l’innocence et la fragilité. Quoi de plus indiqué pour marquer la sépulture d’un bambin!
L’inhumation d’un enfant représente la pire des épreuves pour les fossoyeurs. Déposer un petit cercueil dans le fond d’une petite fosse, ça vous remue les entrailles.
La mortalité infantile était telle au 19e siècle et au début du 20e que les cimetières se réservaient une section destinée uniquement aux enfants. Même qu’en ce fameux cimetière sur le mont Royal, on distinguait deux sortes de fosses communes : les grandes et les petites fosses.
Cette mortalité précoce n’épargnait pas les classes aisées, quoique dans une moindre mesure. Alors que les bébés enterrés dans des fosses communes ont pour lot un anonymat éternel, les familles en moyen faisaient souvent ériger sur leur lot ce petit monument supplémentaire, question de souligner le vif émoi d’un décès si injuste. Ce sont dans ces concessions que l’on retrouve ces agneaux tumulaires.
Les bébés non baptisés, que l’on disait voués aux limbes, étaient appelés ondoyés. Par exemple, un petit Gagnon était désigné dans le nécrologe ou sur un monument comme « Ondoyé Gagnon ». N’ayant jamais eu l’occasion de pécher, mais n’étant pas entrées en la vie sacramentelle, ces pauvres âmes voguaient dans un entre-deux, ni enfer, ni purgatoire, ni paradis, en attendant la résurrection du Messie. L’ondoiement était un « baptême de fortune » qui pouvait être prononcé par quiconque était présent lors de la délivrance du bébé.
À ce sujet Brigitte Garneau rapporte que «La mortalité infantile représentait […] 51,3 % des décès enregistrés en 1910, 46,7 % de ceux enregistrés en 1920 et 40,7 % \…\ en 1930.»
Au début du XXe siècle, d’après les témoignages recueillis par Suzanne Marchand, «la plupart des décès chez les très jeunes enfants étaient attribuables à des diarrhées ou des gastro-entérites.» Les maladies infectieuses et contagieuses faisaient aussi de nombreuses victimes, selon les statistiques officielles qu’elle a consultées.