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L’épopée magistrale d’un Champenois en Nouvelle-France

Chronique Histoire:

Autour de l’inhumation de Monsieur de Maisonneuve

Le titre de ce papier, à lui seul, précise in situ le lieu où se situe l’action, que dis-je l’évocation du parcours exemplaire d’un certain Paul de Chomedey, sieur de Maisonneuve, à Paris, où à la fin de ses jours, « ci-devant Gouverneur de Montréal », il paraphe son testament, la veille même de son décès, en septembre 1676. L’événement se produit alors à Côteau Sainte- Geneviève, proche le couvent des Pères de la Doctrine chrétienne, proche de la Contrescarpe, qui existait déjà, et immortalisée à l’intérieur d’une chanson remarquable, « La langue de chez nous ».

Mais revenons à notre sujet. Paul est fils unique, mais il a tout de même trois sœurs, dont Louise, l’aînée, deviendra religieuse à Troyes. Elle sera appelée à jouer un rôle d’intermédiaire dans la fondation de Montréal, puisqu’elle proposera à son frère Paul le concours et les compétences de Marguerite Bourgeoys, fille d’un maître chandelier de Troyes, qui deviendra la première enseignante du Nouveau Monde.

L’homme est issu d’un milieu anobli, dès 1660, par le roi Henri IV, à qui l’on doit l’existence du Prytanée militaire de la ville de La Flèche, d’où sont sortis, également, nos premiers martyrs canadiens. Allez donc ignorer la source ? Impossible, puisque tout se tient, et que, incidemment, c’est à Paris, la capitale, en l’axe triangulaire historique parisien Notre-Dame/Saint- Sulpice/Saint-Germain-des-Prés, que toutes les ficelles de la fondation héroïque de Montréal seront pieusement nouées, en un gracieux mélange de ferveur et d’espérance, rarement égalé : un espace incontournable, pour le pèlerin des temps modernes, soucieux de remonter aux sources de notre fondation.

Or, au XVIIe siècle, quelle carrière pouvait embrasser un jeune gentilhomme, sans fortune considérable, sinon le métier des armes, quand l’on sait la réputation peu enviable des armées de l’époque, au sein desquelles s’immisce un grand nombre de mercenaires ? Mais Maisonneuve n’est point de cette trempe.

Il était d’un naturel réservé qui fut sa marque sa vie durant ; sa sœur Louise confirmera qu’il fut un garçon sérieux, un peu taciturne, porté à la poésie — il avait un oncle poète qui s’exprimait à la mode de Ronsard — et à l’exaltation mystique, a-t-on dit. Mais le jeune soldat a-t-il réellement fait le vœu de célibat que certaines personnes lui ont prêté ? Allez savoir ! Mais enfin, sans le caricaturer, Louise précise le portrait de l’homme : la frange de ses cheveux, coupés à la façon des ecclésiastiques, lui donne l’air d’un croisé, et sous sa tente, il aime à jouer du luth, son instrument de prédilection. Marguerite Bourgeoys, plus tard, en Nouvelle-France, l’incitera à poursuivre en cette voie « pour lui éviter de faire débauche », selon l’expression usuelle du temps. Aujourd’hui, on dirait « pour éviter de faire des bêtises ».

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Or, le personnage est peu connu, malgré son rôle majeur en la fondation de Montréal. C’est pourquoi en 1993, au lendemain des célébrations biscornues de 1992 – 350e anniversaire de la fondation de la ville —, un groupe s’est formé légalement, sous le nom de Comité Historique Maisonneuve (CHM), avec, à sa présidence, un jeune historien trop tôt disparu, Denis Samson, de Québec. Et le comité, dès sa fondation, le 5 mars 1993, en l’enceinte du Château de Ramezay, avait aussitôt fixé les paramètres de son action :

– approfondir les connaissances sur les dix dernières années de vie de Chomedey de Maisonneuve, à Paris, ainsi que l’histoire un tantinet emmêlée de sa sépulture ;

– promouvoir l’identification et la sauvegarde archéologiques du site de l’ancien couvent Saint-Charles, des Pères de la Doctrine chrétienne, et du logis où s’éteignit Maisonneuve ;

– s’assurer les concours nécessaires pour entreprendre les fouilles archéologiques de la chapelle Saint-Charles, rue du Cardinal-Lemoyne ;

–prendre les moyens nécessaires pour mettre en valeur le site de la mort et de la sépulture du gouverneur-fondateur « désigné » de Montréal, en collaboration avec les autorités politiques françaises, canadiennes et québécoises.

Moins d’un an plus tard, une mission fut réalisée à Paris, avec le concours obligeant et généreux du ministre Ciaccia, aux Affaires internationales du gouvernement du Québec, à qui d’ailleurs le secrétaire du CHM apprit que l’une des grands-mères de Chomedey était d’origine italienne, ce qui valut cette réplique du ministre : « Les Italiens, ils sont partout ! »

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C’est donc à Paris, où se poursuivirent les recherches, notamment aux Archives nationales (minutier central, cote Y. 15. 718), que Denis Samson trouva matière à satisfaire sa curiosité légitime. Fort de ses connaissances, il avait déjà consulté les sources de Léo Leymarie, dans Nova Francia (1926), où il est précisé ceci : « Le jeudi dixiesme [de septembre] fut transporté en l’Église des Pères de la Doctrine Chrétienne, Paul de Chomedey, escuyer, Sieur de Maisonneuve, gouverneur de l’Isle de Montréal en la Nouvelle-France, près le fossé entre les portes S. Marcel et S, Victor, en présence du soussigné. Royer » Et la confirmation du testament, publiée en 1959 par Robert Leblant in Revue d’histoire de l’Amérique française (volume 13, no 2, p. 262-280), stipule les dernières volontés de Maisonneuve :

Maisonneuve « ordonne l’inhumation de son corps en l’église desdit R.P. de la Doctrine chrétienne de la maison de Saint-Charles ausquels il donne et lègue tant pour le droit de sépulture que pour les prières qu’ils luy feront faire à leur discrétion la somme de cinq cens livres [l’équivalent de cinq mille dollars] une fois payée se rapportant ledit sieur testateur au surplus de ses obsèques services et prières à la discrétion et dévotion de son exécuteur testamentaire soubs nommé ». Rappelons que les funérailles se tinrent en l’église paroissiale de Saint-Étienne-du-Mont, voisine du Panthéon actuel, où reposent les « gloires françaises » endormies.

Or, les « Scellés après décès » attestent que les notaires Aumont et Rotinon se présentèrent au domicile de Chomedey, une heure après son décès. Le défunt gisait encore sur une paillasse. Ils revinrent trois fois les jours suivants à cause de Marie Bouvot, nièce de Maisonneuve, qui contestait le testament de son oncle : parce que favorisant les Montréalistes, celui-ci la déshéritait.

Dès que nous avons été appelés à rencontrer les hautes autorités parisiennes, dont Jean Tibéri, maire du Ve arrondissement et adjoint de Jacques Chirac, maire de Paris, celui-ci s’est enquis de nos intentions réelles, croyant fermement que l’on souhaitait récupérer la dépouille du sieur de Maisonneuve. C’est aussitôt que je me fis un devoir de le rassurer, en tant que secrétaire en titre, habitué à composer avec les manières françaises de jadis, ayant eu le privilège de fréquenter Lydia-Louis Hémon, fille unique de l’écrivain Louis Hémon. Celle-ci lui confirma que, dans la famille où il s’est trouvé de nombreux militaires, la position était la suivante, et qui fut de tout temps respectée : « Là où l’on meurt, l’on reste ! » Je vis aussitôt Tibéri soupirer d’aise, à l’échappée de nos intentions réelles.

Pour être concis, nous confirmerons qu’ayant reçu, au préalable, les autorisations nécessaires, un forage à la cuillère fendue — diamètre de 5 à 7 cm (appelé carottage, selon le jargon usuel) — fut réalisé dans la cour du 77 rue du Cardinal-Lemoyne, là où le sous-sol de la chapelle d’origine, parfaitement dallé, ne fut guère touché à ce jour, ni les sols perturbés. Cette démarche fut réalisée par des ingénieurs de la firme Géophysique GPR, de Longueuil, déjà en France, œuvrant à l’époque pour l’EDF ( Électricité de France) en tant qu’experts. Un rapport fut établi, en étroite collaboration avec Jean-Guy Brossard, archéologue du musée Pointe-à-Callière. Une nouvelle plaque fut posée, à l’emplacement du Groupe Scolaire de la rue Rollin, en présence de Madame Xavière Tibéri, épouse du maire de l’arrondissement.

C’est donc à Paris, « capitale du Nouveau Monde », que repose Paul de Chomedey, sieur de Maisonneuve. Qu’il y repose en paix, à jamais. Noble il fut en son temps, et noble il demeure en notre mémoire. Tu autem, Domine, miserere nobis.

Ndlr: Il est important de rappeler à nos lecteurs que c’est l’Écomusée qui a initié les recherches sur la sépulture de Maisonneuve en 1992, pour le 350e de Montréal et c’est ensuite feu Denis Samson, co-fondateur de l’Écomusée en 1991 qui, devenu président du Comité historique Maisonneuve, en mai 1993, a entrepris les recherches.

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