Chronique du Fossoyeur:
Conducteur de four crématoire
Il fut un temps où le cimetière de la Côte-des-Neiges, outre ses pensionnaires silencieux qu’il avait vocation à accueillir, abritait aussi des vivants qui y tenaient feu et lieu. On y a déjà compté jusqu’à huit logements, occupés soit par des familles, des couples et des célibataires.
La première maison du site , aujourd’hui disparue, était celle du Dr Beaubien, de qui la Fabrique avait acquis les terres pour y établir le nouveau cimetière en 1854 et elle devait dater du début du 19e siècle (photo 1). Y habitaient, dans les premières années de la nécropole, des soeurs de la Providence, qui s’occupaient de « tenir » le cimetière. Elles n’y restèrent que quelques années, le bâtiment étant inconfortable, mal chauffé et vétuste, puisqu’il avait d’abord eu une vocation de résidence de campagne.
La résidence la plus prestigieuse du site était la maison Lacombe (photo 2). Elle était située à l’extérieur du jardin des morts. Menacée de démolition par un élargissement de rue, un mécène fit campagne pour qu’on la déménage. C’est ainsi qu’elle se retrouva à son emplacement actuel après avoir été démontée pierre par pierre en 1957. Elle servit alors de résidence de fonction à l’usage du directeur-gérant du cimetière jusqu’en 1994. Le nouveau directeur de l’époque ne jugea pas pertinent de continuer la pratique. Le loyer mensuel pour cette maison historique était de 240 $, et il incluait une piscine, un garage et une immense cour arrière.
Les deux magnifiques maisons avec tourelles attenantes qui étreignent l’entrée principale du cimetière (photos 3 et 4) ont été habitées jusqu’au début des années 2000 par des cadres du cimetière. Un grandiose jardin agrémentait l’arrière de l’une, et une piscine occupait l’arrière de l’autre. À l’origine, ces logis étaient joints par le lien aérien qu’offrait la porte monumentale de 1888. Cette porte fut démolie quelque vingt ans plus tard, pour cause de délitement de la maçonnerie et d’apparition des véhicules automobiles.
Non loin de là, aux abords du ruisseau (aujourd’hui canalisé) dans la plaine, existait une exploitation agricole avec sa ferme. Elle était réservée à l’usage du surintendant (qui occupait l’une des deux maisons de l’entrée). Celui-ci d’ailleurs quitta brusquement ses fonctions lorsque la direction décida de couper court à ce privilège!
Lors de la construction de la chapelle Notre-Dame-de-la-Résurrection en 1855 (photo 5), à l’orée de ce qui constituait les limites du cimetière, deux logements avaient été aménagés dans ses combles. Ils étaient destinés aux gardiens. Les derniers occupants délaissèrent les lieux vers 1996. Ces logements furent convertis en espace de réunion et en salle à l’usage des employées du bureau.
Le pavillon administratif (photo 6) hébergea à l’origine, la famille du surintendant à l’étage pendant que le rez-de-chaussée servait d’espace à bureaux. On remarquera sur la photo de petites lucarnes dans les mansardes; un étage supplémentaire s’y cache, aujourd’hui condamné, servant probablement à l’époque de chambres à coucher.
Non loin du centre opérationnel actuel s’élevait la maison du palefrenier (photo 7), qui jouxtait les écuries (aujourd’hui disparues) habitée jusqu’à la fin des années 90 par un employé et sa femme. Elle était autrefois recouverte de papier-brique. Des bureaux y sont maintenant installés.
À la frontière du cimetière protestant (c’est aujourd’hui une section dédiée à la communauté orthodoxe) se trouvaient d’anciennes écuries (photo 8) qui avaient été converties en maison pour le directeur du personnel. Démolie il y a une quarantaine d’années, on n’en a gardé aucune photographie. On pouvait encore, il y a une quinzaine d’années, voir les poteaux électriques qui partaient du chemin Camillien-Houde pour l’alimenter en électricité.
Il y avait aussi une vieille maison, dont plus personne ne se souvient, non loin de l’entrée Camillien-Houde et qui fut probablement démolie après la guerre; c’est un vieux fossoyeur des années quarante qui m’en révélât existence.
Des ‘cabanes de fossoyeur’, disséminées sur le site n’ont pas survécu à la mécanisation des opérations. Les premières conventions des années 70 prévoyaient pour les fossoyeurs ‘l’accès à des abris chauffés’ qui étaient attitrés aux secteurs périphériques du cimetière. Les dernières ont été démolies en 1995.
Il faut ajouter à ces habitations d’autres bâtiments aujourd’hui disparus; entre autres les serres, qui dataient du début des années trente et démolies en 2004, et d’autres serres à côté du pavillon administratif (il existait même un tunnel secret qui partait des caves du bureau pour les rejoindre à couvert!), une cabane à dynamite, et enfin les anciennes écuries et la forge, sur le site actuel des garages.
Il y a même déjà eu dans le boisé central une cabane à sucre, mais encore là, dont on ne connaît aucune illustration…
C’est donc dire que le jardin des morts était à une époque un lieu qui grouillait de vie, avec des enfants qui profitaient d’un immense terrain de jeu, et qui pouvaient même se baigner dans le lac (aujourd’hui comblé) du cimetière !